27 novembre 2015

Les Poèmes de la sommeillante

Micheline Kline Sainte-Marie, Les Poèmes de la sommeillante, Montréal, Éditions Quartz, 1958, s. p. (Collection : Le refus de la colombe) (dessins de Klaus Spiecker)

Le recueil compte trois parties : « Poèmes pour l’Haggadah » et « Poèmes de la sommeillante » et « Dormir Vivre Dormir et se réveiller ivre ».

Poèmes pour l’Haggadah et le passage
Cette partie ne compte que trois poèmes et elle comporte des références religieuses. Intitulé « A mon fils », le premier poème plonge le lecteur dans la culture juive, et il est difficile de déterminer si le propos est personnel ou la contrefaçon d’un discours religieux. Dans un paysage apocalyptique, la poète essaie de tracer une voie à son fils : « tu lèveras ta main comme un sceptre / nous parcourerons (sic) les rues en cendres / jésus-joad-emmanuel-c ». Il me semble que ce motif de l’intégration dans une culture religieuse est aussi lisible dans le second poème : « des prophètes mille illuminés s’agenouillent et brandissent leur descendance / … / et t’appellent et te tirent et cisaillent mon doux sein paré d’escale ». Par contre, dans le troisième poème, la poète s’adresse à Jésus et le discours ressemble à celui d’une femme qui veut s’affranchir de certaines croyances : « le mal grandit avec son écho dans l’habitation vide / et avec lui le cerne étroit du premier dard ». Ou encore : « cette fille aux seins allongés qui parlait de prière / parlant aujourd’hui d’eau même / qui nous dit sa parabole / son amour va au guide des caravanes ».

Poèmes de la sommeillante
C’est un peu la même démarche que je lis dans la seconde partie, celle d’un affranchissement, mais cette fois-ci, d’une situation amoureuse qui finit par devenir un carcan : « je n’irai pas vers la mer dit Sofia je resterai / sur la berge de l’île ici / où je peux rester moi-même […] ». La sommeillante prend conscience que cet « amour sans racine » n’est pas viable : « les vents tournent sur leur tige / et la sommeillante découvre ses prunelles ». Au sortir du sommeil, la femme retrouve ses repères en tant que femme (Femme comme lieu et lande) mais aussi sa capacité à habiter la société (Éveil de l’œil).

« Dormir Vivre Dormir et se réveiller ivre » (Cocteau)
Le motif du sommeil est toujours présent, mais davantage lié à celui du songe. Cette amoureuse qui sommeille, c’est aussi celle qui rêve. Et toujours la même constatation : « ainsi le sommeil et sa proie l’acquiescement ». Cette partie, plus accessible, nous aide à comprendre ce qui précède : « je suis la sommeillante au milieu des filets / et je suis la proie / en ce lieu du gémissement ». Et toujours le même dénouement : « la sommeillante debout dans le songe qui croule et se diffuse ».

Cependant, les deux derniers poèmes du recueil nous amènent plus loin, il me semble sur un plan plus philosophique : « un sommeil que je décris cherche ses liens / l’être écrasé poursuit son évasion / et tend les poignets à des chaines intérieures / la mystique n’est que nervure et voile / de l’absolu à la connaissance ». Ce besoin d’aller vers le plus-grand-que-soi est affirmé dans les derniers vers du recueil : « CAR / le signe demeure / temple / et abondance de génération ».

Vous l’avez sans doute deviné à la prudence de mon texte, il est un peu hasardeux de se lancer dans l’interprétation d’un tel recueil. Il est bien évident que l’auteure tente de brouiller les pistes trop faciles à suivre. Ceci dit, il est étonnant que cette auteure n’ait pas persévéré.


FEMME COMME LIEU ET LANDE

Femme à la fenêtre du désir et qui fixes ton œil pensif
                                     sur la plaie incendiaire
femme des pardons femme des tolérances et fertile
eau et lait jeune sanguine à l’aile lourde
l'algue et la sargasse t’immergent et te continuent
jeu de l’attraction et du symbole retiré

comme tu conserves bien l’irrigation paisible du sang
et la crue immémoriale du lieu sur l’être:

SOMMEIL



20 novembre 2015

La Duègne accroupie

Michèle Drouin, La Duègne accroupie, Montréal, Éditions Quartz, 1959, n.p. 

Selon le HELQ, ce serait le refus de l’Hexagone de publier leurs œuvres qui pousse Diane Pelletier-Spiecker et Micheline Kline Ste-Marie à créer les éditions Quartz en 1958. La petite maison d’édition ne publiera que cinq recueils : Les Affres du zeste (1958) de Diane Pelletier-Spiecker, Les Poèmes de la sommeillante (1958) de Micheline Kline Ste-Marie, Objets de la nuit (1959) de Jean-Paul Martino, La Duègne accroupie (1959) de Michèle Drouin et Once & Some Words between the Minutes (1960) de Peter Byrne.

