1 mars 2024

Jimmy

Jimmy Jacques Poulin
Jacques Poulin, Jimmy, Montréal, Éditions du Jour, 1969, 158 p. (Coll. Les romanciers du jour, 39)

Le jeune Jimmy habite Cap-Rouge, dans un chalet « sur pilotis », avec ses parents, Mamie et Papou, et le chat Chanoine. Le père travaille comme psychanalyste et la mère se remet difficilement d’une fausse-couche. Tout comme le chalet dont les pilotis pourris risquent de s’affaisser lors des grandes marées d’automne, le mariage de Mamie et Papou bat de l’aile, malgré la bienveillance qui subsiste entre eux. Depuis qu’ils ont perdu un enfant mort-né, Papou s’enferme dans le grenier pour écrire un livre sur Hemingway et Mamie emplit sa chambre de poupées et de parfums qu’elle collectionne. « C’est une histoire de zouave, mais. Beaucoup de choses étranges ont commencé quand Mamie est allée à l’Hôtel-Dieu : les parfums et les poupées dans sa chambre, le travail de Papou au grenier, mes visites derrière la fenêtre à la clinique, et cette histoire de zouave au sujet des autos. » Entre eux, Jimmy, 11 ans, cherche un peu de réconfort et se réfugie dans l’imaginaire pour calmer sa détresse.

Le chalet voisin est habité par le vieux Commodore, son fils Thiers « le meilleur pilote de bateau », sa femme « la nageuse de longue distance » et leurs six filles. Parmi elles, il y a la « petite Mary » qui, contrairement à ses sœurs, parle un peu français. Jimmy l’adore parce qu’elle entre dans son monde imaginaire sans poser de question.

Il s’entend bien aussi avec Mamie qui, contrairement à Papou, lui donne de l’attention. Mais Mamie est aussi perdue que lui et ne peut pas vraiment l’aider. Heureusement, le Commodore comprend la détresse du petit garçon et tente tant bien que mal de le rassurer. « Ce que j’aime, avec le Commodore, il ne s’énerve jamais. Je veux dire, quelqu’un pourrait vraiment s’énerver, te dire qu’on est pas au bord de la mer, que les éléphants de mer ne viennent pas dans le fleuve ou quelque chose. Mais le Commodore, non; il dit qu’il n’y a pas fait attention, c’est tout. Alors je lui explique toute l’affaire d’homme à homme, cette pluie comme une espèce de déluge, Papou qui ne descend même plus pour dire si j’ai les pieds sales. Mamie qui parle dans sa chambre et finalement les éléphants de mer. »

Comme Jimmy le répète à maintes occasions, il est « le plus grand menteur de la ville de Québec ». Aussi ne faut-il pas tout tenir pour vrai ce qu’il raconte. Souvent, son récit déborde dans l’imaginaire, il est tantôt un pilote d’hélicoptère survolant la jungle, tantôt le célèbre coureur automobile Jimmy Clark zigzaguant dans les rues de Monaco, tantôt un naufragé sur une île volcanique dans les mers du sud.

Le récit n’a pas vraiment de fin. Tout au plus entend-on l’appel de détresse de Jimmy depuis son chalet-bateau imaginaire dérivant sur le fleuve. « Besoin de tendresse! Crotte de chat! »

Si vous aimez les romans sans conflit, sans obstacle rabâché à toutes les pages, bref sans intrigue, Jimmy est pour vous. On ne vogue pas sur un long fleuve tranquille pour autant : Jimmy, c’est l’histoire d’un petit gars complètement perdu entre deux adultes à la dérive. Ce qui empêche toute lourdeur, c’est la finesse de l’écriture de Jacques Poulin et le traitement du drame à travers l’imaginaire fantaisiste d’un enfant.

C’est bon de temps à autre de lire un livre plein de bienveillance, de délicatesse et de tendresse, crotte de chat!

Extrait

« Mary choisit une guimauve rose et elle me tend sa branche sans dire un mot ni en français ni en anglais.

     Mary ! dit la nageuse d’un air complètement découragé.

     Qu’est-ce qu’on dit ? intervient Thiers.

     If you please.

     Et en français?

     S’il vous palit!

Je lui fais griller sa guimauve exactement comme il faut sur la braise, je veux dire juste bien, sans la brûler ni rien. Je lui remets sa branche. La petite Mary! Elle enlève la guimauve de la pointe de sa branche, entre son index et son pouce, sans l’écraser du tout, elle me fait signe avec sa bouche d’ouvrir la mienne et puis elle me dépose sa guimauve sur la langue en poussant un peu, très délicatement, avec son doigt. Elle ne pousse pas vraiment comme tu pousses dans ta bouche à toi : elle pousse avec le bout de son doigt, juste un peu, je le jure. Ensuite elle se lèche le pouce et l’index à petits coups de langue, très délicatement aussi, l’air sérieux et les yeux verts un peu brillants. Elle aurait vraiment pu manger la guimauve elle-même, c’est ce que j’aurais fait, pour être honnête, mais Mary, non. Tu fais griller une guimauve rose sur la braise au bout d’une branche et elle te fond dans la bouche comme du miel, je le jure. »

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