28 mai 2023

L’Île de Sable

Émile Chevalier, L’Île de Sable, Paris, Michel Lévy, 1888, 307 p. (1ère édition : 1878)

 

En préface, Chevalier dédie son livre à François-Xavier Garneau. Il cite les pages de L’Histoire du Canada qui lui ont inspiré son roman. 

 

Le prologue

Le récit commence à la fin du XVIe siècle, en Bretagne, et met en scène le marquis de La Roche qui doit bientôt prendre les commandes de la Nouvelle-France : « en 1598, le marquis de la Roche, de la province de Bretagne, se fit confirmer par le roi dans la charge de lieutenant général du Canada, de l'Acadie et des pays adjacents, que lui avait déjà accordée Henri III » (Garneau) Le marquis a une nièce, Laure de Kerskoen, laquelle s’est amourachée du fils du duc de Mercoeur, le pire ennemi du marquis. Ce dernier voudrait qu’elle épouse le vicomte Jean de Ganay, son second. 

 

1ère partie

Départ vers la Nouvelle-France. Une bande de prisonniers, que le marquis de la Roche a capturés lors d’une attaque contre son château par les hommes du duc de Mercoeur, sont montés à bord contre leur gré. Parmi eux se trouve une femme de 25 ans qui, par subterfuge, a pris la place de son frère; elle se nomme Guyonne. Le voyage est pénible : tempêtes, insurrection, manque de nourriture et d’eau, si bien que le marquis décide de laisser les proscrits dans une île où ils devront se débrouiller en attendant son retour. Cet île, à 85 miles du Cap-Breton, se nomme l’Île de Sable. Jean de Ganay est chargé par le marquis de les accompagner.

 

2e partie

Pourquoi avoir choisi une île aussi peu hospitalière? Le capitaine du bateau a découvert que Guyonne était une femme et, comme elle a repoussé ses avances, il s’est vengé en débarquant les prisonniers sur cette île. Comme le marquis tarde à revenir, les nouveaux insulaires doivent s’organiser. Ils profitent du naufrage d’un autre bateau qui faisait partie de la mission pour recueillir matériaux, outils, nourriture. Ils élèvent des abris de fortune. Sur l’île se trouve un lac autour duquel il est possible de faire un peu d’agriculture. Cette partie se termine par une insurrection et par la disparition de Guyonne. 

 

3e partie

Cinq ans plus tard. On apprend que c’est un vieux naufragé qui a enlevé Guyonne et l’a transportée sur une autre île.  Il vivait déjà seul sur l’Île de Sable depuis plusieurs années. Après avoir dérivé sur une glace, Guyonne retrouve l’Île de Sable. Elle revoit Jean de Ganay qui a découvert, entre-temps, qu’elle était une femme et qu’elle avait de nobles origines : elle est comtesse. Le récit se conclut comme l’a décrit F.-X. Garneau : de retour en France le marquis « se trouva enveloppé dans une foule de difficultés au milieu desquelles le duc de Mercœur, qui commandait la Bretagne, le garda prisonnier pendant quelque temps. Ce ne fut qu'au bout de cinq ans qu'il put raconter au roi, qui se trouvait à Rouen, ce qui lui était arrivé dans son voyage. Le monarque, touché du sort des malheureux abandonnés dans l’Île de Sable, ordonna au pilote qui les y avait conduits d'aller les chercher. Celui-ci n'en trouva plus que douze... » 

 

En conclusion, on apprend que Jean de Ganay a épousé la comtesse de Guyonne qui est morte en mettant au monde leur premier enfant.

 

C’est un roman d’aventures typique de l’époque : les événements historiques sont plutôt un prétexte qu’une fin en soi. Une histoire sentimentale vient rehausser le tout et finit par dominer la trame narrative. Autour des principaux protagonistes se déploient plusieurs personnages très stéréotypés qui animent le roman : le comique, le nain, l’Hercule, le traître, le sage, l’extravagant… On trouve plusieurs digressions, des passages humoristiques, des retournements de situation. L’auteur disserte sur l’amour, la droiture, etc.

 

Émile Chevalier sur Laurentiana

Les nez percés

Le pirate du Saint-Laurent

21 mai 2023

Fête au village

Paul Legendre, Fête au village, Québec, Institut littéraire de Québec, 1953, 205 p. (Préface de Félix-Antoine Savard)

Paul Legendre fut l’un des plus célèbres réalisateurs de Radio Canada dans les années 50. Il est l’auteur de deux grands succès radiophoniques :  « Chez Miville » et « Fête au village », émission d’où est tiré le présent livre. L’équipe de Radio Canada se rendait dans un village, ici et là au Canada, et enregistrait une « soirée du bon vieux temps ». Donc, chansons, musique mais aussi contes que Paul Legendre  recueillait. L’auteur dédie son recueil de 13 contes « à l’équipe de l’émission radiophonique ».

