André Major, Holocauste à 2 voix, Montréal, Atys, 1961,
53 p.
Major
écrit dans l’un de ses Carnets : « La
poésie, pour moi, emprunte désormais l’aléatoire détour de l’anecdote, elle
fait vœu de pauvreté, sinon de chasteté, elle tend au silence plutôt qu’à
l’éloquence, elle prend la figure de l’ignorant que j’ai toujours été, elle
suit ma pente dans le fol espoir d’étreindre une vérité plus improbable que
jamais. » (Prendre
le large,
2012)
On
ne reconnait pas André Major dans ce recueil qui donne dans un romantisme
grandiloquent. Gilles Marcotte écrit le 20 janvier 1962 dans La Presse :
« André Major est sincère, énormément : cela se voit à l’œil
nu ». Cependant, le reste de sa critique est sans appel : « Ce
ne sont qu’images torturées, forcées, indigestes, allant plus souvent qu’il ne faut
à la frontière du ridicule. » Pour employer les mots mêmes de Major, dans
sa réponse à François Dumont, à propos de la dernière phrase du recueil (« QUI
VEUT VIVRE S’ARME »), les « excès de rhétorique » sont très nombreux.
Major enchaîne en disant qu’il ne voyait pas d’autres façons de secouer
l’immobilisme dans lequel était plongé le Québec.
Va
pour la situation sociale mais, s’il se peut, le style est encore plus chargé
quand il parle d’amour : « Des flaques bien sales tapissent / l’aube
masturbée / et nos corps en roulent de soif / nos corps aspergeant d’ombre / la
forêt monastique ». (Je m’attire à toi). On lit aussi cette surenchère
stylistique quand il délivre ses états d’âme : « Mon cœur me tuera /
à force de faim et de soif / Yeux traqués bouées de mes braises / fondez le
froid / J’aime les rayons qui me cendrifient / Étrange passion de flamber / aux
torches des regards ». (Je veux vivre)
Inutile
d’en rajouter, Major se cherche, expérimente, et de toute évidence tente de
faire du bruit, de secouer le pommier. Situons-nous dans le temps. On est en
1961, avant Parti pris, avant le RIN, le FLQ, etc. Personne dans les années 50,
hormis Gauvreau, ne pratiquait une telle esthétique de l’excès.
Le
recueil compte deux parties. Dans « L’amour – Amour », le poète exprime
ses sentiments amoureux, heureux ou malheureux, sa solitude, ses espoirs, son désir
de vivre, ses relations d’amitié (un poème est dédié à Langevin et Gauguet). Dans
la seconde partie, « La peur du froid total », le poète questionne sa
présence au monde, évalue sa position sociale, ses engagements. Il dénonce un
monde déshumanisé, clivant, aliénant, lâche. Le mot « Québec » n’est
jamais prononcé, le discours demeurant assez général.
Voici
le début de « L’âge d’or de la barbarie » :
L’Occident ronfle
de son sommeil d’ogre
Son ombre de bête renifle les flancs
de ceux qui creusent leur trou d’angoisse
Et les canons ont les nerfs à fleur de bouche
Les mers ne broutent plus les rivages à l’aise
Leur peau est plaquée d’huiles
D’étranges bolides les crevassent
mais elles ont de fausses marées
Les mers ont mal elles se taisent
L’Occident n’a pas le courage de sa puissance
et de ses crocs
Il va exploser d’orgueil fauve
L’œil des habitants a couleur de ruines
Les fleurs comme tous les pièges de la Terre
n’ont plus la beauté certaine et les corolles bien fraîches
La
publication du recueil ne fut pas réalisée sans problème : « Peu
avant la publication d’Holocauste à 2 voix, Langevin disparaît
à nouveau. Et quand l’imprimeur Pierre Guillaume m’appelle, j’apprends qu’encore
une fois les frais d’impression n’ont pas été payés, mais qu’il me fera un prix
d’ami si je l’aide à coller la couverture et à installer le bandeau Jasmin sur
la centaine d’exemplaires. Cette fois, c’est mon père qui en fera les frais. Il
n’avait pourtant jamais été question de compte d’auteur. Encore là, je dois
m’occuper de la distribution et du service de presse. » (Major cité
dans : Michel Biron, François Dumont, André Major, Montréal,
Boréal, 2021.)
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François Dumont : « Déjà, en 1961, les mots qui
concluaient Holocauste à 2 voix, « QUI VEUT VIVRE S’ARME »,
annonçaient ce que vous écririez deux ans plus tard dans Liberté :
« La lutte est engagée, et on peut être assuré que plusieurs d’entre nous
la feront les armes à la main »…
« C’était là un excès de rhétorique dicté
par le fait que je ne voyais pas d’autre issue à notre immobilisme politique.
Je misais sur la menace de cette violence appréhendée pour provoquer une prise
de conscience dans les milieux politiques et peut-être même au sein de la
population. Le Québec d’alors semblait résigné à reproduire son passé. Même le
Frère Untel avait été mis en pénitence pour avoir osé dénoncer ce qui sautait
pourtant aux yeux. Dès qu’une parole libre se faisait entendre, on la muselait.»