30 janvier 2015

Les Laurentiades

Moise-José Marsile, Les Laurentiades. Retour au pays des aïeux, Montréal, Les clercs de Saint-Viateur, 1925, 312 pages.

Pour en savoir plus sur l’auteur : Répertoire du patrimoine culturel du Québec

Les Laurentiades appartiennent au courant patriotique. Comme le recueil est publié en 1925, on peut supposer qu’il n’apportait rien de très nouveau sous les cieux canadiens-français. Une épopée sur les temps héroïques de la colonie, Louis Fréchette nous en avait déjà servi une : La Légende d'un peuple. Le recueil se présente comme un voyage, celui-là même des découvreurs : on part d’Europe et on s’installe en Acadie, puis à Québec, puis à Montréal avant de s’enfoncer dans le continent. On se retrouve devant de longues suites d’alexandrins (à quelques exceptions près) séparés par des chiffres romains, les titres présents dans la table des matières ayant été abandonnés. En bon romantique, le frère Marsile donne abondamment dans le haut lyrisme et le style épique.

En dédicace, il avoue s’être inspiré de  Byron pour la structure de son recueil. En guise de présentation, il nous sert cette profession de foi : « Cet effort de vieillesse, tel qu’il est, je l’offre au vieux sol natal avec un amour inaltérable, un souvenir toujours jeune. »

Premier chant. L’ACADIE
On quitte la France, on explore la Baie française, l’Ile de Sainte-Croix, on s’installe, on érige Port-Royal, c’est le Grand dérangement et la « Résurrection ». On rencontre Des Monts, Poutrincourt, Évangeline et Gabriel, Jacques et Marie, les Landry de Beaubassin, le père Hébert... « Grand-Pré! Grand-Pré! ton nom a le son d'une cloche / Qui chante et pleure en l’âme; et plus je me rapproche / De tes cimes d'azur, de tes coteaux penchants, / Et des bras de mer qui, loin, enserrent tes champs / Pour répandre leurs flots dans le bassin des Mines, / Plus il me semble entendre au milieu des ruines / Comme un écho lointain du chant de ton berceau / Ou les sanglots du glas d'adieu sur ton tombeau. »

Deuxième chant. QUÉBEC
Ce second chant est à l’image du premier. Un peu d’histoire sur la fondation, puis l’entrée dans le Saint-Laurent avec Cartier et la salutation au passage des lieux suivants : Percé, Le Saguenay, Saint-Jean-Port-Joli, Rivière Ouelle, Beaupré et finalement Québec. « O Québec! c'est donc toi que je contemple encore, / Le front resplendissant en des lueurs d'aurore! / Tu sembles rajeuni par l'air vif du matin / Et tu portes, avec un regard plus hautain, / Au bord du Saint-Laurent, la couronne immortelle / Des Plaines d'Abraham et de la Citadelle, / Pour les âges futurs tu voulus te percher / Comme un rival de l'aigle, au sommet d'un rocher. » Suit l’hommage à quelques personnages célèbres : Mgr de Laval, Louis Hébert, Marie de l’Incarnation, Brébeuf, Crémazie…

Troisième chant. MONTRÉAL
On passe par Trois-Rivières, Verchères, Chambly, Longueuil avant d’atteindre Montréal. On salue Maisonneuve, Jeanne Mance, Lambert Closse, Marguerite Bourgeois et plusieurs autres… « N'es-tu pas, dès ta naissance, Ville-Marie, / D'un lait de piété, d'un pain des forts nourrie? / Oui — bercée à toute heure aux échos d'hymnes saints / Ou du rêve sanglant des martyrs — tu deviens / De ce jeune pays le rempart où s'arrête / L'Iroquois en sa soif de haine et de conquête ». On quitte Montréal, on passe par Rigaud, les Mille-Îles, et le voyage se termine aux chutes Niagara.

En épilogue, Marsile fait un retour sur le dur labeur que fut le sien pendant l’écriture de ses Laurentiades : « D'une tremblante main, mais d'un cœur encor ferme— / Ma tâche enfin finie — ô livre, je te ferme; / De t'écrire je fis, au printemps des désirs, / Le rêve ambitieux. En mes rares loisirs — / Ainsi que de la ruche à la fleur qui parfume, / Va l’abeille — j'allais, de volume en volume  — / Des monts à la vallée, et, partout relisant / Les exploits des aïeux aux traces de leur sang; / De larmes bien des fois se mouillèrent ces pages… »

C’est pour occuper sa retraite que le frère Marsile aurait entrepris cette œuvre. On imagine assez facilement tout le travail qu’elle a dû lui coûter. Véritable travail de bénédictin, si vous me permettez le mélange des congrégations. Réussi? Je ne dirais pas. Trop académique, trop de rimes pour la rime, sans l’éclat de Fréchette.

