Éva Senécal, La course dans l’aurore, Éditions de la Tribune, Sherbrooke 1929, 160 pages (Préface de Louis-Philippe Robidoux).
Ce recueil a remporté le Prix d'Action intellectuelle de l'Action catholique en 1929. L’autrice avait publié Un peu d’angoisse… un peu de fièvre deux ans plus tôt. L’édition est soignée : le livre est édité sur du papier de qualité, chacun des poèmes est précédé d’un bandeau et suivi d’un cul-de-lampe.
Le recueil compte quatre parties.
Le poème liminaire, qui donne son titre au recueil, développe un thème qui sera très présent au début du recueil : le rêve. L’ailleurs est représenté comme un pays fantastique où tout n’est que beauté et enchantement.
Le beau rêve
Cette partie est un développement du poème liminaire : « Partir par un beau soir, quand l’horizon se dore, / Lorsque la fleur mourante a des gloires d’aurore, /…/ Partir, vagabonder, aller à l’aventure / Boire au plaisir divin de la fraîche nature ». Cet ailleurs tant souhaité prend parfois un autre visage : « J’ouvrirai devant toi des portes de Science /… / J’effeuillerai pour toi des pages de l’histoire ».
Azur et beauté
La nature est au cœur de la seconde partie. Mais une nature animée, érotisée parfois, dans laquelle la poète projette ses désirs : « L’insecte, las d’aimer sa compagne jalouse, / Dort, roulé dans un brin d’herbe de la pelouse / Pendant que, follement, un jeune dahlia / Baise la rose, à qui la brise le lia. »
L’heure amoureuse
Même si l’expérience amoureuse a été décevante, elle continue de rêver au grand amour. En fait elle n’y croit plus et se permet même d’ironiser : « Vous dites, ému, le cœur ivre, / Que vous saurez m’aimer toujours. / Pauvre ami!... Vous croyez donc vivre / Bien peu de jours. » […] « On disait : “Ce soir il emporte, / Mon cœur! Et moi j’aurai le sien.” / Hélas! Plus d’un reste à la porte, / J’ai souvent trouvé là le mien. » Les titres sont assez révélateurs : « Pour vous mystérieux inconnu », « Après l’adieu », « L’éternelle chimère », « Va-t’en cruel amour ».
Chimères et douleurs
Cette partie est une longue plainte, plainte sur elle-même, sur la vie qui passe, sur les amours perdues et les rêves brisés : « Ah! pauvre étrange vie… On souffre et l’on te chante, / On ment pour faire croire à la gaité des jours… »
« La Course dans l'aurore ne répond pas en tout à mon idéal théorique. Avec le goût un peu blasé de ceux qui ont trop lu, j'imaginerais une poésie moins effusive, dont l'idée se concentrerait sur des thèmes plus subtils et dont les ardeurs garderaient une retenue discrète ; ayant plus de dessous, de secondes intentions, de sens à deviner, de lueurs tamisées et adoucies; — une poésie plus soucieuse de mouler la pensée en des calques définitifs; plus réfléchie et plus ouvrée, en somme plus compliquée et plus adulte. » (Louis Dantin)
Dessin de l’autrice |
NOS JOIES
Toutes nos joies sont de fragiles choses,
Faites de peu, souvent faites d’un rien;
Ce sont des fleurs, dans nos âmes écloses,
Qui, pour s’ouvrir, ont assez d’un matin.
Vivant très peu, elles meurent sans causes,
Tranquillement, au hasard du chemin.
Et l’on s’arrête et l’on a des névroses,
En attendant ce que garde demain.
Ce n’est parfois qu’un espoir qui s’achève,
Un court instant, plus souvent moins qu’un rêve,
Que l’on a cru retenir dans sa main.
L’heure s’en vient, à l’autre heure pareille,
On rit, on pleure et soudain l’on s’éveille,
L’âme plus sage et le cœur plus humain.