18 septembre 2012

Légendes du nord-ouest


Dugast M. (Georges Dugas), Légendes du nord-ouest, Montréal, Librairie Saint-Joseph, Cadieux & Derome, 1883, 141 p.

La crainte de l'enfer
Tourangeau, comme beaucoup de voyageurs, a épousé une Indienne et n'est jamais revenu au Québec. Il vit avec elle et ses enfants près du Lac Athabasca. Un jour, sa femme entend un autre voyageur qui parle de l'enfer. Elle en éprouve une telle crainte qu'elle exige de son mari qu’il l’amène à Rivière-Rouge pour y recevoir une éducation chrétienne.

Bataille de soixante et sept Métis contre deux mille Sioux, en 1851
Les 13 et 14 juillet 1851, 67 Métis partis à la chasse sont attaqués par 2000 Sioux sur le pied de guerre. Ils vont se regrouper autour de leurs charriots et résister pendant deux jours aux attaques des Sioux qui finissent par abandonner faute de munitions.

Une leçon de pugilat
Un curé, immense, nouvellement arrivé à Fort William (Lac Supérieur), décide de mettre fin aux combats que se livrent les voyageurs en empoignant les deux pugilistes et en les secouant l’un contre l’autre.

Légende de la femme sauvage
Le jeune chef des Corbeaux, poursuivi par des Pieds noirs, abandonne sa femme pour accélérer sa fuite. Quelques jours plus tard, en passant inaperçu, il se glisse dans le camp des Pieds noirs pour reprendre sa femme. Elle lui dit de l’attendre dans un petit bois tout près.  Insultée que son mari l’ait abandonnée, elle le dénonce, les Pieds noirs s’en emparent et le torturent au grand plaisir de sa femme. Il est laissé pour mort, mais s’en tire. Quelque temps plus tard, avec ses compatriotes, il attaque le camp des Pieds noirs, s’emparent de sa femme et la brûle. 

Voyage de 1800 milles à pied, fait par Jean-Baptiste Lajimonière dans l'hiver de 1815
Dugas raconte le long et difficile voyage de Lajimonière, un coureur de bois renommé, du Manitoba jusqu’à Montréal, pour le compte de la compagnie de la Baie d’Hudson. On l’a chargé d’un message pour lord Selkirk.  Il doit lutter contre le froid, la faim mais aussi se méfier des agents de la compagnie du Nord-Ouest. Il sera finalement intercepté sur le chemin du retour, avant d’être libéré quand la compagnie d’Hudson s’empare du fort Douglas.

Légende du fort Garry
Le fort Gary occupa beaucoup de place dans la vie des Métis. C’est là qu’ils formèrent les premiers mouvements d’opposition contre le joug britannique. Ils réclamaient la liberté du commerce,  monopole de la compagnie du Nord-Ouest. Le père de Louis Riel devint leur chef. 

Massacre de la rivière Saint-Pierre
En 1861, dans le Minnesota, les Sioux massacrent tous les habitants des alentours de la rivière Saint-Pierre, prétextant que les grands esprits leur ont commandé ces actes barbares.

Marguerite Trottier, scalpée par les Sioux
En 1808, six hommes qui se rendent du fort Qu’Appelle au fort Gibraltar sont attaqués par des Sioux. Parmi eux se trouvent un certain Jutras qui travaille pour la compagnie du Nord-Ouest, sa femme indienne Marguerite Trottier, et son enfant. Quatre hommes sont tués sur le coup et deux réussissent à fuir, dont Jutras, abandonnant femme et enfant. On retrouve sa femme scalpée et à moitié mourante et l’enfant, mort. Elle survivra, mais quittera son mari.

Ce n’est pas un ouvrage littéraire. Ce ne sont pas aussi des légendes au vrai sens du terme. Dugas (1833-1928) raconte une série d’anecdotes, plusieurs très cruelles, qui font partie de la petite histoire de l’Ouest canadien. La plupart se sont passées avant sa venue dans l’Ouest. D’ailleurs, il cite à quelques reprises ses sources. Il y ajoute quelques considérations générales sur la vie de ces pionniers, sur les batailles entre les deux grandes compagnies, sur les exactions des Indiens (vus très négativement). On apprend peu de choses de la vie quotidienne des Métis, quelques bribes d’histoire par-ci, un peu d’ethnologie par-là, mais rien de plus. Sous son vrai nom, Dugas a écrit en 1890 un deuxième recueil de Légendes du Nord-Ouest  (même titre, ce qui peut prêter à la confusion).