 

En préface, Félix-Antoine Savard fait l’éloge du conte. Au début du prologue, Legendre écrit : « À travers ses campagnards, j’ai vu et senti le pouls du Canada français. » 

 

Le sermon en trois points : Un curé octogénaire dénonce en chaire ceux qui jouent aux cartes, ceux qui pervertissent des jeunes filles et… ceux qui marchent sur son gazon.

 

Après quarante ans sur La Mouette : Un vieux marin retraité raconte les pouvoirs d’une statue contre les tempêtes en mer. 

 

Séance et conférence : Lors d’une « fête de la fierté rurale », on y joue une pièce de théâtre et on écoute un conférencier qui livre le message : « Restons chez nous! »

 

Femme sage et sage-femme : Lors d’une fête de la Sainte-Catherine, on raconte les exploits d’une septuagénaire, Mathilde, qui a mis plusieurs enfants au monde, qui a élevé ses enfants et même ceux de sa sœur décédée. 

 

Xavier joue aux dames avec son député : Xavier, un octogénaire caustique, tout en jouant aux dames avec son député fraîchement élu, déblatère contre tous les politiciens de son époque, lui qui voue un culte à Henri Bourassa. 

 

La dévotion de Démerise : Demerise, servante du curé, n’a eu qu’un amoureux, mort dans un accident. Depuis, craignant qu’il se soit suicidé, elle achète à la criée le plus d’objets possibles pour diminuer son temps de purgatoire. 

 

Godefroi le garagiste et la croix : Un vieux marin retraité devient le bras droit de son curé : au courant de tout ce qui se passe dans la paroisse, avec l’appui officieuse du curé, il intervient pour sauver des âmes perdues. 

 

Le mouton noir : Champion a commis tous les excès. Après une cure de désintoxication, il devient un homme d’affaires qui vient en aide aux jeunes couples. C’est ainsi qu’il est devenu parrain de 32 filleuls.  

 

Blaise et Achille : Les deux voisins ne se sont pas parlé depuis 15 ans. Et ce sera la mort de l’un deux qui les réunira enfin.

 

Chez Philéas à Raoul : Le père et le fils ont invité le narrateur. Ils lui racontent l’histoire de leur famille, puis la guérison de Philémon lors d’un pèlerinage à Saint-Anne-de-Beaupré.

 

Le notaire du Havre : Un notaire et sa femme voient d’un mauvais œil arriver à l’improviste leur beau-frère de la campagne accompagné d’un paysan, car ils ont des invités. Mais le paysan, un brillant raconteur, va subjuguer tout le monde. 

 

À l’école du rang : Un jeune inspecteur raconte une histoire patriotique aux élèves qu’il visite. 

 

Le tout s’avère très inégal, plusieurs « contes » n’étant tout au plus que des reportages, des histoires de famille. Souvent l’intérêt de ce genre d’histoire tient au brio du raconteur, ce que l’écrit ne rend pas. 

14 mai 2023

La rue des Forges

Philippe La Ferrière, La rue des Forges, Montréal, éd. Albert Lévesque, 1932, 173 pages. (Illustrations de l’auteur) 

Philippe La Ferrière (1891-1971) a connu une vie mouvementée et bien remplie : il a étudié la peinture à Paris, il a été inspecteur des finances à la BCN, il a travaillé comme caricaturiste, il s’est engagé lors de la guerre 14-18, il a été journaliste au Nouvelliste de Trois-Rivières, libraire à Québec, bibliothécaire à la Bibliothèque Saint-Sulpice et j’en passe. Il a aussi été l’un des membres fondateurs de L’Arche dont j’ai brièvement parlé lors de la présentation de Figurines d’Edouard Chauvin.

 

Il a produit des radio-romans et publié deux recueils de « pages fantaisistes » : La rue des forges (1932) et Philtres et poisons (1954).

 

Les pages fantaisistes qui composent La rue des forges ont d’abord paru dans Le Nouvelliste. Il a divisé son recueil en trois parties : Dans la rueChez-soi et Aventures singulières.

 

DANS LA RUE regroupe six billets (c’est ainsi qu’on nommait ses textes dans Le Nouvelliste). La fantaisie commence par le nom farfelu dont il dote ses personnages : Zénophon Fourbi, Laurent Laridelle, Zénophon Truquemuche, Zoé Fleurimont, Lucien Rangetoey, Stanislas Sonnepas, Xavier Verroir, Envers Etcontretous. Et qu’est-ce qui arrive à tout ce beau monde : l’un s’est perdu dans Trois-Rivières, un autre achète les lièvres qu’il est censé avoir chassés, l’un est impliqué dans un accident d’automobile, un autre se plaint des cadeaux du jour de l’an qui gâchent sa vie, un homme fort accomplit un tour de force de trop, une colonne de circulation est renversée par un chauffard. 

