Gilles Marcotte, Le Poids de Dieu, Paris, Flammarion,
1962, 218 pages.
« Depuis la tentative
condamnée des prêtres-ouvriers le public a ressenti le pathétique cas de
conscience des jeunes prêtres qui veulent inscrire le message chrétien dans la
pleine réalité de l'homme, alors qu'une autre partie du clergé en tient pour
des formes d'apostolat plus autoritaires. Le héros de Le poids de Dieu est l'un de ces jeunes prêtres.
Nommé vicaire du curé Marquis,
dans la paroisse ouvrière d'une petite ville canadienne, Claude Savoie est
choqué par les méthodes de son curé, qu'il juge réactionnaires. Il rêve
d'accomplir un acte de profonde sympathie qui l'engagerait nettement du côté
des hommes.
Or, l'occasion de cet acte va lui
être fournie par le jeune Serge Normand, un fils de notaire qui s'est détourné
de ce qu'on croyait être une vocation sacerdotale, par amour pour une jeune
tuberculeuse. Marie Norbert. Hospitalisée dans un état grave, Marie est prête à
renoncer à Serge, lequel, au contraire, malgré l'opposition véhémente de ses
parents, soutenus par le curé Marquis, désire s'engager indissolublement
vis-à-vis de Marie. Il demande au vicaire de bénir leurs fiançailles; à quoi
celui-ci consent, déclenchant une réprobation quasi-unanime, que modérera
seulement la mort de la jeune malade, survenue peu après la cérémonie.
Incertain du bien-fondé réel de
son acte trop chrétien, Claude « rentrera dans le rang », non sans avoir dû
surmonter une grave crise intérieure. » (Quatrième de couverture)
J’ai toujours admiré le critique
Gilles Marcotte. Son roman, lui, me plaît moins. Certains critiques ont
souligné l’intense vie intérieure du jeune curé Savoie. Tout est traduit dans
une analyse minutieuse, subtile, élégante qui occupe presque tout le roman. Cette
manière, très française, m’a toujours semblé artificielle. On empêche le
personnage de vivre, de respirer (même si à partir du chapitre 10, on passe au
« je »).
Claude Savoie n’est pas seulement
brimé par le narrateur mais aussi par les autres personnages du roman. Savoie n’a
jamais rien choisi. Il s’est laissé porter par les événements, les autres ont
décidé pour lui. Vient un jour où il a besoin de s’affirmer : cela n’a
rien à voir avec la religion au fond. Il aurait été médecin (d’ailleurs son
alter ego dans le roman est médecin) et c’eût été la même chose. Il pense
porter un dur coup au curé Marquis en bénissant les fiançailles de Serge
Normand, sans se rendre compte qu’il est manipulé par ce dernier. Encore une
fois.
Comme je l’ai dit, même si
Marcotte questionne le rôle du prêtre dans la société, le principal enjeu de
son récit est psychologique. Pour ce, la « rébellion » de Claude
Savoie aurait eu plus d’impact s’il avait tout simplement défroqué.
J’ignore ce qui a poussé Marcotte à écrire ce roman après Les
Insolences du frère Untel. La révolte du curé Savoie nous semble un peu pâle
après les coups de gueule du « petit frère ». On veut bien qu’il
marche avec les hommes plutôt que de s’ériger en censeur. Pourtant, il est
« terriblement » en-deça des critiques qui vont jeter à terre la
forteresse religieuse dans les années qui suivent la parution du roman.
Extraits
« II faut un don total, un
sacrifice entier, une rentrée ardente dans la mêlée, sans un regard en arrière,
sans regret aucun de ces choses qui doivent n'être rien pour moi. (Quelles
choses ? Claude fouille sa mémoire et ne trouve que des brindilles : un petit
succès scolaire, une courte -oh ! très courte - attache amoureuse.) Pratique
intégrale des vertus : humilité, charité. Accepter les humiliations avec le
sourire, en remercier Dieu sur-le-champ, aller même au-devant d'elles pour
l'amour du Christ. Rendre service à tous, surtout à ceux que je n'aime pas. »
Sa terrible, sa monotone jeunesse
!... Claude suit page à page, accablé d'ennui, le contrepoint régulier de la
faiblesse et de la résolution. C'est donc dans ce marasme qu'est née sa
vocation ? Pourtant, jamais il n'est fait mention du sacerdoce. Seulement les
mots : « Absolu », « Dieu », « Christ », répétés comme une obsession, et la
liste infinie des refus exigés.
«Renoncer à la chair, cela veut
dire renoncer au désir d'être aimé. Je suis tenté de dire avec le personnage de
l'Évangile: « Cette parole est dure. » Renoncer aux amours humaines, me
construire une tour d'ivoire dans laquelle Dieu seul pourrait entrer...» (p.
130-131)
Mon passé se fraye vers moi des
chemins que je n'avais pas prévus. Il me revient par bribes à la mémoire, et
chaque fois je suis surpris qu'un nouveau souvenir n'apporte pas avec lui une
nouvelle blessure. Il me semble que cela s'est passé il y a très longtemps,
dans une vie qui n'est pas, ou n'est plus, la mienne. Ces actes, ces
événements, ne m'appartiennent que par leur face cachée ; leur configuration
sociale provient d’une aberration dont je ne me reconnais plus responsable.
L'ici, le maintenant, sont les seules catégories où je consens à me considérer.
Je nais aujourd'hui, et je naîtrai demain. A quoi ? Je l'ignore et ne
m'inquiète pas encore de l'apprendre.
Peut-être quitterai-je la soutane
: elle me gêne. Ce n'est pas le prêtre qui se cherche en moi, c'est l'homme.
(p. 199)
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