François Provençal (Félix
Charbonnier), La crise, Montréal, Édouard
Garand, 1929, 52 pages (coll. Le roman canadien no 59)
L’action se déroule à Repentigny
dans les années 20. Jean Bélanger croyait avoir la vocation religieuse. Au
terme de son année de rhétorique, il passe l’été à la ferme de ses parents et
il découvre que son amitié pour Alice, une amie d’enfance, s’est transformée en
passion amoureuse. Il lui déclare sa flamme, mais quelques jours plus tard, il
découvre que celle-ci, qui avait semblé sensible à ses sentiments, est
fréquentée par un autre gars. Ayant le sentiment d’avoir été trompé, il lui
écrit une lettre méchante. Ce qu’il ne sait pas, c’est que la jeune fille
partageait ses sentiments.
Par la suite, il rencontre une
jeune fille de Westmount (Élixida) qui fréquente Repentigny durant ses
vacances. Il la sauve d’une noyade certaine et cette jeune fille frivole se
transforme en véritable sainte. « La logique humaine n’avait rien à voir avec
ce cas de psychologie surnaturelle. », nous dit l’auteur sans doute conscient
que cette couleuvre est dure à avaler. Jean la fréquente mais quand il apprend que sa petite Alice est très
malade, il vole à son chevet et se réconcilie avec elle. Partagé entre ces deux
demoiselles et sa vocation, Jean ne sait plus où donner de la tête. Survient un
prêtre bien décidé à récupérer cette vocation en péril. Il l’inscrit dans une
retraite fermée où Jean subit un véritable lavage de cerveau (c’est moi qui le
dis). Il décide de rentrer au grand séminaire à l’automne. Cerise sur le
gâteau, Élixida rentre chez les sœurs.
Félix Charpentier a le mérite
d’exposer sans hypocrisie les stratagèmes (de la manipulation) qu’utilisait le
clergé pour augmenter ses effectifs. Je n’exposerai pas ici toute l’argumention
qu’on mettait en œuvre : disons grosso
modo qu’on essayait par tous les moyens de convaincre ces jeunes hommes
qu’ils étaient des êtres d’exception et qu’il leur appartenait de s’élever au-dessus
des chrétiens ordinaires. « […] le prédicateur, un confrère du directeur
de la retraite, a montré éloquemment qu’on ne peut être chrétien à demi, à une
époque où la main divine secoue les peuples pour en faire sortir des soldats
intrépides, et pour reléguer les résidus humains loin de la ligne de combat où
s’endorment les pusillanimes, les poltrons, les lâches, tous ceux qui sont
indignes d’entrer dans la milice du Christ, parce qu’ils sont amollis par les
caresses du monde. »
Par la prêtrise, le jeune homme
accédait à un degré supérieur de l’amour, l’amour universel. Et comme c’est le
cas pour Jean, on n’hésitait pas à réduire l’amour humain à bien peu de choses.
Et s’il le fallait, on utilisait les grands moyens pour éloigner la nouvelle
recrue de la femme, perçue comme la tentatrice : « En plein dans
son sujet, le prédicateur atteint la plus haute éloquence ; il évoque
toutes les défaites dues à la néfaste influence des femmes corrompues et
corruptrices, à travers l’histoire profane et l’histoire sacrée. Mais,
ajoute-t-il, un jeune homme vertueux est encore bien plus exposé, s’il est mis
en présence d’une âme également vertueuse, en dehors des conditions normales
d’un légitime amour ; il ne verra d’abord rien de coupable dans une amitié
qui lui paraîtra innocente ; hélas ! il sentira bientôt s’allumer
dans ses entrailles un feu dévorant qu’il ne pourra plus éteindre… Malheur à
lui !… Ces flammes impures, émanées de l’antre infernal, symbolisent déjà
les brasiers éternels où il risque d’être précipité à jamais ! »
La crise, c’est un très mauvais
roman. La psychologie des personnages est assez désastreuse. Pour le curé
Charbonnier, il y a la psychologie virile et la psychologie féminine. Quand
Jean remet en question sa vocation, c’est la part féminine qui parle en lui.
Autre exemple : Éxilda Chênevert change du tout au tout en une
journée : « J’étais perverse, mais je ne le suis plus, je vous
le jure. »
Des prêtres imbus d’eux-mêmes
jusqu’au mépris, plus manipulateurs que bons, comme Charbonnier en décrit dans La crise, pour ceux et celles de ma
génération, ce n’est pas une découverte. On comprend facilement que beaucoup de
religieux et de religieuses, enrégimentés dans un rôle qui ne leur convenait pas, aient défroqué dans les années soixante.