 

CHEZ-SOI regroupe huit billets qui mettent en scène de petits drames familiaux, entre mari et femme, frère et sœur, parents et enfants et, même, entre maître et domestique. Au total, la famille apparaît comme une arène que régissent les problèmes d’argent et de jalousie. Les hommes sont faibles et insignifiants et les femmes, guère mieux. 

 

AVENTURES SINGULIÈRES est une partie beaucoup plus éclectique. L’auteur raconte divers faits cocasses, fantaisistes, avec les préjugés de l’époque concernant les Noirs, les Asiatiques et les Autochtones. La meilleure histoire est probablement celle de ce condamné à mort dont on a retrouvé le chapeau sur les lieux du crime et qui réclame SON chapeau après avoir été déclaré non coupable. L’auteur nous certifie que l’histoire est vraie. On lit aussi deux histoires fantastiques qui s’avèrent des farces.

 

La Ferrière est très branché sur ce qu’on suppose être la modernité de son époque : l’automobile avec mention des cylindres, le charleston au son du jazz, la radio qui diffuse tant bien que mal la musique. Chose étonnante, on boit beaucoup, on fume le cigare. Les rues de Trois-Rivières et les paroisses alentours sont fréquemment nommées. Dans la dernière partie, La Malbaie et New York servent aussi de toile de fond.


L’auteur offre une image défavorable de la petite bourgeoisie : elle est mesquine, vaniteuse, hypocrite.  Il se moque de certains travers humains, mais le plus souvent il raconte simplement pour le plaisir de raconter.

 

Voir LE CRALA


  

12 mai 2023

Balado sur Gaston Miron

Balado sur Gaston Miron. Belle synthèse. Belle présence de Marie-Andrée Beaudet.

https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/aujourd-hui-l-histoire/segments/entrevue/442715/gaston-miron-homme-rapaille-poete

7 mai 2023

L’œil du phare

Ernest Chouinard, L’œil du phareQuébec, Le Soleil, 1923, 279 pages.

À Saint-Germain-de-Kamouraska, Gilles Pèlerin et Cécile Dubreuil mènent une vie de misère sur une terre d’un seul arpent quand Pèlerin accepte un poste comme gardien de phare sur Grosse-Île de Saint-Germain.  Lors d’une tempête, il périt en essayant de sauver un yacht, laissant une veuve dépourvue et un orphelin nommé Jean. Le curé prend en main l’enfant qui se révèle un élève brillant. Il veut en faire un prêtre et son projet semble en voie de réussir quand surgissent des États-Unis, la sœur de Cécile, son mari et son neveu, émigrés à Cincinnati, en vacances à Métis-sur-Mer.  Ils sont riches et leur fils très déluré, Émile Dupin, réussit à convaincre Jean de l’accompagner dans son voyage de découverte du Québec. Commence ici le choc des idées entre la vie canadienne et l’américaine, entre la vie champêtre près des églises et le développement industriel, entre le spiritualisme et le matérialisme. « Tu m’écoutes avec étonnement, sans m’approuver ; mais tu ouvrirais autrement les yeux si tu voyais quelle vie d’action, de travail, de risques et d’efforts de toutes sortes l’on fait chez nous. Avec cela, on arrive simple manœuvre et l’on devient inventeur, fabricant, négociant, financier, capitaliste. » 

Au retour, monsieur le curé découvre que Jean n’a plus la vocation. Il le convainc de suivre un cours en agriculture et l’encourage à fréquenter une jeune fille du village, Esther Brillant. Celle-ci est la fille de Pierre Brillant l’homme le plus riche de la paroisse. Pendant les vacances de Noël, Émile vient passer quelques jours avec son ami Hector Hardy, un futur médecin. Ce dernier ravit le cœur d’Esther.

La mère de Jean tombe malade Une voisine, Rose Desprez, qui a fréquenté l’école avec Jean, prend soin d’elle. Quand sa mère meurt, Jean veut à tout prix  fuir ces lieux. Il part avec le père de Rose faire du cabotage sur le fleuve; puis, à Québec, il s’engage sur un bateau qui se rend en France et en Italie. Hasard des hasards, à Rome, il rencontre son cousin Émile qui lui propose un emploi dans son entreprise américaine. Jean rentre à Saint-Germain pour régler ses affaires et, sur les conseils du curé, épouse Rose et déménage à Cincinnati. En l’espace  de deux ans, il se fait un nom dans les affaires. Et les années qui suivent confirment son succès. 