Le recueil compte trois parties : «Le Poème de la duègne accroupie» (13 poèmes); «Le Poème de la mer habitée» (6 poèmes);  «Stèle des îles» (14 poèmes).

Il n’y a pas que le titre qui soit déroutant dans la Duègne accroupie de Michèle Drouin. L’auteure fait preuve d’une grande liberté dans le choix du matériau textuel, en d’autres mots, d’un certain hermétisme. Il faudrait un travail de moine pour décortiquer le recueil, pour en comprendre tous les mécanismes de développement du sens. Et probablement que la psychocritique y trouverait un matériau intéressant.

Pourtant, même lu trop rapidement, on perçoit une certaine continuité, ne serait-ce que dans les images.  Le titre évoque une vieille femme accroupie et, culturellement, les duègnes n’ont pas une représentation sympathique dans la littérature : « à vingt ans je suis une duègne chargée de secrets et de ruses / qu’à moi-même je confie sans pitié ». L’image de soi (la métaphore de la duègne) est tout sauf complaisante, et il en est ainsi tout au long du recueil.

Deuxième édition en 1978
La poète veut se détacher de toutes les valeurs inculquées et tracer son propre chemin : « je presserai moi-même la lutte corps à corps sous le battant de la porte ». Elle essaie de remonter dans le temps pour comprendre son cheminement, tout en assumant son passé : « Qui donc aura perdu le souffle si ce n’est moi […] qui donc aura perdu l’élan si ce n’est moi ». Une femme tente de se libérer de tous les diktats que la société lui impose et qu’elle a intégrés : « je plains celle qui fut un rigide cerceau / le chien savant immanquablement fait le bond qui fait foi / de la valeur du dompteur ». Pour la poète, le «sauvage besoin de libération » du Refus global, c’est aussi libérer le désir : « Tout désir m’accompagne et nie / les astres qui chutaient alors et rendaient sinueuse ma démarche ». Délestée de toutes barrières, en lien avec la nature, elle entrevoit la libération souhaitée : « il n’y a plus aucun pli d’où surgisse le moi / les étoiles mangent à leurs mains / les oursins dévient dans les fleuves / la plante carnivore grimpe à ma jambe / je souhaite / que soit là ma chance de salut ».

La liberté amoureuse n’est peut-être pas le « sésame ouvre-toi » que la jeune femme espérait : « Et je suis et mon rêve bête fabuleuse sous les voiles du ciel une mariée sous un arbre sec et la monotonie des dimanches ». Serait-ce que le partenaire ne se montre pas à la hauteur de son rêve? «  il vint celui qui n’apporta sur la table que la moisson pourrie parasites et coloquintes ». Le discours devient plus englobant, plus féministe : « je plains celle qui fut ouverte mais non habitée / raide sur la chaise elle enfonce en courroux ses paumes dans le temps ». On a l’impression que ce qui était vu comme une libération n’est plus qu’une nouvelle étape : « à celui qui vint dans l’ivresse de sa bienveillance / tu refusas d’enlever ton manteau de nomade / l’heure d’hier au loin charrie sa tourmente ayant dévasté les mouvances de la terre et le cœur ». Et, bien entendu, les malheurs du passé, bien que surmontés, ont laissé des traces : « la terre revenue à ses jours de clarté n’a pas assez de mouvements / pour racheter ce qu’il y eût de frayeurs aux pupilles nos enfants ». Ainsi se clôt le recueil.

L’écriture est très métaphorique. Plusieurs images ont comme sème commun le milieu marin et, de façon plus générale, la nature : l’eau, la mer, les conques, les astres, le vent,  les chiens, les moustiques. Certaines métaphores sont surprenantes : « le jockey cravache le ciel parasite », « nous piquons les poissons électriques », « la mer dans l’orifice des voyelles », « une cage d’ovaires », « les rythmes velus de l’âme de mes chiens ». Le recueil, bien que difficile, vaut mieux que l’oubli dans lequel il est tombé.

Sur Michèle Drouin
Aperçu de certains tableaux

Frontispice de l'auteure

14 novembre 2015

Osmonde

Jean-Paul Martino, Osmonde, Montréal, ERTA, 1957, 58 pages (Frontispice de Léon Bellefleur)

Si je me fie à La Flore laurentienne, il y aurait trois variétés d’osmonde au Québec : l’osmonde royale, l’osmonde cannelle et la claytonie (chère à Miron). Pour le commun des mortels, l’osmonde est une grande fougère. Il ne faut surtout pas se fier au titre qui évoque une nature paisible (le sous-bois des fougères). Dans Osmonde, les fougères ont les allures fantasmagoriques du cauchemar et le poète est un homme en colère.