23 janvier 2015

Les Alternances

Alphonse Beauregard, Les Alternances, Montréal, Roger Maillet, 1921, 145 pages.

Neuf ans après la publication de Les Forces et deux ans avant sa mort accidentelle, Beauregard publie Les Alternances. Le recueil compte cinq parties, dont un poème liminaire (Symbole) dans lequel il dialogue avec la Vie. Bizarrement, on dirait le bilan d’un homme qui sent venir la mort. « Ô Vie! aurais-je pu tendre un cœur plus aride / Vers l’amour dont tu fais l’étoile qui nous guide, / Vers l’amour nécessaire aux résurrections? »

Conscience du cœur
« Le monde est plein d’objets qui parle à l’esprit », mais ce monde toujours lui échappe. Les objets, mais aussi le monde des idées et l’œuvre semblent inatteignables. « Or voici que le feu créateur m’abandonne / Et que nul fétichisme à sa place ne vient. » Le sujet (le je) essaie vainement  de pénétrer au cœur de la vie, de son passé, de retrouver la force de ses anciens espoirs, mais c’est la mort qu’il trouve. « Voyez la mort descend sur les hommes, et rien / N’en reste dont voudrait, pour sa pâture, un chien. »

Émotions raisonnées
L’homme est livré aux forces de l’univers. Par orgueil, il s’en croit le maître; à tort, il pense contrôler son destin. Le réveil est douloureux quand il découvre son impuissance : « L’humanité ravie à la fois et peureuse / D’ouvrir à tous les vents prometteurs son cerveau, / Et qui, tenace en son espoir de renouveau, / Cherche son équilibre aveuglément, sans trêve, / Entre les deux néants de la Terre et du Rêve. » L’homme est voué aux questionnements sans réponse : « Pour le bien vaut-il mieux choisir / Plus d’amour et de vie et de mort et de râles. / Ou moins d’êtres et de désirs / Et moins de massacrés dans la lutte fatale ? »

Espoir et Ferveur
Tout bonheur, il faut s’en griser dans le moment présent. « Notre amour me paraît d’avance une ruine / Dont je contemple, ému, le style merveilleux. » La relation amoureuse, objet des plus grandes ferveurs, est aussi source de souffrantes désillusions. Rapports difficiles avec les femmes et malheurs qu’il semble rechercher : « J’ai donné, par goût de la souffrance, / Une fin lamentable à ton affection. »

Souffrance et cynisme
Il passe en revue ses échecs amoureux, son peu d’aptitude au bonheur, ses angoisses qui le nourrissent et le rendent malheureux, pour finir par cette réflexion existentialiste-pathétique : « La vie aux formes innombrables / S’impose à mes regards, me commande, m’étreint / Sans dévoiler ses fins. / Et, face à l’étendue, ballant, désemparé, / Perdu sur cette terre absurde / Où nul ne pénètre les autres, / Où nul ne se connaît lui-même, / Où nul ne comprend rien, / Je crie mon impuissance aux formidables forces / De la matière en marche, éternelle, infinie. »

Calme
Cette partie a bien peu à voir avec ce qui précède. Finies les grandes réflexions. Le style devient presque limpide, ce qui n’était pas le cas dans ce qui précède. Disons que l’inspiration est beaucoup plus simple : « Je connais dans les Appalaches, / Un val séduisant qui se cache / comme un rêve ingénu ». On baigne dans les souvenirs, dans la nostalgie. « Je viens à ta beauté, seul, en pèlerinage, / Pays qui me fut bon ». La nature est très présente, la nature vierge que l’activité humaine abime. Un lac, une île, une rivière, la forêt inspirent des poèmes romantiques. On y trouve aussi quelques passages sentimentaux et, à la toute fin, deux poèmes qui donnent la parole aux « Vieux ».

Le titre est assez révélateur, tout compte fait : Beauregard oscille entre espoir et désespoir, bonheur et malheur, femme rêvée et femme démonisée, orgueil et humilité, intellectualisme et prosaïsme, philosophie et poésie, rationalisme et sentimentalisme… Son principal mérite à mes yeux : se distinguer de ses contemporains, même si ce n’est pas toujours pour le mieux.


