27 juillet 2018

Le froid et le fer


Guy Gervais, Le froid et le fer, Montréal, Éd. de la Cascade, 1957, s. p. (Avant-dire de Jean-Guy Pilon)

Le recueil renferme deux parties : la première contient des poèmes versifiées et la seconde, titrée « Du pain de givre », est composée de cinq poèmes en prose.

Le titre laisse présager une certaine sécheresse, sinon une dureté. Et en effet, il n’y a pas beaucoup d’effusions lyriques dans les poèmes de Gervais. On y parle de la nature sans épanchements ou de l’amour sans attendrissement. Jean-Guy Pilon écrit dans « l’avant-dire » que la poésie vise « l’ensemencement des frontières de l’émotion et de la connaissance ». Selon ma lecture, l’approche est beaucoup plus intellectuelle qu’émotive.

Le poète ressent de la  frustration devant un monde qui se refuse : « Encore une soif à tuer / pour que les vertes orages grésillent / et que l’eau vermiculaire / plus que la rude bavure des pavés / laisse mordre sa tendre vérine / au cou de la tolérance ». Ou encore : « Où sont plantés les cris / libres et lourds d’écume / et les souriantes dames ailées / Où sont les chairs brûlées / que je les suce comme un soleil ».

En même temps, on lit une certaine obstination à saisir ce qui peut l’être : « Maintenant que la patience de l’eau s’est creusée / et que l’ombre descend sur mes lèvres / je sais l’oubli murmuré des matins / et le chant neuf à renouveler toujours / pour qu’au fond du visage / ne fleurisse pas un désert d’os ».

La seconde partie « Du pain de givre » touche davantage aux rapports humains, et souvent amoureux. Ici aussi, on ne peut pas dire que le sujet est en harmonie avec son entourage puisque la rupture et tout ce qui s’en suit nourrissent l’inspiration : « Je sens le vent battre le fer chaud dans la plaie, l’assèchement rude bâtir muraille avec la terre sèche du vide ». Ou encore : « Puis l’on cueille sans promesse, et sous les algues douces des espoirs, l’on se détourne déjà — Et le don durci au feu de l’indifférence a cet œil sec et lumineux de fruit stérile ».

À travers les passages cités, il est facile d’observer que Guy Gervais fait un grand usage métaphorique de la nature pour exprimer sa vision du monde.  Le recueil est bien présenté, la mise en page est travaillée, comme on peut le constater dans les pages ci-contre. 

20 juillet 2018

Poèmes et chansons


Ollivier Mercier Gouin, Poèmes et chansons, Montréal, Beauchemin, 1957, 62 p.  [dessins inédits et introduction de Jean Cocteau]

C’est léger, léger comme le sont les paroles d’une chanson populaire. D’ailleurs quelques-uns de ces poèmes sont devenus des chansons, dont l’une (Sous-bois) fut créée par Félix Leclerc à la radio. On a même droit, à la toute fin du recueil, à la partition musicale de cette chanson.

Le recueil est divisé en 5 parties. On y trouve :
— plusieurs poèmes d’amour : « Je voudrais, mon amie, vous dédier ce poème. / Vous me plaisez, c’est vrai et sans hésitation. »
— de courtes réflexions sur la vie : « Il était une fois, / Au cœur d’une ville, / Un fonctionnaire un peu triste, / Dans un bureau assez gris. »
— des états d’âme : « Ma fenêtre est close / La neige tombe lentement / … / Et je suis las infiniment ».
— des rêves éveillés : « Si tu pouvais sortir de ta structure humaine / [...] / Si tu pouvais bondir vers l’étoile lointaine »
— Etc.

Quelques poèmes sont rimés, la plupart en vers libres.

Bien entendu, le principal intérêt du recueil, ce sont les dessins et la dédicace de Jean Cocteau.





