Jacques Benoit, Jos Carbone, Montréal, Éd. Du jour, 1971, 120 p. (Coll. Les romanciers du jour R-25) (1ère édition : 1967)
Jos Carbone et Myrtie vivent dans une cabane en bois, au coeur d’une forêt très dense. Pourquoi se sont-ils retranchés de la civilisation? On ne le saura pas. Un jour, pendant l’absence de Jos, Myrtie aperçoit un homme qui la zieute à travers la fenêtre. Lorsqu’elle apprend la nouvelle à son compagnon, ce dernier n’a qu’une idée : éliminer l’intrus. On apprend alors que le couple n’est pas seul dans ce coin perdu : Pique, l’ami de Jos, s’est construit un peu plus loin une maison souterraine. Germaine, sa copine vit avec lui. Jos lui demande de l’aide. Ils repèrent l’intrus, un grand bellâtre niais et violent du nom de Pierrot, mais n’arrivent pas à s’en saisir. S’en suit un chassé-croisé, je t’attrape, tu m’attrapes, je t’assomme, tu m’assommes. À la fin de l’histoire, c’est Germaine qui tue Pierrot, lequel a tué Pique.
Il y a un peu de Thériault chez Jacques Benoit, ne serait-ce en raison du décor et du type de personnages qu’il campe dans son récit. La forêt joue un rôle important : elle agit comme une menace mais aussi elle imprègne les personnages de sa sauvagerie. Ceux-ci sont dominés par leurs pulsions sexuelles et meurtrières. Les femmes sont des proies pour lesquelles les mâles s’étripent. On a l’impression d’être retourné aux temps des hommes des cavernes.
Le roman est très court, très riche en dialogues, plein de rebondissements, donc de lecture facile. Jos Carbone est le premier roman de Jacques Benoit. Il va en écrire six autres.
Extrait
« Quel âge il a, ton vieux ?
— Mon vieux, il a jamais voulu dire son âge, répondit Germaine d’un air insouciant.
— Crétin ! » rugit Pierrot, et il le frappa à la figure de toute sa force.
Le sang coula.
« Regarde-moi, Germaine ! »
Il poussa un cri. Puis il se mit à courir autour de Pique en secouant sa chevelure comme un Indien.
« Yahou ! Yahou ! » faisait-il.
Il était pris à son propre jeu. Il enleva ses souliers, saisit le couteau et se remit à sauter. Germaine commença à rire.
« Vas-y ! Vas-y ! »
Ce fut le dernier geste de Pique. Bandant ses muscles, il se jeta tête première sur Pierrot qui roula à la renverse. Pique lui-même demeura étendu sur le plancher, face contre terre.
Pierrot se releva. Il était furieux.
« Salaud, salaud ! » hurla-t-il.
Il leva le pied et le frappa à la tête brutalement. Puis il lui bourra le ventre et les côtes de coups.
« Maudit sale cochon ! Puant ! Maudit chien sale ! Crapaud ! »
Germaine ne riait plus.
« Relève-le, dit-elle d’une voix blanche.
— Crapaud pourri ! continua Pierrot. Chien !
— Arrête ! » hurla-t-elle.
Elle se jeta sur lui.
« Arrête !
— Quoi ? »
Il sembla surpris un moment avant de réagir.
« Ôte-toi de mon chemin ! menaça-t-il.
— Non. Relève-le.
— Toi, relève-le. »
Elle le regarda. Puis elle saisit Pique par les épaules et alla l’appuyer contre le mur. Il pleurait.
« C’est assez », dit Germaine. Il la repoussa.
« Ôte-toi. Ça, puis c’est fini », dit-il en déchirant la jambe de pantalon de Pique d’un coup de couteau.
Il le prit par la lame, traça trois entailles parallèles dans les chairs de la jambe. Pique semblait insensible. Le sang gicla. Germaine était au bord des larmes.
« C’est assez ! répéta-t-elle. C’est plus drôle !
— Je vais te remettre ça, le vieux ! »
Et Pierrot lui cracha au visage.
« Si j’avais envie de pisser, je te pisserais au visage, maudit sale ! ajouta-t-il en se relevant. Tes chanceux ! (p. 109-110)