Lorsque surgit la Crise, le
gouvernement décide d’ouvrir de nouveaux territoires à l’agriculture en Abitibi
et au Témiscamingue. Certains ouvriers en chômage mais aussi des agriculteurs
désireux d’améliorer leur sort se lancent dans l’aventure. Accompagnés d’un
curé et soutenus par des subventions pendant les premières années, les colons
souvent sans expérience ont vite fait de découvrir la difficulté de la tâche
qui les attend. Largués en pleine forêt vierge (dans le cas présent, dans un
brûlé), il leur faut d’abord abattre des arbres pour tracer une route. Puis,
ils doivent dégager un espace afin d’ériger un campement temporaire, soit une
cabane en bois ronds. Quand celle-ci tient debout, ils font venir femme et
enfants. Au début, les travailleurs travaillent ensemble. Au début, les travailleurs travaillent ensemble. Commence alors le dur travail de défrichement : il faut couper les
arbres, essoucher le terrain et faire brûler les restes, ce qui doit leur permettre
d’ensemencer un petit bout de terrain lors de la deuxième année. Et bien
entendu, tout en travaillant pour soi, il faut prévoir l’église-école de monsieur le curé. L’hiver, pour gagner de l'argent, les hommes montent dans les
chantiers. Il va sans dire que certains plient bagage assez vite.
C’est ce que raconte Hervé Biron
dans Nuages sur les brûlés. Il n’y a
pas vraiment d’action romanesque dans les cent premières pages. Souvent
l’auteur se contente d’une vue d’ensemble, ce qui rapproche son roman du
documentaire. On présente quelques familles sans s’arrêter à une en
particulier. Dans les 100 pages suivantes, on a droit à une action dramatique.
Deux familles ressortent du lot, surtout que leurs enfants se
fréquentent : les Hamelin, une famille exemplaire, et les Lacourse, une
famille problématique à cause du père alcoolique. Armande Hamelin est amoureuse
de Freddie Lacourse. Tout irait pour le mieux sans le père Lacourse qui a
contacté d’énormes dettes. Quand son fils revient du chantier, il saisit ses
gages et va les dépenser à Rouyn.
Freddie est obligé de travailler
pour un usurier qui menace de faire emprisonner son père. Il retarde ainsi son
installation sur sa propre terre et son mariage. Il bûche illégalement du bois
sur un lot qui appartient à des Anglais au profit de l’usurier. La police l’arrête
et il passe trois mois en prison. Il perd son Armande. Le temps passe, il sort
de prison, travaille un temps à Rouyn, mais finit par rentrer au bercail.
Armande est toujours là, toujours amoureuse de lui, même si entre-temps elle est
sortie avec un autre gars. Elle lui pardonne, ayant compris qu’il n’avait
fraudé la loi que pour sauver son père. Ils s’épousent. Le roman se termine
quand Armande met au monde des jumeaux, une fille et un garçon.
D’autres auteurs ont abordé le
même sujet : Damase Potvin dans Le Français, Claude-Henri Grignon
dans « Réconciliation », une nouvelle du Déserteur, Marie Le Franc dans La rivière solitaire, Marie-Victorin
dans « Le colon Lévesque », une nouvelle de Récits laurentiens, et Félix-Antoine
Savard dans L’Abatis. J’avoue ma préférence pour
le roman de Marie Le Franc.
Extrait
L'aventure avait commencé un
matin de juin, au centre du canton Motltbeillard. Il n'existait encore qu'un
chemin de pénétration. À un mille de distance l'un de l'autre des rangs tracés
par les arpenteurs au moyen de marques sur les arbres - des trails -
indiquaient le site des routes futures.
C'est à l'une de ces
intersections qu'ils descendirent. En tout, une vingtaine d'hommes et de jeunes
gens. Des vêlements d'étoffe, des bottes à épaisses semelles et des casquettes
de drap gris leur conféraient une allure de rudes bûcherons. Mais la gaucherie
des citadins se décelait bien vite en eux. Le chômage, la misère, les
humiliations leur courbaient le dos. Leurs mains décharnées semblaient avoir
désappris le maniement des outils.
La désolation des lieux frappa
leur imagination. Pas un arbre que les feux auraient laissé intact. A perte de
vue, des brûlés. Des bouleaux sans branches et sans têtes, comme des colonnes
de marbre torses. Des épinettes noires calcinées. Des massifs d'aulnes. Des
mares à grenouilles.
— Nous v'ia dans un beau trou !
cria Saul Gendron, en arrachant de rage
sa casquette pour se gratter le sommet du front. Ça prend des
enfants de chiennes pour nous amener icitte !
— Attention à ton pack-sack !
lança Oscar Langlois.
La lourde besace de toile venait
de glisser dans un lit de boue. Gendron hurla un chapelet de jurons. Son gros
ventre frémissait d'indignation.
— Faut pas s'en faire,
dit Ovide Hamelin. On n'est pas venu icitte pour danser des sets
et chanter des chansons à répondre. C'est pour faire de la terre.
Si les arbres sont à moitié
brûlés, tant mieux ! Ça sera
moins dur à
bûcher. J'aimerais autant les
voir tous à terre, et les souches pourries, par-dessus le marché. Préfères-tu, Saul, aller quêter ton piton de
chômeur ?
— On peut pas, batême, sortir
d'un enfer sans sauter dans un
autre ?
— M'est avis qu'on va en sortir
de celui-là, reprit Hamelin. Donne-moué queuques années, moue pis mes gars.
J'te dis qu'on va la néteyer, la vingt-gueuses de terre !
Cet accès d'optimisme étonna tous
les auditeurs. Quelques-uns baissèrent de nouveau la tête; d'autres
s'approchèrent d'Hamelin pour continuer la conversation.
Un beau type d'homme, Ovide Hamelin. D'une taille moyenne,
le visage profondément labouré par les rides, les yeux vifs comme des tisons,
les membres souples, l'activité l'empêchait de tenir en place. Il mâchait sans
cesse, parlait vite, par saccades, et déployait largement les bras quand il
exposait ses idées. (Pages 14-15)
En 1958, le roman a inspiré un film à Bernard Devlin, produit par l’ONF : Les
Brûlés
Hervé Biron sur
Laurentiana