Alexandre Huot, L’impératrice de l’Ungava, Montréal, Edouard Garand, 1927, 56 P. Coll.
Le roman canadien, no 38
(Illustrations d'Albert Fournier) (Supplément p. 57-64)
Sur un
bateau qui le mène à Tadoussac, Jacques Normand, un brillant ingénieur, rencontre
une jeune et riche Américaine en mal d’aventures : Edith Darlington. Normand
compte se rendre dans l’Ungava. « Après avoir fouillé les livres des
explorateurs, il en était venu à la conviction qu’il y avait dans cette région
vaste et nue du pays des mines d’or d’un richesse inouïe. Jacques était un
ardent patriote. Il réclamait pour sa province, le Québec, l’indépendance
économique. » Edith et le père Boulianne, un spécialiste de la Côte-Nord se joignent à l’aventure. Les trois se rendent aux Escoumains (sic), puis
à Betsiamits, afin de trouver des équipiers.
À
Tadoussac et aux Escoumins, Jacques Normand reçoit des messages d’une mystérieuse
impératrice de l’Ungava. Les Montagnais qu’ils rencontrent semblent en savoir
long sur son compte mais se tiennent cois. Jacques, Edith et le père Boulianne
rencontrent à Betsiamits Cadaboushtou « le roi de toutes les tribus de Montagnais
et de Nascapis de la Côte-Nord ». Ce dernier est déjà allé en Ungava et il
accepte de les accompagner à la condition que ce soit lui qui dirige
l’expédition. L’équipée se rend à Godbout, visite les alentours. Finalement, Cadaboushtou
annonce le départ de l’expédition. « Dans quelques heures la rivière Pentecôte
paraîtrait devant eux, et ils la remonteraient jusqu’à sa source. Le village de
Saint Patrice de la Pentecôte serait le dernier endroit civilisé qu’ils verraient.
Après ce serait l’immensité silencieuse de la forêt, l’immensité lamentable des
steppes plus au nord, le froid polaire, le froid de la mort. Et ils s’en allaient
là, vers l’inconnu, le terrible Ungava, le Nouveau Québec, que personne n’avait
encore réussi à pénétrer; ils s’en allaient, sans rien connaître, guidés par un
Sauvage dont ils n’étaient pas tout à fait sûrs ». Le voyage dure des semaines
et un soir, ils se retrouvent tous dans une grotte : Cadaboushtou leur offre une liqueur
mystérieuse et, au réveil, ils sont dans une ville inconnue, tout à fait
moderne : Orsauvage. Ils rencontrent l’impératrice de l’Ungava, une jeune Montagnaise d'une beauté éblouissante, éduquée par les Religieuses de Québec. Celle-ci a eu vent de la présence d’une
mine d’or, et c’est à partir de cette richesse qu’elle a construit sa ville
amérindienne. Le tout se termine en queue de poisson, nos aventuriers devant
quitter au bout de quelques mois.
Le roman
souffre de bien des problèmes de conception. Les personnages sont mal définis,
deux sont pour tout dire inutiles : Edith et le père Boulianne. Ce dernier
traîne dans ses bagages un paquet de livres dont il nous lit des passages à
l’occasion. Ce n’est pas très habile ce moyen de documenter le récit de la
part de l’auteur, vous l’admettrez. Quant à Édith, on ne saurait dire ce
qu’elle fait dans cette aventure. On croyait au début qu’elle
serait la protagoniste d’une intrigue amoureuse, mais non, rien! Si elle représente le capitalisme anglo-saxon, cela ne tient pas la route. Quant au fier héros,
ses grandes idées patriotiques s’effilochent au premier contact avec un
Amérindien et, encore davantage, devant l’impératrice dont il est amoureux.
Les trois
quarts du récit — attente interminable — nous préparent à découvrir un monde
nouveau; hormis le fait qu’Orsauvage est en Ungava, rien ne semble surprenant
dans cette ville qui ressemble à s’y méprendre à Montréal ou Québec : « Jacques
ouvrit tous les rideaux. / Il y avait trois fenêtres dans sa chambre. / À travers
l’une d’elles, de plus en plus stupéfait, il vit, au-dessous de lui, une ville,
oui, une véritable ville dont les habitants s’agitaient dans les rues où défilaient
des automobiles de luxe, des camions, des voitures tirées par des chevaux.» L’auteur
essaie de nous convaincre que les Autochtones ont développé un nouveau cadre social,
mais les exemples qu’il nous sert sont loin d’être convaincants. « Malheureusement,
mesdemoiselles et messieurs, leur croyance au messie était entachée d’une détestable
immoralité, comme c’est généralement le cas pour toutes les croyances qui ne sont
pas chrétiennes. Les Sauvages prétendaient que cette Impératrice de l’Ungava allait
se créer distributrice d’une infernale prostitution en donnant aux Sauvages des
centaines de femmes blanches merveilleusement belles dont ils feraient leurs esclaves. »
Une telle phrase, à elle seule, par ses a priori, discrédite la supposée sympathie
de Huot pour les Autochtones. Huot les décrit comme un peuple dégénéré qui ont
besoin d’un Messie. Pour retrouver leur âme, les Autochtones ont choisi de repousser
la religion catholique, du moins pendant un temps. « Aujourd’hui je vous déclare:
les Montagnais, Nascapis et Esquimaux reviendront à la foi chrétienne quand le monde
les aura vus, contemplés et admirés dans la ville unique d’Orsauvage. » En
dehors de l’Église, point de salut!
Là où le
bât blesse encore plus, c’est dans la société de remplacement proposée. L’entreprise
de l’impératrice de l’Ungava en est une de régénération. Se régénérer en
copiant les Blancs, semble nous dire Huot. À ce que je sache, les Indiens de l’époque
ne couraient pas après la richesse, donc n’auraient pas créé une société industrielle,
matérialiste, très hiérarchisée. C’est une vision de Blanc qui projette ses fantasmes
sur les Autochtones.
Alexandre Huot sur Laurentiana
L’impératrice
de l’Ungava