Extrait
De tous les voyageurs canadiens du N.-Ouest, tin des plus remarquables marcheurs connus, a été sans contredit J.-Bte Lajimonière. Il entreprit et accomplit des courses dont le récit paraîtrait incroyable, si des témoins encore vivants n'étaient pas prêts à en affirmer la vérité. Une chose peut-être aussi étonnante que sa force pour supporter la fatigue, ce fut son coup d'œil pour se diriger à travers les bois et le désert vers le point où il voulait aller. Au dire d'un ancien bourgeois des compagnies, M. McKenzie, J.-Bte Lajimonière n'a jamais trouvé, même parmi les sauvages, qui semblent doués de l'instinct des animaux les plus sagaces, un homme pour s'orienter aussi bien que lui. Il savait, après plusieurs jours de marche dans diverses directions, revenir droit au point d'où il était parti. Aussi, pour expédier un message, avait-on la plus grande confiance en lui, car il était aussi brave et hardi que courageux et entreprenant.
En l'année 1815, J.-Bte Lajimonière, après avoir habité tantôt à Pembina, tantôt à la Saskatchewan, puis de nouveau à Pembina, s'était enfin bâti une petite cabane sur les bords de l'Assiniboine, pour lui et sa famille. Il y vivait de pêche et de chasse, quand, un jour, un des premiers employés au fort Douglass l'invita à venir le voir pour une affaire très importante. Cet employé se nommait Collin Robinson.
Depuis deux ans les compagnies du N.-Ouest, et de la Baie d'Hudson étaient en lutte ouverte. Les forts, qui étaient voisins, s'épiaient nuit et jour pour arrêter les messages et saisir les lettres, et découvrir les machinations d’une compagnie contre l’autre. (p. 66-68)

8 septembre 2012

Le Poids de Dieu


Gilles Marcotte, Le Poids de Dieu, Paris, Flammarion, 1962, 218 pages.

« Depuis la tentative condamnée des prêtres-ouvriers le public a ressenti le pathétique cas de conscience des jeunes prêtres qui veulent inscrire le message chrétien dans la pleine réalité de l'homme, alors qu'une autre partie du clergé en tient pour des formes d'apostolat plus autoritaires. Le héros de Le poids de Dieu est l'un de ces jeunes prêtres.

Nommé vicaire du curé Marquis, dans la paroisse ouvrière d'une petite ville canadienne, Claude Savoie est choqué par les méthodes de son curé, qu'il juge réactionnaires. Il rêve d'accomplir un acte de profonde sympathie qui l'engagerait nettement du côté des hommes.

Or, l'occasion de cet acte va lui être fournie par le jeune Serge Normand, un fils de notaire qui s'est détourné de ce qu'on croyait être une vocation sacerdotale, par amour pour une jeune tuberculeuse. Marie Norbert. Hospitalisée dans un état grave, Marie est prête à renoncer à Serge, lequel, au contraire, malgré l'opposition véhémente de ses parents, soutenus par le curé Marquis, désire s'engager indissolublement vis-à-vis de Marie. Il demande au vicaire de bénir leurs fiançailles; à quoi celui-ci consent, déclenchant une réprobation quasi-unanime, que modérera seulement la mort de la jeune malade, survenue peu après la cérémonie.

Incertain du bien-fondé réel de son acte trop chrétien, Claude « rentrera dans le rang », non sans avoir dû surmonter une grave crise intérieure. » (Quatrième de couverture)

J’ai toujours admiré le critique Gilles Marcotte. Son roman, lui, me plaît moins. Certains critiques ont souligné l’intense vie intérieure du jeune curé Savoie. Tout est traduit dans une analyse minutieuse, subtile, élégante qui occupe presque tout le roman. Cette manière, très française, m’a toujours semblé artificielle. On empêche le personnage de vivre, de respirer (même si à partir du chapitre 10, on passe au « je »).

Claude Savoie n’est pas seulement brimé par le narrateur mais aussi par les autres personnages du roman. Savoie n’a jamais rien choisi. Il s’est laissé porter par les événements, les autres ont décidé pour lui. Vient un jour où il a besoin de s’affirmer : cela n’a rien à voir avec la religion au fond. Il aurait été médecin (d’ailleurs son alter ego dans le roman est médecin) et c’eût été la même chose. Il pense porter un dur coup au curé Marquis en bénissant les fiançailles de Serge Normand, sans se rendre compte qu’il est manipulé par ce dernier. Encore une fois.

