Moisette Olier (Corinne P. Beauchemin), Mademoiselle
Sérénité, Trois-Rivières, Le Nouvelliste, 1936, 210 pages.
Lors
des fêtes du tricentenaire de leur ville, les Trifluviens accueille une
délégation française. Parmi eux, se trouve un journaliste qui apprend à
Michelle Beauregard que son amoureux, parti étudier en France, a convolé en
justes noces. Elle est atterrée. Dans une lettre qui tarde à venir, son
amoureux lui explique qu’il la quitte pour son bien. Selon lui, c’est l’amitié
plutôt que l’amour qui les lie : « Pauvre petite Michelle!
Comprends-tu tu n’as jamais éprouvé rien de tel pour ton vieux Louison et que
tu étais absolument incapable de ne jamais ressentir autre chose qu’une
patiente tendresse pour celui qui voulait être ton compagnon de route?... Qui
sait si ton affection ne se serait pas changée en résignation un jour ou
l'autre?... Si, à la longue, je ne serais pas devenu un boulet à ton pied?...
Et qui sait si ta grande supériorité morale n’aurait pas fini par me peser, me
désespérer, ou m’in- disposer contre toi?... Cela ne s’est-il pas déjà vu dans
les ménages où l’homme se sentait inférieur à son épouse?... »
Blessée
dans son orgueil, diminuée par cet abandon, elle craint par-dessus tout qu'on
la prenne en pitié. La nouvelle ne s’étant pas encore répandue, elle continue
de participer à la vie sociale (sorties de groupe, guidisme catholique, cercle
patriotique) et elle est même courtisée par Jérôme, le copain de son amie Pierrette.
Elle décide de partir en voyage pour quelques semaines chez une tante à New
York. Au retour, qui est-ce qui l’attend à la gare de Montréal et lui offre de
la ramener chez elle? Jérôme. Les deux se fréquentent de façon discontinue. Elle
se découvre follement amoureuse de cet ingénieur qu’elle avait imaginé à tort
dénué de toute sensibilité artistique.
Je gravis les marches du perron comme pour
m’arracher à ma joie trop ardente, mais je laissai traîner une de mes mains
derrière moi, dans les siennes. J’étais bouleversée. Mon émotion était mêlée
de honte d’accueillir si avidement l’amour... mais d’une honte bienheureuse.
Je ressentais dans tout mon être un déchirement délicieux...
— Bonsoir, Jérôme, dis-je avant d’ouvrir la
porte. Il est l’heure de souper, je ne vous invite pas à entrer, je me sens un
peu étourdie. Venez me voir plus tard... souvent... et ne vous tourmentez pas
au sujet du docteur Richard.
J’avais fini ma phrase dans un murmure. Jérôme dut
croire que quelque chose se brisait en moi au moment de rejeter dans une nuit éternelle
mon premier amour. Il pressa ma main avec une émotion brusque.
J’entrai précipitamment et refermai la porte sans
bruit. Mais je ne pus aller plus loin. Je restai là, étouffée de joie, le
regard enchaîné à cette grande ombre mouvante qui s’éloignait en emportant mon cœur.
(p. 163-164}
Le Carnet du Flâneur |
Pierrette,
que Jérôme n’a fréquentée que pour se rapprocher de Michelle (c’est ce qu’il
dit), réussit à les brouiller
momentanément, mais leur amour finit par triompher.
Ce
roman sentimental fait peu de place au courant
régionaliste de la Mauricie, ce qu’on retrouvait davantage dans Cha8inigane
(1934) et Étincelles
(1936). On évoque rapidement les fêtes du tricentenaire et c’est à peu près
tout. Moisette Olier se rapproche davantage
des jeunes auteurs des années 30 publiés chez Albert Lévesque : Éva Sénécal,
Jovette
Bernier (dans la collection « Les romans de la jeune génération »). Le roman est raconté au je, ce qui permet
d’entrer dans la psychologie de l’héroïne, une jeune femme instruite, cultivée
(elle lit les auteurs français et québécois, visite les musées et adore la
musique classique). L’analyse psychologique, qui n’écrase pas la narration, me
semble assez juste et les réflexions de l’auteure sur l’amour, sans être
neuves, sont souvent réfléchies. Olier décrit une facette importante de la
condition féminine de l’époque : une jeune fille jouait son avenir dans le
choix d’un mari. Ironiquement, c’était peut-être encore plus vrai chez les
bourgeois que chez les paysans.
Moisette
Olier sur Laurentiana
Mademoiselle
Sérénité
Pour
aller plus loin :
René
Verrette, Le
régionalisme mauricien des années trente
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