13 juillet 2018

L’eau, la montagne et le loup


Guy Arsenault, L’eau, la montagne et le loup, Montréal, Éd. Goglin, 1959, s.p. (Trois bois originaux gravés de Janine Leroux)

Guy Arsenault (né en 1922, à ne pas confondre avec le poète acadien) a la modestie d’ajouter « essais poétiques » en dessous de son titre. En effet, on est en droit de se demander si cette poésie était assez aboutie pour donner lieu à un recueil. Disons-le, le propos n’est pas toujours clair et le discours, suffisamment assuré. Arsenault ose même écrire dans la préface : « Toucher le réel du bout de l’âme, peut-être en ne touchant rien du tout… »

Sentier nord
En exergue : « celui qui va du Nord au sud / …et les autres à la lune ». Le poète décrit la démarche de celui qui cherche. « Je déblayais mon premier sentier… » On comprend vite que ce sentier est une allégorie de la vie : « Mais où est la vie, si elle n’est pas là, toute concentrée dans ces rares moments de lucidité intérieure? »

Comme d’un oiseau
« Terres du Nord, arides et sèches, traîtres comme des chats sauvages aux aguets d’une distraite illusion. » Dans cette partie, Arsenault réfléchit sur la petitesse de la destinée humaine : « Le père a vécu pour le fils, mettant en lui l’illusoire espoir de tout ce qu’il n’a pu être… »

Et le loup
À travers la figure du loup, le poète revendique le droit à une certaine marginalité : « le masque de la vertu voile parfois la grimace d’une obligatoire normalité. »

Paroles de feux-follets
« Ma stupeur fut grande quand soudain, des murmures de voix s’élevèrent en crescendo… » On vient d’entrer dans la « petite cosmologie » de l’auteur. Des voix lui parlent, voix de la nature, de la conscience, de l’égalité sociale…

Poésie et philosophie font rarement bon ménage. Ici, on se demande laquelle est au service de l’autre. Les réflexions, les états d’âmes, que nous sert Arsenault, racontent le laborieux cheminement intérieur d’un jeune adulte à la recherche de ses repères.

6 juillet 2018

Broussailles givrées


Guy Robert, Broussailles givrées, Montréal, Éditions Goglin, 1959, 71 pages. (Bois gravé original de Janine Leroux)

Le recueil renferme quatre parties. 

Broussailles
Le recueil s’ouvre sous le signe de la joie, de l’étonnement ravi, ce qui n’est pas si commun dans la poésie des années 1950 : « ma broussaille secoue son hiver / et vienne enfin le printemps joyeux / gambader aux prés verts et sonores ». La nature, l’art, des souvenirs d’enfance, le plaisir des lieux physiques, les pratiques culturelles étrangères… la poésie de Robert court un peu dans tous les sens. Et l’émerveillement du départ s’assombrit parfois sans jamais s’éteindre.

Rectangles
Ce sont littéralement des poèmes-rectangles. Il n’y a pas de ponctuation et on a l’impression qu’ils ont été produits en écriture libre à la manière surréaliste. On peut y lire une révolte contre l’étroitesse du milieu et le besoin de larguer tout ce qui amenuise la vie. 

 Ce matin encore
« Je suis de mon enfance / comme d’un pays / que j’aime bien / et où je suis né : / mais j’ai connu l’exigence / d’un tout autre pays / où l’on ne vit pas bien / et où je veux batailler. » S’approprier la vie, vivre pleinement, combattre sont des verbes qui décrivent bien l’état d’esprit du poète. « j’affronte l’avenir / d’un immense élan / d’une fraternité refoulée / mais quand même ouverte / et fraîche et verte / Cézanne je te comprends ». Le langage peut sembler emprunté à l’Hexagone; sans la dimension politique, toutefois. 

Cris de joie
Cris de joie? Cris de révolte, plutôt! L’auteur s’oppose à l'ordre établi et pointe du doigt la vieille idéologie traditionnelle : « incendie les cloîtres de bure méditative / déserte l’encens des églises sermoneuses / ignore les remontrances de mère-Prudence / tourne le dos à l’honneur de tes pères / et va ta route d’eau de vie ». Encore une fois, ça se termine par un appel à la liberté. 

Comme le dit Gilles Marcotte, la poésie de Guy Robert n’est pas originale et souvent facile. Doit-on parler d’influence ou de clin d’œil à des poètes admirés, mais souvent on a l’impression de relire un vers de ses collègues : Hébert, Pilon, Lapointe, Beaulieu, Hénault…

La critique de Gilles Marcotte