26 juillet 2019

Opales

Hélène Charbonneau, Opales, Paris, Éditions de la France Universelle, [s.d. 1920?], 125 p. (Préface de Lucie Delarue-Mardrus)

Hélène Charbonneau (1894-1964) publie son recueil en France dans une maison d’éditions qui ne semble pas avoir fait long feu, si je me fie aux bouquins disponibles sur AbeBooks. Peu importe, un certain prestige était attaché à cela. 

Quatre ans ans plus tard, elle publie au Québec une version amincie sous le pseudonyme de Marthe des Serres (Ducharme, Montréal, 1924, 69 p.) : elle a supprimé la seconde partie constituée de poèmes rimés, avec raison, puisqu’ils n’ajoutent rien. 

La solitude est au cœur de ce recueil, bien qu’elle ne soit jamais nommée. L’auteure, dans presque tous les poèmes, raconte la souffrance que lui impose un amour perdu. Que s’est-il passé? Il semble qu’elle n’a pas su le reconnaitre quand il s’est présenté : « Qu’ai-je fait ?... T’ai aimé, sans t’en parler, / Sans me le dire à moi-même / Qui voulais rester étrangère à tant de richesse ». (Triste) Un jour, son amoureux est parti : « L’autre soir je suis allée l’attendre au bord du chemin. / J’avais mis ma robe de velours noir à manches courtes / Toute fraîche d’un parfum sentant bon la verveine. / Mais il n’est pas venu... Il n’est plus revenu. (Et si parfois...) Et elle reste là à cuver sa peine, du moins ses regrets, son sentiment de perte : « Seule, magnifiquement seule, / Je marche au petit bonheur des jours / Immenses et vides / Qui recommencent toujours, toujours, / Une ombre parfois galope à mes côtés. / Ah ! c’est toi, ma peine? » (Eux autres) Ne reste que le loisir de rejouer indéfiniment le passé dans l’imaginaire.

Tous les poèmes, ou presque, reprennent cette trame avec peu de variations. Tout au plus s’y mêlent la nature et quelques souvenirs du passé. Comme en témoignent les passages cités, cette poésie au ton élégiaque distille une douce tristesse, sans grands éclats romantiques, même si on ne parle que d’amour déçu.

Voir aussi Châteaux de cartes 


Je veux, je veux rêver

Voici ma chevelure que tu épuises 
Sur tes immobiles genoux.
Voici le manteau gris de ma peine grise. 
Qui étouffe le bruit de mes soupirs 
Promenant à peine, le soir,
Au long des routes, leurs voix d’enfants.
Et puis voici mon cœur, mon cœur indécis 
Depuis qu’il porte en soi 
Le secret de mille choses.

Je veux, je veux rêver.

vers
Version québécoise sous le pseudonyme de Marthe des Serres


19 juillet 2019

L’huis du passé

Madame Boissonnault (Marie Dumais), L’huis du passé, Montréal, Chez l’auteure, 1924, 208 pages (Préface de l’abbé Auguste La Palme)

 « Pour servir religion et patrie, Madame Boissonnault, avec la grâce de la femme, l’amour de la mère, l’enthousiasme d’une Canadienne sincèrement éprise, nous révèle un poète d’une rare qualité. » (La Palme)

On trouve deux poèmes liminaires, l’un écrit par un lieutenant-colonel français d’Hyères et l’autre par l’auteure. Ce dernier donne son titre au recueil, L’huis du passé. « J’ouvre l’huis du passé – rien autre ne vaut guère – / Ton prisme, souvenir, rend les vieux jours si beaux! » Elle avait 66 ans lorsqu’elle publie ce recueil.

Le recueil compte quatre parties non titrées, mais qui auraient pu s’appeler : Religion, Amour de mon pays, Maternité, Souvenirs heureux.

Quelques titres de poèmes devraient suffir à donner une bonne idée de la première partie : L’église, Fête-Dieu, Pentecôte, L’angélus, Merci, Seigneur!... « La vie a des rayons, des étoiles, des ombres, / Des averses de pleurs : tribut officiel; / Après les jours de paix nous viennent les jours sombres, / Et puis viendra le ciel! »

Dans la deuxième partie, Jeanne Mance, Madeleine de Verchères, Jeanne Leber, mais aussi le Saint-Laurent, L’île-aux-Basques, Trois-Pistoles ont droit à un poème. C’est dire que son amour du pays ne s’abreuve pas uniquement aux héros et héroïnes de notre histoire, mais aussi au pays physique, habité :  « Si vous n’avez pas vu sa rive enchanteresse, / Si vous n’avez bruni sous sa rude caresse, / Vous ne comprenez pas / Ce que ressent mon cœur quand je revois la plage / Du Saint-Laurent superbe et que sur le rivage / Je marche à petits pas. »

La troisième partie commence par « Mon premier-né ». Suivent « Litanies du petit enfant », « Bébé », « Prière de bébé », etc. « De grands yeux bleus pleins de tendresse, / Une bouche belle à croquer, / Sur ses petits pieds très droits il se dresse / Et prend un air interloqué… » Vous l’aurez deviné, c’est la mère qui s’attendrit sur sa progéniture.

