Emmanuel Desrosiers, La fin de la terre, Montréal, Librairie d’action canadienne-française, 1931, 108 pages. (Préface de Jean-Jacques Lefebvre, illustrations de Jean-Paul Lemieux et avant-propos de l’auteur)
Je cite le début du long avant-propos de l’auteur : « Que se passerait-il si un jour la foudroyante nouvelle se répandait que notre planète se désagrège? » Et la fin : « Dans les pages qui suivront le lecteur verra l’humanité, vieillie de cinq siècles, aux prises avec le problème le plus angoissant de tous les temps: la destruction de la terre. Les nations lui apparaîtront enfin unies, et luttant par la science contre les éléments de la nature désordonnée et affolée. Il suivra l’homme de ce siècle que l’angoisse torture, il le plaindra, puis il l’admirera. Alors viendra le dénouement suprême, le grand triomphe de la science, l’apothéose de l’esprit de l’homme! »
On est en 2380. Dix millions de personnes vivent à Montréal. Herbert Stinson, « le plus profond génie de son temps », habite Dove Castle, un château planté sur l’Île-au-Diable dans les rapides de Lachine. De grands bouleversements physiques secouent la planète depuis quelques années. À la suite de tremblements de terre répétitifs, le sol ici et là s’effondre, les volcans se déchaînent, des continents sont engloutis, l’eau envahit les zones au niveau de la mer. L’Amérique du Nord semble un endroit encore épargné, mais pour combien de temps. Bref, la fin du monde est proche.
Pour Herbert Stinson, la solution est évidente : les humains doivent migrer vers Mars. En tant que président de l’Union des peuples, il doit convaincre les terriens, ce à quoi certains s’opposent. Les Martiens semblent d’accord pour accueillir l’humanité. D’immenses avions sont construits, d’importantes réserves de nourriture synthétique sont embarquées, et le 1er janvier 2406, c’est le grand départ.
Dans ma jeunesse, j’ai été un lecteur de science-fiction : Van Vogt, Simak, Asimov, Dick… et même Ballard. Dans les récits à la Jules Verne, on croyait beaucoup que la science pouvait sauver l’humanité. C’est la thèse de Desrosiers. Son récit est parsemé de détails scientifiques (ou pseudo-scientifiques) : il décrit des images qui voyagent sur les ondes et qui sont projetées instanément sur des écrans à des milliers de kilomètres de distance, des appareils qui ressemblent à la télévision, des mégapoles, de nouvelles techniques qui fournissent de l’énergie… Il évoque le fait que la planète est épuisée, surtout à cause de la surpopulation.
Ce roman serait le deuxième du genre produit au Québec, la premier étant Pour la patrie de Jules-Paul Tardivel en 1895, roman pas tellement réussi. Il en est de même pour l’œuvre d’Emmanuel Desrosiers (1897-1945) qui semble complètement ignoré les principes élémentaires du récit. Il faut un fil sur lequel se déversent des conflits ou du moins des obstacles, des personnages dont on s’approche assez pour les connaître, l’art de disséminer des indices pour aiguiser l’attente du lecteur, etc. Desrosiers se contente de déverser son savoir.
Extrait
Savons-nous qu’un temps viendra où nous serons retirés du cours des siècles par le collectionneur éternel comme des monnaies usées, vieillies, sans valeur?
Stinson s’était levé. Il regardait maintenant vers l’ouest les nuages gris qui couvraient le ciel. Le froid était intense car décembre était venu plein de glace et d’ouragans, véritables simouns de neige qui avaient ensevelis le Canada. Quelques jours auparavant, exactement le 25 décembre 2400, la Corée avait été balayée par un raz-de-marée; l’eau envahissait déjà le grand plateau du Tibet qui s’affaissait; la mer Aggasiz se reformait au centre du Canada et au nord des Etats-Unis; les Rocheuses se creusaient de vomitoires par où l’incendie du globe s’allumait; le soleil paraissait sanglant à travers des nues de cendres et de feu.
Doutait-il de son œuvre, le grand Stinson? Non rien ne pouvait l’ébranler, mais il se rendait de plus en plus compte qu’il n’y avait pas un instant à perdre.
Paris avait été bouleversée par la terrifiante nouvelle de la disparition de la Corée. De tous les coins de la capitale de l’illustre nation, les foules étaient accourues haletantes et terrifiées vers le square Maurras où était installé le mécanisme de projection aérienne de la Société française de radiovision qui avait des ramifications dans tous les pays du monde et qui photographiait à l’instant même la destruction de la presqu’île de Malacca; photographies prises à bord des aérobus stationnaires qui procédaient au sauvetage de cette partie du genre humain, dont les phases les plus terribles étaient reproduites instantanément sur l'écran de 100 mètres du square Maurras. (p. 56-57)