Napoléon Legendre, Sabre et scalpel, Québec, Éditions de
la Huit, 1998, 237 pages.
Ce roman est d’abord paru en 1872
dans l’Album de la Minerve. On a sous la main sa première
édition en livre.
Gilles Peyron a ourdi un plan machiavélique
pour détrousser une jeune héritière, orpheline de surcroit. La jeune fille,
Ernestine Moulins, vit avec un oncle et une tante, vieux garçon et vieille
fille, dans une espèce de château à Cap-Rouge. Peyron s’est associé deux
complices dans l'affaire : un médecin (Giacomo Pétrini) et un ancien
marin (le père Chagru) qui agit contre
son gré. Le plan de Peyron est simple : d’abord investir les lieux et
ouvrir le chemin au docteur Giacomo
Pétrini, lequel doit séduire la jeune fille, l’épouser et faire disparaître le
vieux garçon et la vieille fille.
Peyron se fait engager comme intendant.
Par son zèle, il se rend indispensable. Sa position assurée, il simule une maladie, ce qui assure à Pétrini
ses entrées dans la maison. Ce dernier en profite pour faire sa cour. Tout
irait pour le mieux sans Gustave Laurens, un beau jeune militaire, dont la sœur
était la meilleure amie d'Ernestine. Il est amoureux d’Ernestine. Le père
Chagru, engagé sur la ferme, qui est honnête au fond, écrit à Laurens une
lettre anonyme dénonçant Peyron et Pétrini. Landens découvre bientôt que Pétrini
et Peyron ne sont rien d’autres que deux des anciens chefs de la bande de
Cap-Rouge. Il y a quelques années, ils ont fabriqué de la fausse monnaie qu'il
écoulait entre autres à New-York. Ils ont échappé à la justice.
Dans la même semaine, Pétrini et
Laurens demandent la main d'Ernestine. Laurens est bien décidé à démasquer Pétrini
et Peyron. Voyant que leur plan allait être découvert, les deux filous décident
de le modifier : ils font enlever la jeune fille et la gardent captive dans une
grotte aménagée de l'époque où ils étaient faux-monnayeurs. Ils visent
dorénavant une rançon. Laurens finit par accuser publiquement Pétrini et
Peyron. Les deux s'enfuient dans la grotte. Le lendemain, Laurens donne
l'assaut avec l'aide de quelques soldats. Il tue lui-même Pétrini. Peyron y
perd aussi la vie. Dans l'épilogue, on apprend que Laurens et Ernestine sont
fiancés.
L'édition de Rémi Ferland est
très soignée. À la fin du livre, on retrouve 30 pages de notes, certains écrits
de Legendre, une critique de Faucher de
Saint-Maurice et un survol de sa vie et de son œuvre rédigé par Camille Roy
lors de son décès survenu en 1907.
Legendre a écrit un roman
d'aventures dans la plus pure tradition.
Rémi Ferland, dans sa belle introduction, décrit bien la portée et les
limites d’un tel roman :
« En somme, Legendre se veut
convivial et entretient avec son lecteur, rangé, ainsi que lui, parmi les «
gens d'esprit », une connivence amusée, évidemment toujours honnête, marquée au
coin de la finesse et du goût, selon le sens qu'avaient ces mots dans le siècle
dernier.
C'est dans cette perspective
qu'il faut lire le roman Sabre et scalpel,
soit à la manière d'un divertissement d'antan. Une belle héritière, un tuteur
naïf, deux prétendants, l'un fourbe et dissimulé, l'autre dévoué et franc, des
vilains et des justes ; un sombre galetas, un riche manoir isolé, une caverne
secrète et labyrinthique ; un complot, un enlèvement, des scènes de bataille,
un amour idyllique ; enfin, après mille embûches, un dénouement heureux et
enchanteur : l'œuvre se classe sans équivoque parmi les romans d'aventures, ce
premier mouvement romanesque de notre histoire. Conventionnée ainsi qu'un jeu,
la narration, bien sûr, comporte de nombreuses invraisemblances, et ce serait
un autre jeu de les relever toutes, en même temps que les poncifs qui les
accompagnent. Mais l'intérêt d'une relecture aujourd'hui est ailleurs. On ne
saurait pas juger des œuvres anciennes selon les critères actuels ni ne retenir
que celles qui laissaient présager ce que notre littérature deviendrait. S'il
faut étudier avec équité le corpus québécois du siècle dernier, toute
production sera replacée dans son contexte. » (p. IX-X)
Napoléon Legendre - BAnQ |
Étonnamment, ce roman se lit
encore très bien. Legendre ne surcharge jamais le récit comme c’est souvent le
cas des romans du XIXe siècle. L’écriture est fluide et on peut passer à
travers le livre sans qu’on ait besoin de consulter les nombreux renvois, placés
judicieusement à la fin et non au bas des pages.
Extrait
À ce moment, la portière se souleva doucement ; Ernestine
se retourna ; Pétrini était devant elle, pâle, les vêtements en désordre et un
doigt sur la bouche.
« Chut ! fit-il, pour réprimer un cri qui allait
s'échapper des lèvres de la jeune fille : ma vie et la vôtre sont en danger,
silence !
- Mon Dieu ! murmura-t-elle tout bas, en tendant les
mains vers Pétrini, c'est bien vous ? Alors je suis sauvée ! »
- Pas encore, dit-il en serrant les deux mains qu'elle
lui tendait, mais nous allons au moins y travailler. Que je me remette un peu.
Ah ! j'ai eu bien du mal pour parvenir jusqu'ici et vous trouver. »
Deux grosses larmes roulèrent sur ses joues et il se
laissa tomber sur un banc, comme écrasé par la faiblesse et l'épuisement.
Décidément c'était un grand comédien que Giacomo Pétrini.
Quand il eut soupiré et qu'il se fut essuyé le front
pendant plusieurs minutes, il reprit d'une voix presque mourante :
« D'abord laissez-moi vous dire que j'ai vu votre oncle
ce matin ; il est triste mais plein d'espoir. Ah ! s'il pouvait savoir,
maintenant, que je vous ai retrouvée ! »
— Mais il le saura bientôt, n'est-ce pas ?
— Si je sors d'ici vivant, je vous le jure !
— Dieu ! est-ce que vous seriez prisonnier, vous aussi ?
— Chut ! ne parlez pas si haut. Vous ne connaissez pas le
lieu où vous êtes. C'est une immense caverne, remplie de bandits et d'armes de
toute espèce. À l'heure qu'il est, nous sommes entourés, et, d'un moment à
l'autre, si l'on soupçonnait ma présence ici, on pourrait me tuer sans merci.
— Alors nous sommes donc perdus, grand Dieu ! »
— Pas encore, je vous l'ai dit. C'est une espèce de
miracle qui m'a conduit ici. En battant la forêt — car depuis hier nous sommes
tous à votre recherche —, j'ai trouvé dans la montagne une fissure dans
laquelle je me suis engagé, poussé par la Providence sans doute. Après des
efforts inouïs, je suis parvenu jusqu'à vous. Tout me porte à croire que ce
chemin par lequel j'ai passé n'est pas connu des bandits qui vous retiennent
prisonnière, car il n'était pas gardé. Cependant ils sont là sept ou huit dans
la caverne voisine, j'ai entendu leurs voix. Si je puis retourner par le même
chemin sans être vu, nous reviendrons en force pour vous sauver; mais si je
suis découvert... (page 129)
À consulter : Les éditions
huit