Comme je l’ai dit, même si Marcotte questionne le rôle du prêtre dans la société, le principal enjeu de son récit est psychologique. Pour ce, la « rébellion » de Claude Savoie aurait eu plus d’impact s’il avait tout simplement défroqué.

J’ignore ce qui a poussé Marcotte à écrire ce roman après Les Insolences du frère Untel. La révolte du curé Savoie nous semble un peu pâle après les coups de gueule du « petit frère ». On veut bien qu’il marche avec les hommes plutôt que de s’ériger en censeur. Pourtant, il est « terriblement » en-deça des critiques qui vont jeter à terre la forteresse religieuse dans les années qui suivent la parution du roman.
 
Extraits
« II faut un don total, un sacrifice entier, une rentrée ardente dans la mêlée, sans un regard en arrière, sans regret aucun de ces choses qui doivent n'être rien pour moi. (Quelles choses ? Claude fouille sa mémoire et ne trouve que des brindilles : un petit succès scolaire, une courte -oh ! très courte - attache amoureuse.) Pratique intégrale des vertus : humilité, charité. Accepter les humiliations avec le sourire, en remercier Dieu sur-le-champ, aller même au-devant d'elles pour l'amour du Christ. Rendre service à tous, surtout à ceux que je n'aime pas. »
Sa terrible, sa monotone jeunesse !... Claude suit page à page, accablé d'ennui, le contrepoint régulier de la faiblesse et de la résolution. C'est donc dans ce marasme qu'est née sa vocation ? Pourtant, jamais il n'est fait mention du sacerdoce. Seulement les mots : « Absolu », « Dieu », « Christ », répétés comme une obsession, et la liste infinie des refus exigés.
«Renoncer à la chair, cela veut dire renoncer au désir d'être aimé. Je suis tenté de dire avec le personnage de l'Évangile: « Cette parole est dure. » Renoncer aux amours humaines, me construire une tour d'ivoire dans laquelle Dieu seul pourrait entrer...» (p. 130-131)

Mon passé se fraye vers moi des chemins que je n'avais pas prévus. Il me revient par bribes à la mémoire, et chaque fois je suis surpris qu'un nouveau souvenir n'apporte pas avec lui une nouvelle blessure. Il me semble que cela s'est passé il y a très longtemps, dans une vie qui n'est pas, ou n'est plus, la mienne. Ces actes, ces événements, ne m'appartiennent que par leur face cachée ; leur configuration sociale provient d’une aberration dont je ne me reconnais plus responsable. L'ici, le maintenant, sont les seules catégories où je consens à me considérer. Je nais aujourd'hui, et je naîtrai demain. A quoi ? Je l'ignore et ne m'inquiète pas encore de l'apprendre.
Peut-être quitterai-je la soutane : elle me gêne. Ce n'est pas le prêtre qui se cherche en moi, c'est l'homme. (p. 199)

Voir : André Brochu, « Gilles Marcotte, critique et romancier. Entretien »

4 septembre 2012

Les Élus que vous êtes


Clément Lockquell, Les Élus que vous êtes, Montréal, Variétés, 1950, 197 pages.

À la fin de ses études, le frère Bernard est assigné à la petite communauté de Saint-Valère. Peu de temps après, il apprend qu’il doit rejoindre son alma mater, le collège Champlain, une maison d’éducation qui compte 50 religieux. Il quitte à regret un milieu défavorisé et surtout, il croit que la vie collégiale n’est pas susceptible de favoriser sa vocation. « Volontiers, j'aurais passé ma vie à n'instruire que les gamins de Saint-Valère, parce que j’aurais pu ensevelir mon orgueil dont vous ne pouvez pas deviner toutes les ressources. À Champlain, je serai toujours menacé de consentir à ma vanité foncière. Quand je me serai repu de faciles succès, je regretterai que mes talents ne puissent pas s'étaler avec plus d'apparat. Ce n'est pas tellement Champlain que je redoute: c’est moi, ballotté par les occasions qu'il me fournira d'exaspérer ma suffisance de demi-lettré, et mon penchant à la censure. » On l’a compris, la vie religieuse oblige les frères à renoncer à leur individualité. Les rebelles n’y ont pas leur place. Au nom des  sacrées vertus d’obéissance et d’humilité, on décape les caractères trop incisifs.

