Laetitia Filion, Yolande la fiancée, s. l. [Lévis], s.n.
[Imprimerie «Le Quotidien»], 1935, 188 pages.
L’histoire commence en 1913, se
déroule à Québec et aux alentours, surtout à Saint-Jean, Île d’Orléans. Jean
Dubreuil et Henri Desruisseaux sont deux universitaires qui achèvent leurs
études: le premier veut devenir médecin et le second, avocat. Jean a une sœur,
Yolande, qui a une amie, Lucienne. Les jeunes filles ont fréquenté les
couvents, ont terminé leurs études et demeurent à la maison en attendant de
trouver un mari. Henri est amoureux de Yolande et Jean, de Lucienne.
Aux termes de leurs études, en
1915, pour des raisons obscures, Jean et Henri décident de s’enrôler. Juste
avant de partir, l’un et l’autre se déclarent à sa belle. Ils se retrouvent successivement
à Val Cartier (sic), à Plymouth, puis au front à Rouen. Les amoureux s’échangent
des lettres. Les deux gars s’en tirent jusqu’en 1916 : Henri est amputé
des deux jambes. Il rentre au pays au printemps 1917, envoie une lettre à Yolande
dans laquelle il la libère de son engagement. Même si tout le monde lui
conseille d’accepter cette rupture, elle ne l’entend pas ainsi. Elle essaie sans succès de convaincre ses
parents et son fiancé. Le temps passe, Yolande s’accroche à son rêve jusqu’à ce
que Henri meure (on ne comprend pas trop de quoi).
En novembre 1918, survient l’armistice
et Jean rentre au pays. Il revoit Lucienne, mais rompt avec elle. Pendant la
guerre, elle s’était trouvé un autre amoureux, au cas où il ne serait pas
revenu. Jean est maintenant médecin à Matane. Monsieur Dubreuil meurt. À défaut
du grand amour, Jean épouse une gentille fille. Quand madame Dubreuil meurt à
son tour, Yolande se retrouve seule. Elle décide de rester célibataire et de donner
sa vie aux autres : elle allègera la vieillesse de madame Desruisseaux (qui
aurait dû être sa belle-mère), d’une vieille tante et s’occupera des enfants de
son frère.
Inutile de vous dire que je n’aime
pas la conclusion de ce roman :
« De la joyeuse fiancée du mois de juillet 1915, il ne restait plus qu'une personne vieillie avant l'âge et qui désormais partagerait ses soins et son dévouement entre sa tante Sylvie et Madame Desruisseaux. A toutes deux qui étaient âgées, elle fermerait les yeux. Henri n'aurait pas de reproches à lui faire, après s'être dépensé auprès de ses parents, elle serait pour sa mère, à lui, une fille affectueuse et dévouée comme elle l'avait promis. Enfin, plus tard elle irait partager avec sa belle-sœur les devoirs nombreux qu’impose une famille.Yolande, seule dans la chambre d'Henri, que Madame Desruisseaux met à sa disposition, pense à ses rêves d'avenir, et voit qu'ils se sont tous changés en fumée. Malgré un soupir qui gonfle sa poitrine, elle ne se sent pas trop malheureuse: il lui reste encore quelqu'un pour qui se dévouer. »
Il y a beaucoup de femmes qui commencent
une carrière de romancière aux alentours des années 1930 et Laetitia Filion
(1897-1947) est l’une d’elle. Disons que la plupart ont écrit sur les
relations amoureuses. Je pense à Hélène
Charbonneau, Jovette Bernier,
Éva Senécal,
Marie-Louise
Turcot, Françoise
Morin et Adrienne Maillet (L’Oncle des jumeaux Pomponelle, 1939).
Je dois dire que toutes celles citées ci-dessus, sauf Morin, sont supérieures à
Filion.
En choisissant le point de vue de
la jeune fille naïve (Yolande), qui ne voit guère plus loin que l’amour qu’elle
éprouve pour Henri, Filion condamnait son roman à la superficialité. On ne sait
pour ainsi dire rien de la guerre, rien de la petite communauté dans laquelle
elle vit, rien de ses parents. Le lecteur reste muré, avec elle, dans son rêve
d’amour, devenu pathétique quand son amoureux est amputé. Même le décor est en
partie escamoté : tout au plus, on mentionne à quelques reprises le
traversier qui assurait la liaison entre l’île d’Orléans et Québec.