Graindesel (Damase
Potvin), Le « membre », Québec,
Imprimerie de l’Événement, 1916, 159 pages.
Le père de Donat Mansot « possédait
le plus beau lot du grand rang de la paroisse de Sainte-Artémise de Trou-en-Mer. »
Contre la volonté de son père, qui souhaitait en faire un prêtre, Donat est
devenu journaliste, puis député. Malgré tout, il tire le diable par la
queue, ce que son vieux père ne lui pardonne pas. Il perd assez rapidement
toutes ses illusions quant à ses chances d’avancement en politique, en partie à
cause de ses origines paysannes. Un jour la chance lui sourit : il sauve
le premier ministre d’une noyade certaine, ce qui lui vaut d’être nommé « président
du comité des bills », un poste qui le met en contact avec les lobbyistes.
À la première occasion, désirant sortir de la dèche, il se laisse
corrompre : il accepte un pot de vin d’une compagnie américaine qui veut
implanter une immense bananeraie au Labrador (vous avez bien lu! Ils veulent
détourner les icebergs, modifier le climat…). Un journaliste, au fait de la
tentative de corruption, le dénonce. Mansot est sacrifié par son parti et il
décide de revenir au métier qu’il n’aurait jamais dû quitter : paysan.
Quel roman étonnant! Il commence
par une scène du terroir, on se déplace à New York en passant par le parlement,
on trempe dans la science-fiction (le Labrador en bananeraie) et même dans le
thriller politique, pour terminer par le monde paysan. L’humour est très présent
et la critique très acerbe face aux gouvernants. Qui a dit que le cynisme des
électeurs face à l’autorité était un phénomène récent?
Le fil du récit est tout de même assez
mince et parfois abandonné pour permettre à l’auteur quelques morceaux de
bravoure. Ainsi au chapitre 10, on a droit à une séance du parlement dans laquelle les intervenants y vont de
discours plus loufoques les uns que les autres. (Lire l’extrait).
Chez Potvin, le roman sert
souvent la thèse agriculturiste, et la fin de celui-ci tombe dans ce panneau trop
facile. Malgré quelques longueurs, Le « membre » vaut le détour.
Extrait
Le représentant d’un comté rural
tomba en plein dans l’aviculture. La population, fit-il remarquer, n’accorde
pas assez d’attention à la science de l’aviculture. Au lieu de se lancer à
corps perdu exclusivement dans la culture du trèfle, nos cultivateurs devraient
prendre plus de moyens pour faire pondre leurs poules. J’ai entendu dire,
continua cet ingénieux et pratique député, que la musique, et particulièrement
le piano, avait le pouvoir d’accentuer d’une façon merveilleuse les fonctions
de la ponte chez les poules… On jouerait tout simplement du piano aux
gallinacés. On augmenterait le rendement des œufs, on diminuerait leur prix et,
du même coup, on ferait l’affaire des marchands de pianos à la campagne dont on
pourrait, ensuite, taxer les ventes, ce qui fournirait un nouveau revenu au
gouvernement. On pourrait aussi classer les œufs plus facilement. Nous aurions,
sur les marchés, les œufs Rossini, les Massenet, les Strauss, les Beethoven qui
seraient naturellement plus chers que les œufs à la Sousa, à la Petite
Tonkinoise ou à la Matchiche. On vendrait pour les dyspeptiques, les œufs
pondus aux accords de la marche funèbre de Chopin. (p. 89-90)
Damase Potvin sur Laurentiana