Éloi de Grandmont, Le voyage d'Arlequin, Montréal, Les
Cahiers de la file indienne, 1946, 37 pages (illustré de 5 encres à pleine
page d’Alfred Pellan).
En 1946, les maisons d’édition consacrées à la poésie n’existent pas. Pour publier, il faut faire appel à un
éditeur généraliste et, le plus souvent, assumer les frais d’édition et de
distribution du recueil. C’est dans ce contexte qu’Éloi de Grandmont et Gilles
Hénault fondent « Les cahiers de la file indienne ». Comme
les deux ont fréquenté Pellan et les automatistes, ils adhèrent, du moins par l’esprit, à
l’esthétique surréaliste.
La maison d’édition va publier
cinq recueils de poésie et une pièce de théâtre : Le voyage d’Arlequin (1946) d’Éloi de Grandmont, Théâtre en plein air (1946) de Gilles Hénault, Les sables du rêve (1946) de Thérèse Renaud, Les équilibres illusoires (1948) de Pierre Yve Le Baron, L’Ogre (1948) de Jacques Ferron et Modo
pouliotico de d’André Pouliot (1957). Seulement les trois premiers feront
l’objet d’une collaboration entre écrivain et artiste (dans l’ordre :
Pellan, Daudelin et Mousseau). Le Baron illustrera lui-même son recueil tandis
que la pièce de Ferron et le recueil de Pouliot ne seront pas illustrés.
Le Voyage d'Arlequin fait partie des
Livres
québécois remarquables du XXe siècle selon Claude Corbo. Il est vrai que
les dessins de Pellan, en lien avec le contenu du livre, sont parmi les plus beaux de l’édition littéraire au
Québec. C’est peut-être un peu moins vrai pour ce qui est du contenu poétique
du recueil. Même si on sent le passage du surréalisme à l’occasion, on constate
surtout que la plupart des poèmes sont composés de quatrains, parfois rimés, parfois
constitués de vers d’égale longueur (isométriques), toujours avec une majuscule au
début.
En choisissant la figure
d’Arlequin, le poète inscrit son recueil sous le signe de la légèreté et de la
fantaisie. La libération ne passe pas dans ce recueil par un rejet rageur d’une
morale sclérosée comme on le verra chez quelques poètes des années 50, mais
plutôt par la recherche d’un bonheur simple, affranchi de toutes contraintes : « Ah!
N’avoir jamais de répit et / Et toujours essouffler la joie ». Ou encore
plus parlant : « Mes mains sont si pleines de roses / Que j’improvise
le bonheur ». Ce qui ne veut pas
dire que le poète ne déplore pas une certaine vie
rapetissée : « Et, souvent sur les portes ouvertes / Nous
marchons, battus, dans nos dos ronds ». Comme on le lit dans le dernier
extrait, plutôt qu’une situation clérico-sociale, c’est un état d’esprit qui
empêche l’individu de s’affranchir, de mordre dans le bonheur : « La
danse, plus jamais, n’achève / Son geste à peine commencé. / Et j’écoute les
pas du rêve / Marchant sur un thème passé. »
Le recueil s’assombrit peut-être
légèrement dans les derniers poèmes. Il évoque la guerre (« Ciel vidé
d’ombre et encombré / De nouveaux astres aux clameurs / De fer-blanc »),
la solitude (« Plus personne à sa voix / Ne retrouve son corps ») et une certaine fragilité du bonheur : « Maison sans portes ni fenêtres,
/ Maison du vent et des passants. »
Un procédé que De Grammont
explore à fond consiste à adjoindre un verbe « animé » à un objet inanimé, par exemple dans le poème II : « La fenêtre a baissé les yeux »;
« Le dessin découvre la feuille » ; « Le paysage ne dort
pas ». Mais ce processus de métaphorisation n’est pas, ici, assez audacieux pour qu’on puisse vraiment se
sentir dans un recueil surréaliste.
Sur
Éloi de
Grandmont : Marie-Christine Lalande,
Nuit blanche, magazine littéraire, n° 90, 2003, p. 38-41