5 juillet 2019

Sous la faucille

Adalbert Trudel, Sous la faucille,  Québec, Imprimerie Ernest Tremblay, 1931, 106 pages.

Le titre laisse penser qu’on va lire un autre recueil du terroir, où la faucille le dispute à la charrue, mais rien de tel. L’inspiration de Trudel oscille entre l’intimisme et le romantisme. Les amours vouées à leur perte, la nostalgie de l’enfance disparue, la nature inspiratrice, le rêve, la recherche d’un ailleurs, le temps qui fuit sont des sujets bien présents dans ce recueil. 

Là où Trudel nous surprend, c’est que tous ces motifs sont plus ou moins subordonnés au thème central qu’on pourrait formuler ainsi : la poésie est-elle nécessaire? Trudel, dont le recueil précédent, publié deux ans plus tôt, a subi critiques et sarcasmes (c’est lui qui le dit), s’interroge sur la poésie : d’où elle vient, les raisons d’en écrire, ce qu’elle doit contenir, l’effet qu’elle doit produire, la réception qu’on devrait lui réserver. La faucille du titre, c’est celle qu’utilise le poète pour découper ses vers, pour ciseler des poèmes. 

Du côté formel, notons quelques sonnets, quelques ballades et beaucoup de poèmes sans forme définie, mais rien de la modernité de 1930. Trudel ne publiera plus après ce recueil. Il se fera un nom dans l’architecture.

Extrait
Et maintenant, quel sort crois-tu qu’on fasse aux vers
Si le siècle présent est à ce point pervers
Qu’il brise sans remords, avec désinvolture,
L’ouvrage qu’on a fait autrefois pour qu’il dure ?
Faire des vers, vois-tu, c’est un peu ramasser
Poème par poème un matériel fragile
Qu’on assemble en croyant qu’il pourra dépasser
La borne où frappera notre pied moins agile;
C’est, comme un voyageur qui franchit un vallon,
Lancer à pleine voix un chant de belle allure
Qui, demain, frappera de sa vibration
Les autres voyageurs menés par aventure
Dans les mêmes endroits. Faire des vers, enfin,
C’est écrire son nom sur l'écorce d’un arbre
Ou le graver un peu chaque jour sur le marbre,
En espérant qu’après l’oeuvre de notre main,
Nulle autre main n’aura le déprimant courage
De l’effacer avec la trace de l’ouvrage.

(Réponse - à Paul Marquis)

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