Alphonse Beauregard sur Laurentiana
Les Alternances

16 janvier 2015

Poèmes épars

Joseph Lenoir-Rolland, Poèmes épars, Montréal, Les Fils de Casimir Hébert éditeurs, 1917, 71 pages. (Poèmes « recueillis, mis en ordre et publiés par Casimir Hébert ») (Préface de Casimir Hébert) (Nécrologie extraite du Journal de l’instruction publique, Avril 1861) (Appendice sur « Le roi des aulnes ») (1re édition : G. Malchelosse, 1916)

Joseph Lenoir-Rolland (1822-1861), dont les poèmes furent écrits entre 1840 et 1860, demeure le poète le plus intéressant avant l’arrivée de Crémazie. Il n’a pas réussi à se faire publier de son vivant même si, semble-t-il, il a joui d’un grand succès d’estime. C’est dans le Répertoire national et certaines revues que ses poésies paraîtront. Il faut donc attendre le XXe siècle avant qu’un certain nombre d’entre elles soient publiées en livre. Edmond Lareau, dans son Histoire de la littérature canadienne lui consacre une pleine page : « Le poète qui représente mieux la période qui sépare 1837 de 1840 est Joseph Lenoir. » Camille Roy (Manuel d’histoire de la littérature canadienne) ne lui accorde que deux paragraphes, mais reconnait en lui « le poète le plus remarquable parmi les précurseurs de Crémazie ».

Casimir Hébert n’a retenu que 22 poèmes de Lenoir-Rolland, dont le plus célèbre, celui qu’on reprend à l’occasion dans les anthologies « Chant de mort d’un Huron », inspiré du « Dernier Huron » de F. X. Garneau.

Chant de mort d'un huron
Légende canadienne

Sur la grande montagne aux ombres solitaires,
Un jour il avait fui le chasseur;
Son œil était de feu, comme l'œil de ses pères;
Mais son ombre roulait avec plus de fureur!

Où guide-t-il ses pas ? quelle rage l'anime ?
Le bronze de son front paraît étinceler!
Est-ce un sombre guerrier ou bien une victime
Qu'aux mânes de son frère il brûle d'immoler ?

Il est là près du chêne: une hache sanglante
Soutient ses larges bras l'un dans l'autre enlacés;
On dit qu'il se calma, que sa lèvre tremblante
Laissa même échapper ces mots qu'il a tracés :

"Chêne de la grande colline,
"Arbre chéri de mes aïeux,
"Écoute! qu'à ma voix ton oreille s'incline,
"Je suis venu te faire mes adieux!

"Il m'avait dit: tes pieds ont perdu leur vitesse
"A quoi te peuvent-ils servir?
"Ta hache est là qui pleure et maudit ta vieillesse:
"Elle sent que tu vas mourir!

"Pourtant je te l'apporte: à mon heure dernière,
"C'est le seul don que je puisse t'offrir!
"Je te la donne, à toi, mais fais que sa paupière
"Ne m'aperçoive point mourir!

"Quand de sa pesante massue
"Athaenzic aura broyé mes os,
"Pour te fertiliser j'ébranlerai ma nue,
"Qui te fera tomber ses eaux!

"Si tu vois l'orignal au pied toujours rapide
"Près de ton feuillage bondir,
"Dis, pour le consoler, qu'il marche moins timide,
"Parce que tu m'as vu mourir!

"Chêne de la grande colline,
"Arbre chéri de mes aïeux,
"Écoute! qu'à ma voix ton oreille s'incline
"Je suis venu te faire mes adieux!"

On dit qu'ayant chanté d'une voix bien sonore.
Le vieillard s'arrêta pour essuyer ses yeux,
Que ses larmes coulaient comme il en coule encore
Quand on perd un bonheur qui n'a pu rendre heureux!

On dit même qu'après, sur la grande montagne.
L'ombre du vieux guerrier parut souvent,
Qu'on entendit gémir, la nuit, au bruit du vent.
Comme une voix de mort qu'une lyre accompagne!

« Sur le modèle d'une légende Scandinave, « le Chant de mort du guerrier », Lenoir compose « le Chant de mort d'un Huron. Légende canadienne ». Un guerrier autochtone, affaibli par l'âge, adresse des adieux touchants à la vie, face au grand chêne de la montagne. Le poème entier baigne dans le symbolisme mythologique et sacré : la montagne, point de rencontre du ciel et de la terre ; le chêne sacré, cher aux aïeux, médium de communication entre le Huron, les divinités et les morts. (Jeanne d’Arc Lortie, DOLQ)

Quant aux autres poèmes, on y trouve des légendes (« Le génie des forêts »), des scènes exotiques où dominent tantôt la violence (« La mère Souliote », « Au Texas »), tantôt l’amour (« Dayelle — Orientale » « Graziela »), un poème sur l’inégalité sociale (« Misère »), quelques bluettes, un poème apologétique sur l’Angleterre (« magnanime Angleterre », « juste monarchie », « ô tranquille Angleterre »), un hommage aux Laboureurs (« Notre avenir est là! »), etc. Ajoutons qu’on y lit aussi quelques traductions.


Lire la critique de Jeanne d’Arc Lortie dans le DOLQ

Le poème de Legendre dans le Répertoire national de Huston