31 août 2018

Au loin l’espoir

Gilbert Choquette, Au loin l’espoir, Montréal, Chez l’auteur / Orphée, 1958, 48 pages.

« La plupart des poèmes de ce recueil ont été écrits à Paris, quelques-uns à Montréal, entre 1951 et 1957 » (Choquette)

Le recueil contient 34 pages de poèmes en vers et 14 pages de poèmes en prose.

Encore un poète qui se cherche et qui utilise le thème du voyage, de l’errance et de la fuite : « Quand j’existe à l’étranger / Je me sens à mille kilomètres / De moi-même » Où trouver un havre ou, comme Grandbois, une île où poser sa vie : « « Je dis qu’il n’est plus d’île déserte / Partout sous le soleil à l’œil inéluctable / Ce ne sont qu’images de la vie refusée ». Et, encore une fois, la femme devient l’ancrage où l’homme peut étancher ses douleurs : « Quand je nage vers Elle / Tout le grand ciel en moi déferle / Et son courant torrentueux / Lave mes yeux brise ma peine ». Cette femme, évoquée le temps d’un poème, ne pourra rien pour lui. Le sujet sombre dans une paranoia intolérable : « Des animaux cruels font autour de ma vie / Une ronde infernale au milieu de cris fous ». Ou encore : « Toute avance aujourd’hui me fait naître des haines / Le contact est douleur, voilà la vérité ». Cette première partie se termine sur  le motif de la mort, mort des sociétés et mort du sujet. « Nous nous sommes endormis / Sur nos villes naissantes » et « La mort s’obstinait à me crier je t’aime… »

Dans la deuxième partie constituée de poèmes en prose, on retrouve le même climat délétère, le même vide existentiel, le même désespoir. Voici trois passages : « Se trainer le long de la vie, sans cible et sans fusil, sans fierté, sans animosité, sans vie » ; « Dans le silence du vent tombé, j’édifiai patiemment un temple de raison dont je fis ma demeure. Et le ciel n’en fut point ni l’amour »; « Prisonnier, prisonnier, prisonnier de l’aspect de ce monde emporté. Je ne ferme pas les yeux; je regarde attentivement et je me solidarise avec lui d’autant plus qu’il me révolte davantage ». Le dernier poème finit sur une note d’espoir (l’espoir chrétien ?) : « Un vent de grâce me soulève et je prends mon élan pour toucher Dieu ».

On peut écrire pour diverses raisons. Il me semble que Choquette s’en sert comme exutoire, comme thérapie. Une façon de contraindre son mal, de se chercher, de trouver un mieux-vivre. Disons que sa poésie est souvent lourde, même du point de vue formel.

24 août 2018

Voie d'eau

Alphonse Piché, Voie d’eau, Montréal, Fernand Pilon, 1950, 56 pages.

J’ai présenté le premier recueil  d’Alphonse Piché : Ballades de la petite extrace. Voie d’eau est son troisième, Remous l’ayant précédé en 1947.

Dans le « poème-préface », intitulé Routes anciennes, Piché revient sur son parcours plutôt difficile : « Routes de troubles attirances; / De chutes et d’intimes souffrances / En l’ornière fauve survenues // Routes blêmes et mercenaires / De la promesse à nu, / De la détresse austère; » Suit une période de révolte : « A bas ! la pourriture /Des marais en bordure / Où ma course s’est abreuvée! // « À bas! Les portes closes … » Et ça continue ainsi pendant quelques strophes. Et vint la rédemption, toute féminine : « ELLE a vaincu le deuil, / ELLE a conquis le seuil / Où se butait la cécité ». Le poème se termine par ces vers pleins de la solidité amoureuse : « Son profil infini / Désormais à mon flanc / Étanchera la lie ». Le reste du recueil reprend en quelque sorte les mêmes thèmes.

