Michel Garneau (1939-2021) ne s’embarrasse pas des jeux de l’esprit. Se tenir au plus près de soi, de son corps et de ses sensations, essayer de rester dans le moment présent, malmener le langage, voilà ce qui donne des poèmes parfois désarticulés, ce qu’annonçait le titre aux syllabes détachées : Lan ga ge.
Les poèmes ont été écrits entre 1956 et 1962. Plusieurs sont déroutants à prime abord. On ne voit pas où le texte s’en va. Déroutant au point que j’ai senti le besoin de consulter le DOLQ (après 30 pages), ce que je ne fais à peu près jamais. André Brochu écrit : « Que disent les poèmes de Langage? À proprement parler, rien : ils sont du langage, c’est tout. Rien, sinon la joie « générale » d’exister, d'aimer, et puis tout ce que peut éprouver un être jeune et content de vivre. » Je n’aurais pas su mieux dire.
J’ouvre le recueil au hasard et je tombe sur ce poème :
la nuit est ronde comme un bol de café
et finement poreuse dans ses os et les miens
où les mots de ton sommeil veillent sur la gentillesse
où je n'ai plus mal aux doigts où mes cigarettes
sont chaudes et de ma gratitude et de leur feu
qui est le même vous savez que celui de la vôtre
le silence remue comme une cuisson fraichement défournée
la terre m'entoure de cette seule paix
On est en présence d’un être amoureux, qui se sent bien dans sa peau, qui vit un moment de plénitude auprès de son amoureuse endormie. La nuit ne constitue pas un obstacle mais plutôt un lieu habitable. Tout est pour le mieux, d’où la gratitude.
Garneau parle souvent de la mort (« je veux mourir en gentillesse »), sans doute encore en deuil de son frère Sylvain Garneau décédé en 1953. Peut-être que son parti-pris de vivre pleinement est en lien avec cette tragédie personnelle : « nous n’avons plus droit au recul / devant les ombres ».
Ce recueil, souvent peace and love, écrit en partie à la fin des années 1950, est déjà dans l’esprit de la génération lyrique. Quant à moi, les poèmes qui respirent la douceur et la tendresse sont les mieux réussis. En voici trois courts :
j’habite une femme belle
comme l’eau de l’amour qui est la mer
car le calme des rivières s’appuie sur les roseaux
comme notre amour gît pour surgir en notre corps
tes lèvres m’enseignent les clairières et le foin
coupé des baisers au plein soleil tes bras les
détours de rivières tes cheveux les nénuphars
d’ombre tes seins les fleurs fatales de la rosée
sans la science de ta présence ma vie
mon corps sonnent la cendre
mon désir
libère
les écureuils de tes seins
aux engrenages de fraîcheur d’arbres
ils se dressent en poissons-ruisseaux
et fuient de toi vers mes joues
ma salive me rafraîchit les paupières
efface chaque caresse
la recommence