L’amour est un thème qui traverse le recueil : un amour tantôt douloureux, destructeur, scabreux; tantôt refuge, abri, « sublimatoire ». Même quand il pointe des « révolvers remplis d’amour » sur cette Inyassa qui l’a abandonné (« Inyassa mon amour ecchymosé de ton absence »), le poète continue à rechercher cet amour : « S’il advenait que je fisse mourir / Inyassa dans un de mes poèmes / Coupez-moi la tête et portez-la sur une croix à travers la ville ». L’amour est associé aux catastrophes humanitaires : « L’amour sort des fours crématoires » et : « Un flambeau nucléaire à l’intérieur d’une miche amoureuse ». Pourtant, l’amour constitue une voie de libération, d’exploration : « Chère Inyassa avec ses roses qui lui poussent sur le crâne / Et son œil orphelin en cristal pétassé / De sa cuisse s’émane un prisme de sentiments / Comme les yeux mélancoliques d’une vache / Étrangement cruels quand les branches fouettent le ruisseau / Vie embrasée rature ardente / Libération effervescente et translucide exploration / L’amour de la chair fiévreuse / Mer salée des bordels célestes ». On le sait, la représentation féminine (objet de contemplation, objet érotique, femme rêvée, femme démoniaque) des surréalistes a souvent été critiquée. Ne peut-on pas lire une déclaration d’amour dans l’extrait suivant? « Désir délire joie jouissance / Amour possédé amour donné / Jouir faire jouir / Amour amour amour / Femme homme femme homme enfant / Amour-joie amour-folie amour-générosité / Amouramouramour amour / Réciprocité des jours sans fin ».

Cette femme « Ruche-abbaye de l’amour sublimatoire » ne peut rien contre les cauchemars récurrents, le désordre psychique. « La vie et sa pestilence marbrée / Les plaies qui muent / Les murs désossés de leurs charpentes. » Martino décrit à maintes reprises un monde apocalyptique : « Au roulis délirant d’un tambour meurtri / Les cris rauques de caillots des agonisants / Les vociférations blasphématoires des désespérés / Les hurlements aigus des enfants piétinés ». On nage en pleine paranoïa : « La nuit je suis poursuivi par des M tentaculaires / Par des voix grises et rocailleuses / Et des mots qui projettent de multiples ombres / L’âme découpée dans un faisceau lunaire / Un vent d’ardoise traînant la mort à son flanc ». Il faut voir plus que le thème romantique du poète rejeté dans les vers suivants : « L’estomac du POÈTE vient d’éclater / La capsule / Un explosif à retardement / Éventré par le génie d’un sadique inventif / Traînant son sang et ses tripes sur la neige innocente ». 

Le poète cherche des coupables et s’attaque aux « domanistes » (« reptiles à attitude humaine »), aux religieux (« Tas de fumier sous la neige »), aux femmes (« Cent vierges à enfoncer qu’il me faut » ou « Périphérie douloureuse qui fige les articulations »). Les métaphores guerrières, les images de violences, de tortures, de supplices, de vengeance, les évocations de la folie abondent. : « Encore un arrachement de seins par un puma furieux / Ou un crabe géant qui vous étreint de ses serres sur son ventre glacé ». On dirait un être coincé qui ne sait plus sur qui frapper.

Martino est un épigone de Gauvreau. Tout comme son maître, il invente des mots, sans aller aussi loin : « supinataire, zoanthropique, empyème, nyctalopesurabiline, richopathos, escarlophages ». Ce n’est pas la filiation de Gauvreau mais celle d’Artaud qu’il revendique dans son recueil : « Quelle était cette voix à ma fenêtre la nuit de mes vingt ans / C’était toi ANTONIN / C’était toi ARTAUD / Dès cet instant mon esprit a fleuri à travers sa prison osseuse / Comme des taches de soleil sur la neige sombre ».

On trouve beaucoup d’images percutantes dans Osmonde. En voici quelques-unes : « orgies sulfuriques, envol cidrique, plantes cosmogoniques, couilles de l’arcadie, pestilence marbrée, latrines gloutonnes, pubis de satin chaud, corps ignifuge, l’égoïne de l’hallucination octuple, émotions combustibles, haleine équatoriale, souvenirs amiantes, l’ectoplasme amnésique, l’ozone croustillant ». Pour terminer sur une note plus légère, je cite ce court passage humoristique : « Une poule cannibale / Dans la végétation prolixe / Couvait imperturbable / Un singe lunatique ».

Frontispice de Léon Bellefleur

6 novembre 2015

Brochuges

Claude Gauvreau, Brochuges, Montréal, Éditions de Feu-Antonin, 1956, 63 pages.