« Une voie d'eau est une entrée d'eau imprévue dans un navire par la suite d'une ouverture dans la coque sous la ligne de flottaison. » (Wiki)

Dans beaucoup de poèmes, Piché se sert de l’imagerie maritime pour traduire les soubresauts de sa vie amoureuse. On n’a qu’à considérer quelques titres pour s’en convaincre : Elle et l’eau, Port, Rivage, Marée, Écueil, Épave, Remous..., Départ ..., Ressac ..., Calme. On comprend que l’amour a tardé à entrer dans sa vie : « La lassitude du roseau / Dans la vague et le vent / Pose en moi l’écho doux / De mes amours penchées / Sur un éveil lointain / D’astres lents à venir » (Elle et l’eau). Beaucoup de déconvenues (remous, écueil, rivages…) et de solitude l’ont précédé : « Beau rivage aux lèvres d’eau, / Unis ma solitude à l’élan de tes arbres; / Accueille mon amour promis aux larmes / Et à la nuit » (Rivage). Et encore, même conquis, tout amour finit par s’étioler : « Eux savent la chambre close / Où s’étiole la tige de tout amour, / De toute blessure, de toute chose » (Sirène). Le dernier poème du recueil ne laisse guère de doute sur la fin : « Tu vins seule, en ma nuit, mystérieuse enfant, / Verser l’urne d’eau vive à mon flanc desséché; / Et j’ai mis à la voile, et la mer retrouvée / Immense s’est offerte à mes embrassements. » (Fin)

Souvent on associe Piché à ses Ballades de la petite extrace. Il me semble que Voie d'eau, plus personnel et plus moderne, marque une avancée dans sa poésie.


REMOUS
Fuis cette onde placide
Où s’ébat trop de ciel;
Je saurai de mon ventre fluide
T’arracher au soleil.

Je saurai,
Tes jambes à mes jambes sœurs
Et ton cœur enserré de mes bras,
Épuiser l’ultime paysage 
Du dernier souvenir.

Ta nuit seule en ma nuit;
Ton âme flétrie à mon agonie;
Ta musique ardente morte à mon long silence :
Je glisserai sur toi mes lentes caresses d’algues . . .
Et dans les conques nouvelles de ta bouche et tes yeux
J’éterniserai
La mortelle douceur de mon baiser.

Et de mes larmes.

17 août 2018

Chronique d'une mort annoncée

L’un des plus importants bouquinistes du Québec, BONHEUR d'OCCASION,  est obligé de fermer boutique. Lisez l’argumentaire de Mathieu Bertrand. Il y a matière à réflexion. 

Bientôt il n’y aura plus de libraires, seulement des vendeurs. 
Beaucoup de livres sont donnés chaque année aux entreprises d'économie sociale. Bien entendu, l'action est louable. Moi-même, je suis membre de l’une d’elles et je lui refile tout ce qu’un bouquiniste ne m’achètera pas. Dans ma région, Écolivre à Lévis et La librairie Nouvelle chance dans Limoilou font du bon travail. Il y a des personnes habilitées à faire un tri intelligent dans cette multitude de livres. Et je suis sûr qu'on pourrait en trouver d'autres au Québec. Mais qu'arrivera-t-il si le trieur (y en a-t-il encore?) ne voit pas de différence entre un ERTA, même fatigué, et n'importe quel livre à la couverture clinquante? J'ai bien l'impression qu'une partie du patrimoine littéraire va finir aux poubelles.Triste.

Lire aussi l’article du 13 décembre 2016, signé par plusieurs libraires, concernant les activités de la multinationale Renaissance.

Dans les jardins de la vie et de l’amour


Claude Bernard Trudeau, Dans les jardins de la vie et de l’amour, Montréal, Beauchemin, 1953, 85 p.

