4 avril 2025

Lan ga ge

Michel Garneau, Lan ga ge, Montréal, Éditions À la page, 1962, n. p. (Environ 100)

Michel Garneau (1939-2021) ne s’embarrasse pas des jeux de l’esprit. Se tenir au plus près de soi, de son corps et de ses sensations, essayer de rester dans le moment présent, malmener le langage, voilà ce qui donne des poèmes parfois désarticulés, ce qu’annonçait le titre aux syllabes détachées : Lan ga ge.

Les poèmes ont été écrits entre 1956 et 1962. Plusieurs sont déroutants à prime abord. On ne voit pas où le texte s’en va. Déroutant au point que j’ai senti le besoin de consulter le DOLQ (après 30 pages), ce que je ne fais à peu près jamais. André Brochu écrit : « Que disent les poèmes de Langage? À proprement parler, rien : ils sont du langage, c’est tout. Rien, sinon la joie « générale » d’exister, d'aimer, et puis tout ce que peut éprouver un être jeune et content de vivre. » Je n’aurais pas su mieux dire.

J’ouvre le recueil au hasard et je tombe sur ce poème :

la nuit est ronde comme un bol de café

et finement poreuse dans ses os et les miens

où les mots de ton sommeil veillent sur la gentillesse

où je n'ai plus mal aux doigts où mes cigarettes

sont chaudes et de ma gratitude et de leur feu

qui est le même vous savez que celui de la vôtre

le silence remue comme une cuisson fraichement défournée

la terre m'entoure de cette seule paix

On est en présence d’un être amoureux, qui se sent bien dans sa peau, qui vit un moment de plénitude auprès de son amoureuse endormie. La nuit ne constitue pas un obstacle mais plutôt un lieu habitable. Tout est pour le mieux, d’où la gratitude.

Garneau parle souvent de la mort (« je veux mourir en gentillesse »), sans doute encore en deuil de son frère Sylvain Garneau décédé en 1953. Peut-être que son parti-pris de vivre pleinement est en lien avec cette tragédie personnelle : « nous n’avons plus droit au recul / devant les ombres ».

Ce recueil, souvent peace and love, écrit en partie à la fin des années 1950, est déjà dans l’esprit de la génération lyrique. Quant à moi, les poèmes qui respirent la douceur et la tendresse sont les mieux réussis. En voici trois courts :

 

j’habite une femme belle

comme l’eau de l’amour qui est la mer

car le calme des rivières s’appuie sur les roseaux

comme notre amour gît pour surgir en notre corps

 

tes lèvres m’enseignent les clairières et le foin

coupé des baisers au plein soleil tes bras les

détours de rivières tes cheveux les nénuphars

d’ombre tes seins les fleurs fatales de la rosée

sans la science de ta présence ma vie

mon corps sonnent la cendre

 

mon désir

libère

les écureuils de tes seins

aux engrenages de fraîcheur d’arbres

ils se dressent en poissons-ruisseaux

et fuient de toi vers mes joues

ma salive me rafraîchit les paupières

efface chaque caresse

la recommence