Le frère Bernard possède une forte personnalité, une propension à juger les autres, à commencer par ses supérieurs, et un fond de vanité qui l’empêchent de se fondre dans le rang. C’est ce manque d’humilité que, trois ans plus tard, ses confrères évoqueront pour lui refuser l’occasion de prononcer ses vœux perpétuels. Le frère Bernard vit ce refus comme un affront. Humilié, il songe à quitter la vie religieuse et à « retourner au monde », même si ce départ équivaut à un échec, sinon à une déchéance.

Finalement, il reste et gagne la confiance de ses collègues, puisqu’il devient préfet. Avec certains confrères, il met de l’avant une série de réformes qui divisent la communauté. Il propose d’alléger le règlement disciplinaire pour les élèves plus vieux et de réformer les programmes en diminuant les sciences au profit des humanités.

Fier de ses réformes, le frère Bernard veut élargir encore plus son action : dans la revue qu'édite la maison provinciale, il publie un article « Initiative et obéissance » qui lui vaut des remontrances de son supérieur. Il doit se rétracter.

Dernier soubresaut dans sa vie : le frère Fabien, un conservateur qu’on citait comme exemple, et qui s'opposait à lui, quitte la communauté : « Ses jugements respiraient la plus stricte orthodoxie. Il n'avait jamais pris de risques. La tradition lui servait d'unique phare. Avec sa conduite quotidienne, on aurait pu écrire la règle tout entière. L'iota de la lettre et les pratiques de simple suggestion lui étaient des ordres. Et voilà qu'il a violé les commandements de Dieu. Lui, le défenseur virulent des conseils, il n'a pas su accomplir les grands préceptes. Lui qui, ostensiblement, se défendait de toucher la main d'un enfant, voilà qu'il s'est laissé séduire par l'Ève éternelle. Il est donc possible, Seigneur, qu'un cœur honnête laisse bouillonner en son tréfonds toute cette lie ! » La dernière phrase, misogyne à souhait, n’est pas un cas isolé.

Quand le médecin le diagnostique « cardiaque avancé », il est nommé directeur de Champlain. Ainsi se termine le roman.

On pense parfois que ces communautés vivaient dans l’harmonie : c’est une tout autre image que nous présente Lockquell. Les guerres de pouvoir, les clans, les insultes font aussi partie de leur quotidien. Ce qui alimente le débat dans Les Élus que vous êtes, c’est le désir de changement de quelques réformistes. En cela, le roman représente bien les années 50 et annonce Les Insolences du frère Untel.

Pour quelqu’un de ma génération, qui a côtoyé religieux, prêtres, frères et sœurs, c’est un bon roman. C’est bien écrit et probablement assez représentatif de la vie de tous ces hommes et de ces femmes qui ont choisi une existence en marge du monde. On comprend que la voie était difficile, mais aussi qu’il était probablement encore plus difficile d’en dévier quand on l’avait choisie. Au-delà de la certitude d’avoir fait bouger des choses dans la communauté, ce qui reste au Frère Bernard au terme de sa vie, c’est la satisfaction de l’éducateur d’avoir apporté sa modeste contribution à l’édification de certaines personnalités.

Extrait
En classe, bien sûr, je les tenais. Mais après, et au-delà ? Qu'est-ce qui resterait de notre effort, de notre sollicitude ? Aux jours sombres, c'était fumée et vent que les pauvres paroles que nous prononcions sur ces têtes inattentives et ces cœurs tiraillés. Mais aux heures sereines, je ne croyais pas que toute une vie eût été stérile, n'eût-elle réussi qu'à infuser dans une douzaine d'âmes la confiance dans la vertu et le respect des valeurs de l'intelligence. Évidemment, notre tâche n'était pas de celles qui se voient récompensées sur-le-champ. Mais qui sait si ces enfants des autres ne tireraient pas plus de nous que de leurs pères selon la chair ! 
Mince consolation ! me disais-je parfois. Vite ressaisi, je savais la valeur de notre génération spirituelle. Je n'y pensais pas dans les cadres de la pédagogie oratoire qu'on nous avait imposée, dans les cours bien tirés au cordeau, à l'école normale : l'expérience m'avait déjà procuré assez de joies, austères assurément, pour que je trouvasse dans cette exaltation très pure et très désintéressée un antidote contre les sursauts de l'instinct.