« Chaque miroir que je tiens retient un moment du monde et de ma sensibilité ». Ce petit texte non signé, en exergue au poème « Les six miroirs », traduit bien la démarche de Claude Bernard Trudeau. Il entend témoigner des instants furtifs de la vie, des émotions suscitées par un soir en ville, un concert, un jardin… « La Beauté seule demeure » écrit-il après avoir évoqué quelques-unes des grands malheurs — dont la guerre — qui ont marqué la première moitié du XXe siècle. À l’apitoiement sur lui-même ou l’humanité, le poète préfère l’éblouissement, par exemple celui que peut susciter la musique de Ravel : « Ah! Cette blonde lutinerie de rayons / Dans toutes les chevelures! / Cet envol frénétique, ruisselant d’oiseaux / Surpris au fond du jardin d’hiver! Et de partout / Ces éclats, ces trilles / En bouquet de notes claires… » En fait, tout est susceptible de nous enchanter, à commencer par la nature, si on sait regarder, semble-t-il nous dire.

On a droit à un poème intitulé « Qu’est-ce qu’un poète » qui doit bien faire une centaine de vers. Trudeau nous offre de multiples définitions du poète, comme en font foi ces quelques vers pigés ici et là dans le poème : « Chantre de la paresse fertile du soir »; « Arlequin en marge de la vie »; « Monstre d’idéals »; « Pâtre des grands soleils, porteurs de joie ». Le paroxysme de l’émerveillement est atteint dans le long poème « Ensorcellements ». Au début de chaque strophe, le poète salue un élément, le plus souvent de la nature, élément qu’il développe par la suite. Par exemple, à propos du fleuve : « Bonjour, fleuves, / Magnifiques bras de fraicheur et d’ivresse / Encerclant la terre entière, / Larges bras de santé victorieuse, / Chargés de navires, de nymphes / Et de pirogues palpitantes comme des oiseaux… »

Les poèmes sont longs, la parole est plus que généreuse, et sa portée est large. Comme le dit le cliché, l’auteur a du souffle. Sans qu’on soit dans le haut lyrisme, ces poèmes ont pour but de susciter une émotion chez le lecteur, ne serait-ce que par accumulation. Une émotion qui devrait mener au ravissement. Au fil des poèmes, se tisse une hymne à la beauté du monde, ce qu’un des courts poèmes du recueil dit assez bien :


AUX EXILÉS SUPERBES
Vous qui avez saisi la Beauté
Dans toute sa puissance
Et sa terrible extase,
Possédez, exilés superbes,
Une clé
Qui vous fera vous reconnaître par delà la mort.
C’est alors que vous pourrez ouvrir
La porte d’extrême bonté
Qui dévoile des infinis de transparence
Et de ravissements !

10 août 2018

La mort à vivre


Georges Cartier, La mort à vivre, Malines, CELF, 1955, 44 pages.

La première image que nous sert Georges Cartier, c’est celle de personnes qui pénètrent dans une forêt pour y trouver apaisement et liberté. Les poèmes des pages suivantes présentent un peu la même trajectoire : on dirait que le poète tente de recoudre ce qui est brisé, de relier ce qui est séparé, d’équilibrer ce qui est débalancé. Donnons quelques exemples :

« L’arbre isolé incline / Sous le poids d’amour et de joie / De l’oiseau qui chante seul / Au plus secret du feuillage » (Assentiment)

« La barque est rendue / Souvenir égaré / Au soleil de la baie / Pour qu’à travers les âges / La mer berce toujours / Des barques renouvelées. » (Voix marines)

« Ophélie! / Tes cheveux sont à jamais noués / Aux branches lasses du saule / Qui ploient sur toute mobilité / Mais qui toujours te garderont / Présence! » (Ophélie)

Le ton change à partir de la page 21. Il y a toujours une recherche d’équilibre, mais cette fois-ci entre la vie et la mort : « Il y a la mort à vivre / Et tout courage mendie / De connaître la mort / Pour incarner la vie » (La mort à vivre). Comme s’il fallait entrer la mort dans notre vie pour donner un sens à celle-ci. L’idée est certes étrange, pour ne pas dire lugubre. On a droit à une petite visite au cimetière : « Pour avoir mis quatre limites / Bien justes bien étroites / Pour avoir mis au centre juste / Des stèles étroites bien polies / … / Les vivants les pauvres / Les misérables vivants / Croient avoir relégué les morts / Au lieu choisi de leur absence ». (La mort a ceinturé les hommes) Ou encore, beaucoup plus cru : « Tu parles beaucoup trop / Laisse à toi seul la mort / Te dire ses confidences / Tu apprendras le sens / Et tu verras le centre / De chacun de tes désirs : // Un carré de quelques pieds / Un trou de terre humide » (Quand nous aurons tout dit)