Émile, qui a beaucoup évolué, défend maintenant l’importance de la culture face au matérialisme américain. Le temps passe, il convainc Jean d’envoyer leurs enfants au Canada pour étudier. Les deux couples décidentde venir passer les vacances à Cacouna avec leurs enfants. Et les deux redécouvrent leur patrie. « Oui, c’est bien sa jeunesse, c’est l’âme et la tradition de ses ancêtres, c’est la patrie qui le rappellent en ces lieux. Cet œil du phare ! Oui, c’est bien l’amour du sol natal qui brille d’un éclat de plus en plus vif à mesure que les ombres s’épaississent à notre horizon ; qui traverse la nuit de nos vicissitudes au vieil âge et nous indique le port du repos éternel où nous attendent les ancêtres! »

Jean, riche et indépendant, revient s’installer à Saint-Germain. Quant à Émile, il promet d’y passer toutes ses vacances d’été.

Vous l’aurez compris, on se trouve devant un roman à thèse. On pourrait le résumer simplement comme ceci : l’Américain Émile, qui a tout reçu de son père, se détourne du matérialisme. Jean, le petit Canadien français orphelin pauvre, finit aussi par découvrir que cette richesse, une fois acquise, ne lui procure pas le bonheur. Les deux en viennent à la conclusion qu’il existe un bien supérieur qui a pour nom famille, religion et patrie.L’objectif de Chouinard est clair : n’émigrez pas aux États-Unis; et si vous y allez, conservez votre nationalité et revenez au Québec lorsque vous aurez fait assez d’argent.

Le récit avance à coups de longues analyses psychologiques. Le narrateur et les personnages dissertent et dissertent encore et le style est lourd : « En effet, Hector Hardy, fils d’un professionnel à l’aise établi dans l’une des provinces de l’ouest canadien, esprit superficiel astreint à subir sous peu les rudes épreuves qui conduisent au doctorat médical, n’est pas marri de faire trêve durant quelques jours aux trop sérieuses études qu’il mène de conserve avec son confrère Dupin. »

Quant aux femmes, il ne faut surtout pas qu’elles se fassent instruire : à propos de la fille des Brillant, Chouinard évoque « l’éducation fausse d’une campagnarde et la frivolité naturelle du caractère féminin ». Et sur la vie mondaine : « Mais c’est encore plus, hélas ! la première mascarade officielle des vanités féminines sous les afféteries hypocrites. Après son début dans le monde, la jeune émancipée aura voix délibérative avec ses égales, avec sa mère aussi, dans des colloques où se fourbissent les armes plus ou moins meurtrières de la toilette. Elle s’exercera, sous les leçons de l’expérience, à la guérilla des conversations oiseuses, des propos ambitieux, des jugements téméraires, enfin, de la vie mondaine. » Sexiste et rétrograde (même pour son époque), le monsieur!

Ernest Chouinard (1856-1924), un journaliste, a publié quatre livres « sur ses vieux jours » : Sur mer et sur terre (1919), L’arriviste (1919), Croquis et Marines (1920), L’ œil du phare (1923).

 

Extrait

« Ainsi donc en résumant ces deux états d’âme, Émile Dupin, malgré sa richesse et son aisance innée, avec ses études et sa sagesse naturelle, ne pouvait plus s’empêcher de constater de mieux en mieux, à la vue de ses enfants grandissants, que l’âme ancestrale de sa famille ne s’était pas acclimatée au pays étranger ; qu’elle était restée là-bas sur cette terre canadienne où il n’avait fait lui-même que passer, mais où elle avait provigné depuis deux cents ans, où elle avait poussé ses plus fortes racines dans tant de berceaux et fleurissait encore sur tant de tombes. Et de mieux en mieux, il comprenait, comme il l’avait dit, que lui et les siens ne seraient de longtemps encore que des dépaysés dans leur patrie adoptive. Sa nostalgie à lui tient du patriotisme de raison. Jean Pèlerin, au contraire, n’a vécu au Canada qu’une enfance malheureuse et une jeunesse humiliée. Quand il a quitté sa paroisse natale, il aurait pu se dire qu’il secouait sans regret de son pied la poussière de ce sol qui lui avait été si pénible. Plongé dans le grand creuset de la vie industrielle, au milieu d’un alliage auquel il devait tant emprunter, combien il lui avait été facile d’éliminer la gangue de sa pauvreté canadienne ! Pour lui peut-être plus encore que pour son cousin, il serait logique d’affectionner le milieu social où il lui fut donné de commuer sa tare de miséreux dans le bonheur du parvenu. Mais au fond de son cœur, comme dans l’âme et la prière de sa femme, la voix douce et charmeresse de sa patrie canadienne n’attendait plus, pour le faire entendre et commander, qu’un retour même passager, et par leurs enfants, aux choses canadiennes, sous l’emprise du patriotisme d’instinct. » (p. 166-167)