Jacques Poulin, Jimmy, Montréal, Éditions du Jour, 1969, 158 p. (Coll. Les romanciers du jour, 39)
Le jeune Jimmy habite Cap-Rouge, dans
un chalet « sur pilotis », avec ses parents, Mamie et Papou, et le
chat Chanoine. Le père travaille comme psychanalyste et la mère se remet
difficilement d’une fausse-couche. Tout comme le chalet dont les pilotis
pourris risquent de s’affaisser lors des grandes marées d’automne, le mariage
de Mamie et Papou bat de l’aile, malgré la bienveillance qui subsiste entre
eux. Depuis qu’ils ont perdu un enfant mort-né, Papou s’enferme dans le grenier
pour écrire un livre sur Hemingway et Mamie emplit sa chambre de poupées et de
parfums qu’elle collectionne. « C’est une histoire de zouave, mais. Beaucoup de
choses étranges ont commencé quand Mamie est allée à l’Hôtel-Dieu : les parfums
et les poupées dans sa chambre, le travail de Papou au grenier, mes visites
derrière la fenêtre à la clinique, et cette histoire de zouave au sujet des
autos. » Entre eux, Jimmy, 11 ans, cherche un peu de réconfort et se
réfugie dans l’imaginaire pour calmer sa détresse.
Le chalet voisin est habité par le vieux
Commodore, son fils Thiers « le meilleur pilote de bateau », sa femme « la
nageuse de longue distance » et leurs six filles. Parmi elles, il y a la
« petite Mary » qui, contrairement à ses sœurs, parle un peu français.
Jimmy l’adore parce qu’elle entre dans son monde imaginaire sans poser de
question.
Il s’entend bien aussi avec Mamie qui,
contrairement à Papou, lui donne de l’attention. Mais Mamie est aussi perdue
que lui et ne peut pas vraiment l’aider. Heureusement, le Commodore comprend la
détresse du petit garçon et tente tant bien que mal de le rassurer. « Ce
que j’aime, avec le Commodore, il ne s’énerve jamais. Je veux dire, quelqu’un
pourrait vraiment s’énerver, te dire qu’on est pas au bord de la mer, que les
éléphants de mer ne viennent pas dans le fleuve ou quelque chose. Mais le
Commodore, non; il dit qu’il n’y a pas fait attention, c’est tout. Alors je lui
explique toute l’affaire d’homme à homme, cette pluie comme une espèce de
déluge, Papou qui ne descend même plus pour dire si j’ai les pieds sales. Mamie
qui parle dans sa chambre et finalement les éléphants de mer. »
Comme Jimmy le répète à maintes
occasions, il est « le plus grand menteur de la ville de Québec ». Aussi
ne faut-il pas tout tenir pour vrai ce qu’il raconte. Souvent, son récit déborde
dans l’imaginaire, il est tantôt un pilote d’hélicoptère survolant la jungle, tantôt
le célèbre coureur automobile Jimmy Clark zigzaguant dans les rues de Monaco,
tantôt un naufragé sur une île volcanique dans les mers du sud.
Le récit n’a pas vraiment de fin. Tout
au plus entend-on l’appel de détresse de Jimmy depuis son chalet-bateau
imaginaire dérivant sur le fleuve. « Besoin de tendresse! Crotte de
chat! »
Si vous aimez les romans sans conflit,
sans obstacle rabâché à toutes les pages, bref sans intrigue, Jimmy est
pour vous. On ne vogue pas sur un long fleuve tranquille pour autant : Jimmy,
c’est l’histoire d’un petit gars complètement perdu entre deux adultes à la
dérive. Ce qui empêche toute lourdeur, c’est la finesse de l’écriture de
Jacques Poulin et le traitement du drame à travers l’imaginaire fantaisiste d’un
enfant.
C’est bon de temps à autre de lire un
livre plein de bienveillance, de délicatesse et de tendresse, crotte de chat!
Extrait
« Mary choisit une guimauve
rose et elle me tend sa branche sans dire un mot ni en français ni en anglais.
— Mary ! dit la nageuse d’un air complètement découragé.
— Qu’est-ce qu’on dit ? intervient Thiers.
— If you please.
— Et en français?
— S’il vous palit!
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