Dans le dernier poème, l’auteur nous dit que l’amour, sans lever la nécessité de lier la vie à la mort, offre la possibilité d’être heureux. L’amour magnifie toutes choses dont la nature, l’amour relie les humains entre eux : « Et notre amour vivant / Et notre mort vécue / Sont l’énigme éclairée / De notre joie de vivre » (Mort–Amour). L’amour harmonise la vie et la mort.

Les poèmes sont tous un peu construits de façon semblable : les vers sont courts, très équilibrés,  et il en va de même des strophes. Ce recueil a été publié en Belgique et a remporté le prix Interfrance en 1954.

3 août 2018

Les affres du zeste

Diane Pelletier Spiecker, Les affres du zeste, Montréal, Éd. Quartz, 1958, s. p. (Collection : Le refus de la colombe) (Dessins de Klaus Spiecker)

En 1958, les éditions Quartz ont publié Les poèmes de la sommeillante, de Kline Sainte-Marie et Les affres du zesteLe format à l'italienne est privilégié dans les deux cas. J'ai déjà dit un mot sur cette maison d'édition quand j'ai présenté le recueil de Michèle Drouin, La duègne accroupie.

Les affres du zeste. Déjà le titre ! oui déjà le titre laisse entrevoir que le sens ne coulera pas de source. Ça commence ainsi : « à l'agonie du mensonge surviendra le souffle écarlate d'un mot fiévreux, c'est l'éclair qui craque le noir jais du ciel-orage, c'est la beauté qui frissonne à la chaude vision des plages exotiques qui n'exportent que danses et un seul danseur eunuque au palmier géant ». On comprend que la donnée de départ, c’est le mensonge, que tout un monde s’offrira quand ce mensonge sera découvert. On va retrouver dans la suite du recueil cette tension entre un monde hypocrite, menteur et le désir parfois violent de s’extirper de cette réalité : « L'aube de la foi glisse verticalement serrée / à l'étroite attente de la rue / le bras crie vengeance au grand bouclier / et meurtrir au sein de la passion / Froid, je n'ai que ténèbre au gouffre de vie / mais que viennent saison et blasphème / et se rive la mort au passé / et se fixe la foi sur l'aube ». On perçoit une grande souffrance. Qui tient à quoi ? Difficile à dire : « Elle ira au bord du vent qui creuse la lune / en chantant la nuit à la dune / elle ira l’âme suicidée / car sa mort est la seule pensée qui souffle / à l’abri des neiges folles / et du vent vert. » Il ne semble pas y avoir de véritables portes de sortie pour l’auteure. 

On l’aura deviné, à la lecture des trois extraits ci-dessus, Pelletier-Spiecker donne à fond dans la veine surréaliste. Inutile d’y chercher un sens trop pointu : il n’y a pas de discours vraiment structuré. On y ressent davantage qu’on y comprend et moi, ce que je reçois, de cette prolixité verbale, c’est la souffrance et la colère d’un sujet qui a été trompé et, sans doute, beaucoup plus encore. Ainsi se termine le recueil :

Je poursuivrai l'éternité de la rive
qui contourne le refuge
mon pied heureux s'y plait au profil du vent
au galet découpé de parures primitives aux crachats de la mer
et au crépuscule de ma haine dort la lèpre blanche
d'une main amie
Il est des lunes au détour des villes
qui pendent et qu'on allume au-dessus des cortèges funèbres
pour cirer le visage livide,
viens vivre, on te parera de tant de condoléances
on te figera là sous le lustre qui couronne la gloire
de la morte vaincue qui vécut une vie
et sur la dalle est marqué:
vert printemps morsure à l'hiver
noir souvenir d'abeilles jaunies
blanc fini.

dialogue.