Il est plus difficile de cerner la dernière partie. Beaucoup de poèmes sont dédiés aux gens qu’elle aime, dont son mari décédé, sa sœur, sa mère. D’autres évoquent son enfance dans le Bas du fleuve, un « petit pont », une « vieille maison », bref des souvenirs heureux, des lieux significatifs pour elle, des moments charnières de sa vie. « Du bleu, du bleu, partout! Au ciel et sur la mer… /… / C’est ici qu’autrefois me râpant les genoux, / Sur les galets polis, je venais, comme vous, / Ramasser des oursins, des bourgauds, des coquilles, / Et barboter dans l’onde à hauteur de chevilles… »

12 juillet 2019

De l’aube au midi

Alonzo Cinq-Mars, De l’aube au midi, Québec, Édition de la Tour de Pierre, 1924, 122 pages.

Le recueil est très découpé. Huit parties suivent le poème liminaire. Déjà les titres nous fournissent un bon aperçu de ce qu’on va lire : Intimement, Au fil de l’heure, Amoroso, Religioso, Martiales, Provinciales, Chansons, Fantaisies.

Cinq-Mars, comme tant d’autres, commence par des excuses : « Mes amis, je m’accuse / d’avoir écrit des vers, / d’avoir vu l’univers / par les yeux de ma muse. » Intimement regroupe des poèmes écrits entre 1907 et 1924. Les sujets abordés vont des idées noires d’un jeune homme à l’attendrissement d’un père de famille devant ses enfants. Au fil de l’heure contient une série de poèmes de circonstances adressés à une personne précise. Dans Amoroso, on retrouve les motifs habituels de l’amour, du serment amoureux jusqu’à son effilochement, parfois sur le mode humoristique. « On dira que je suis bien tendre, / que mes vers sont trop amoureux / et que ce sont là de ces jeux / capables de me faire pendre. » Dans les quatre poèmes de Religioso, l’auteur témoigne de la force de sa foi. La guerre est toute récente et, dans Martiales, il rend hommage à ceux qui y ont participé : une chanson patriotique, une apologie aux héros disparus, une « action de grâce » pour saluer la victoire. Dans Provinciales, Cinq-Mars célèbre différents lieux qui lui sont chers, dont son village natal. « Je ne puis revoir ton hameau, / Saint-Edouard-de-Lotbinière, / sans que se mouille ma paupière / pour pleurer mon lointain berceau. » Suivent six chansons d’amour, légères et teintées d’humour, probablement mises en musique. « Au cou de Jeanne insolemment / S’en vint se poser une mouche. » Enfin, Fantaisies regroupe quelques poèmes disparates, eux aussi légers, dont cette adresse au lecteur qui vient clore le recueil : « Quant aux autres, moins indulgents, / qui n’en ont ont pas eu pour leur argent, / je compatis à leur désastre. // Qu’ils réclament donc sans façon; / mon éditeur est bon garçon : / il leur remettra bien leur piastre!  »

Cinq-Mars a 43 ans quand il publie ce recueil. Il a rassemblé des poèmes épars, écrits sur une période d’une vingtaine d’années, qu’il tente tant bien que mal de faire tenir ensemble.  De l’aube au midi évoque le mitan de la vie. Le recueil avait sans doute valeur de bilan pour l’auteur.


5 juillet 2019

Sous la faucille

Adalbert Trudel, Sous la faucille,  Québec, Imprimerie Ernest Tremblay, 1931, 106 pages.

Le titre laisse penser qu’on va lire un autre recueil du terroir, où la faucille le dispute à la charrue, mais rien de tel. L’inspiration de Trudel oscille entre l’intimisme et le romantisme. Les amours vouées à leur perte, la nostalgie de l’enfance disparue, la nature inspiratrice, le rêve, la recherche d’un ailleurs, le temps qui fuit sont des sujets bien présents dans ce recueil. 

Là où Trudel nous surprend, c’est que tous ces motifs sont plus ou moins subordonnés au thème central qu’on pourrait formuler ainsi : la poésie est-elle nécessaire? Trudel, dont le recueil précédent, publié deux ans plus tôt, a subi critiques et sarcasmes (c’est lui qui le dit), s’interroge sur la poésie : d’où elle vient, les raisons d’en écrire, ce qu’elle doit contenir, l’effet qu’elle doit produire, la réception qu’on devrait lui réserver. La faucille du titre, c’est celle qu’utilise le poète pour découper ses vers, pour ciseler des poèmes. 

Du côté formel, notons quelques sonnets, quelques ballades et beaucoup de poèmes sans forme définie, mais rien de la modernité de 1930. Trudel ne publiera plus après ce recueil. Il se fera un nom dans l’architecture.

Extrait
Et maintenant, quel sort crois-tu qu’on fasse aux vers
Si le siècle présent est à ce point pervers
Qu’il brise sans remords, avec désinvolture,
L’ouvrage qu’on a fait autrefois pour qu’il dure ?
Faire des vers, vois-tu, c’est un peu ramasser
Poème par poème un matériel fragile
Qu’on assemble en croyant qu’il pourra dépasser
La borne où frappera notre pied moins agile;
C’est, comme un voyageur qui franchit un vallon,
Lancer à pleine voix un chant de belle allure
Qui, demain, frappera de sa vibration
Les autres voyageurs menés par aventure
Dans les mêmes endroits. Faire des vers, enfin,
C’est écrire son nom sur l'écorce d’un arbre
Ou le graver un peu chaque jour sur le marbre,
En espérant qu’après l’oeuvre de notre main,
Nulle autre main n’aura le déprimant courage
De l’effacer avec la trace de l’ouvrage.

(Réponse - à Paul Marquis)