Marie-Claire Blais, David Sterne, Montréal, Éditions Le Jour, 1967, 129 p. (coll. Les romanciers du jour, no 24)
David Sterne et son ami, Michel Rameau, approchent la vingtaine. Élèves brillants, ils se sont connus au Séminaire et, depuis, ont complètement décroché. Pourtant rien ne destinait ces jeunes hommes à un tel destin. Ils viennent d’une famille bourgeoise, font partie des privilégiés qui peuvent fréquenter un Séminaire, école de meilleur niveau à cette époque.
Rien de concret ne vient expliquer leur déchéance et c’est
le défi de ce roman d’essayer de rendre cela plausible. Commençons par Michel.
Il a une idée fixe : se suicider et, du coup, tuer la souffrance en lui,
une souffrance qui ne le quitte pas. « Une seule chose demeurait : la
souffrance, et seule la souffrance pouvait tout expliquer, résoudre, lorsque
Michel Rameau passait au tribunal de ses pensées. » Paradoxalement, il n’a de
cesse de semer la souffrance autour de lui : il a entretenu des relations homosexuelles
avec des jeunes de 11 ans, il a violé une jeune fille… Il finira par se jeter
du clocher du séminaire qu’il fréquente. « Ma vertu à moi, c’est l’infinie
violence de ma justice, de ma condamnation à mort, vous êtes témoin Seigneur
que ma frêle mort ne connaît pas votre pitié... »
Le cas de David Sterne est un peu différent : on
croirait que l’idée du mal lui est venue au contact de son ami Michel. « C’est
étrange, il n’était pas pervers au départ, c’est comme s’il avait inventé
toutes ses perversions, soudain… » L’idée de la perversion lui plait, le
mal pour le mal, comme un défi lancé à la vie. « Ma vérité, je la voyais,
c’était la nuit verte de ma colère, de mon orgueil inguérissable. » C’est
un peu la mission qu’il s’est donnée, car lui aussi sait que ses jours sont
comptés. Il a quitté le séminaire après le suicide de son ami. Il a quitté sa
famille (son père est historien, un de ses frères est prêtre et un autre,
avocat), vole et se prostitue pour survivre, passe ses nuits dans des tripots
mal famés. On l’a placé dans une école de réforme, il a fait de la prison. Il
finit sous les balles d’un jeune policier zélé.
David va rencontrer sur son chemin François Reine, un
étudiant en droit qui rêve de sauver le monde. Au contact de David, qu’il rêve
de sauver, il va perdre toutes ses illusions. Il est obligé d’admettre que le
mal existe (pas juste sur le plan individuel) et qu’il n’est pas possible de
toujours le neutraliser. Il finit par tout remettre en question (qui suis-je
pour dire aux malheureux ce qu’ils doivent faire?) et conclut que
« l’agonie du monde [est] déjà commencée » : il s’immole par le
feu devant une installation militaire.
Roman choral dans lequel le narrateur donne la plus grande
place au discours des trois « amis », mais aussi à ceux de la mère de
David, du juge qui l’a envoyé en prison, du père Antime son directeur spirituel
au séminaire, de la jeune fille qui a été violée, des jeunes qui ont été
exploités sexuellement.
Ce roman est plus près de Tête
Blanche et du Jour
est noir que d’Une saison dans la vie d’Emmanuel. Il est difficile de
déterminer si l’action se déroule dans les années 50 ou 60, ce qui pourrait en modifier
l’interprétation. Encore une fois, Marie-Claire Blais nous plonge dans
un univers glauque, sans aucune ouverture, ne serait-ce un brin d’humour ou de
tendresse. Tout comme les bons sentiments, trop de mal-être peut devenir lassant.
Marie-Claire Blais sur Laurentiana
La
belle bête
Tête
blanche
Le
jour est noir
Une
saison dans la vie d’Emmanuel
David Sterne
Lesromanciers du jour