Ce qui retient notre attention en ouvrant Brochuges, c’est la longueur réduite des vers et des poèmes à comparer à ceux d’Étal mixte. On se dit que ce sera facile à comprendre d’autant plus que l’exploréen y est beaucoup plus rare. Pourtant, non. La prolixité d’Étal mixte, c’est ce qui nous permettait de glaner du sens facile, ici et là. En resserrant l’écriture, Gauvreau l’a rendue plus hermétique.

Le recueil compte 27 poèmes, sans titre, presque tous étalés sur deux pages, souvent recto verso. Brochuges est très différent d’Étal mixte, même si certains motifs (la violence, la mort) reviennent. Gauvreau a quitté la dénonciation violente des oppresseurs et des abuseurs d’Étal mixte. On a l’impression de se trouver devant un personnage qui s’est forgé de nouvelles assises et qui, fort de cette posture, contemple ses oppresseurs d’hier et ses détracteurs d’aujourd’hui avec une distance rassurante.

Dans le premier poème, on découvre tout un bestiaire : des crocodiles, des hyènes, des vermines et un lynx. Menacé de toutes parts, un être debout attend stoïquement la mort. « Un œil / droit / comme un diamant / Lynx affrontant les roches en marche // Il va / mourir ». Plus loin on lit : « Je suis Néron… / Pas de pitié pour Zo Mécu / L’offrande reste. » Voilà qu’il vient de changer de camp, qu’il vient de monter dans les estrades pour observer le spectacle qu’on donne dans l’arène. Et quelques poèmes plus loin : « La nage est un super / où raclent les noyés / Maison sur rue / Ombre sur tonnerre / La vie est une joie / où discutent les pas. » Et tant pis pour les noyés, on a l’impression que Gauvreau s’amuse, se joue des malheurs, des siens comme ceux des autres, comme s’il avait cessé de prendre au sérieux les bourreaux qu’il dénonçait dans Étal mixte. Comment lire « Mon ange tombe / et la pensée revient » ou encore « Le gland a des offrandes / pour les carmélites », sinon en s’amusant avec leur auteur. Que doit-on lire dans le passage suivant? Une querelle d’amoureux? « Morne / visage / ailé / Tu as tué / Un nom / est sur l’offrande / Un non / est sur tes yeux / Va / gueuse / Tu as des poux / à travers tes caleçons ». Ouf, elle vient de tomber bien bas, la « gueuse ». Même la mort est regardée avec un certain détachement : « Le gain n’est pas pour toi / La vie jeûne / Œil reste / Il y a plein / Il y a des doigts / Restez jeunets / Mort / La mort danse / La mort frivole / est une taupe ». Comment prendre au sérieux « Ils sont longs / les violons / du ponpon » et « Ma femme / a des oranges / qui jutent »?  Et c’est sans compter les « gleu gleu », les « han han », les « Ghin Ghin », le loufoque « Kikçabadesçeptsaghliuntonmieur », ainsi que les rimes et les allitérations volontairement ridicules : « Pitié pour les chalands /  pitié pour les chalands où l’eau amère / rit des fleuves qui prospèrent / à travers les déserts et les flancs ». Gauvreau est un iconoclaste et ce n’est pas seulement la langue, mais la poésie (produit bourgeois) tout court qu’il malmène et quoi de mieux qu’un peu de parodie.

Beaucoup de poèmes se terminent par une pirouette comme si l’auteur voulait désamorcer toute charge émotive. « J’ai peur de mourir / et ils rient en ronde / Pitié pour les moutons léchés / Vive la République! » Il en va de même pour ces petits passages, poétiques dans le sens traditionnel, qu’il s’empresse de détruire à coup de non-sens ou d’exploréen, comme s’il voulait éviter toute récupération en renvoyant le lecteur à lui-même.

Il me semble que certains commentateurs grattent un peu trop le « drame Gauvreau » pour expliquer Brochuges. Peut-être en raison du sérieux du personnage lorsqu’il se trouvait en public, et peut-être encore plus en raison de ce qu’on sait de ses problèmes personnels, on cherche toujours son côté sombre. Il existe le sombre drame, c’est évident, et ce rire c’est un peu celui du forcené, mais en même temps ce qu’il s’amuse le Gauvreau. J’ai presque envie de dire qu’il nous mène en bateau, nous obligeant à nous escrimer sur  ses borborygmes, ses tirades de non-sens, ses jeux de mots, les accointances verbales impossibles... Je ne peux pas m’imaginer qu’il ait pu écrire tout cela, sans le dire à voix haute, devant un auditeur aussi fictif qu’éberlué. L’exploréen, c’est un langage d’autiste, mais c’est probablement aussi un langage sacrément jouissif pour celui qui l’invente.

Voir aussi Étal mixte
On peut lire l’autobiographie et des poèmes de Gauvreau sur Parfum de livres