Olivier Carignan, Les sacrifiés, Les éditions du Mercure, Montréal, 1927, 228 pages.
Daniel
vit chez ses grands-parents et travaille dans un bureau. Ses parents vivent pauvrement, les affaires du père allant mal. Daniel se lie d’amitié avec Robert, un jeune
bourgeois, ce qui lui permet d’intégrer le milieu intellectuel. Il
entretient une relation d’amitié amoureuse avec Hélène, la fille de son patron,
une amie de Robert. On le comprendra, il y a peu d’ouverture pour les
intellectuels dans les années 20 au Québec. Le groupe décide de fonder une
revue, laquelle va fonctionner pendant un an et cinq mois.
Dans
la première moitié de ce roman, de conception plutôt inattendue, on a souvent
l’impression d’être laissé en plan. Carignan amorce une action passe à autre
chose. On dirait qu’il cherche le fil de
son récit. Tantôt il raconte la vie de sa famille ou celle de ses
grands-parents, tantôt celle du groupe
des jeunes intellectuels auquel il est lié. Autrement dit, on se demande qui
sont ces sacrifiés dont parle le titre. La génération de paysans qui a quitté
la terre pour s’amener en ville ou les jeunes intellectuels, dont les écrits ne
trouvent aucun écho ici ?
Dans
la seconde partie, l’enjeu devient clair. Après l’échec de la revue, Daniel
déprime. À la suite d’une remarque mesquine de son patron (le père d’Hélène qui
ne l’aime pas beaucoup), il quitte son travail et fuit ses anciens compagnons.
Il se replie sur sa famille. Finalement, son frère et sa famille l’aident à
acquérir une épicerie. Hélène tente un rapprochement auquel il ne donne pas
suite.
Comme
on le voit, Carignan aborde des sujets intéressants. Celui qui est le mieux
développé c’est la place qu’occupe la littérature et l’art en général au Canada
français, surtout s’ils s’écartent des
créneaux où on les cantonne. On comprend la difficulté pour un Canadien français d’intéresser les investisseurs et
les philanthropes, le bassin de lecteurs potentiels étant plutôt restreint.
Quelques extraits
« Un
fort lien de sympathie s’est établi entre les deux nouveaux amis. Ils sont
devenus de bons copains, selon le sens ému de ce beau mot qui reçut son baptême
de feu pendant la dernière guerre. Robert appartient à l’élite de notre
société. Daniel, lui, représente cette génération de jeunes qui, sortis des
couches inférieures, tendent à monter par l’intelligence. »
« Elle
marquait une tendance nouvelle. On ne se contentait plus du caractère délabré
qui dénature certaines œuvres des aînés. On réclamait plus d’art subtil, plus
de vérité nuancée, plus de simplicité ! La génération qui avait produit la
Nouvelle Revue avait été formée aux meilleures sources du goût. Ses idées, en
outre, ne dataient plus de cinquante ans. »
« L’œuvre était d’un aîné, un écrivain dont
le nom figurait dans certains manuels — que leurs auteurs ont ironiquement
intitulés — de littérature canadienne. C’était encore une de ces histoires où
l’auteur racontait, dans une phrase sans vie, sans couleur, les vieilles choses
du temps de sa jeunesse: la grange, les vaches, le poulailler et le ber. Depuis
vingt ans qu’il produisait, cet auteur, il avait toujours rabâché les mêmes
sujets, sans les renouveler. »
« Savez-vous ce qui fait la supériorité
des ouvrages de Lorand et de Jean ? observa Charles. C’est la simplicité.
Simplicité de style, simplicité de texture et naturel partout. . . »
Ce roman mérite le détour. Hormis quelques
scènes où les dialogues sont plutôt lourds, le sujet est exposé de façon
pertinente.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire