Michel Tremblay, Contes pour buveurs attardés, Montréal, Éditions du Jour, 1966, 158 p. (Coll. Les romanciers du jour R-18)
Dans
Contes pour buveurs attardés, que le titre sert plus ou
moins bien, Michel Tremblay a réuni 25 contes dont la très grande majorité
appartient à ce que Todorov appelait le fantastique merveilleux : les
personnages ne remettent pas en question les éléments surnaturels qui
surgissent dans leur vie. Ainsi en est-il, dès le premier conte, de ce pendu
dont on ne retrouve pas la tête (Le Pendu), ainsi que des
sorcières (Amenachem), des diables (Wolfgang, à son retour), des
succubes (Le Warugoth-Shala), de tous ces êtres étranges sans nom (La
chambre octogonale), etc. qui côtoient les personnages sans que ceux-ci
s’en étonnent.
Quelques
contes ne doivent rien au fantastique : ce sont des histoires d’horreur
comme dans ce récit où un aristocrate sadique attire des jeunes filles pour les
faire cuire et les manger (Douce chaleur),
ou encore celui où un roi tue ses épouses et les cache derrière une peinture
qui les représente (La 13e femme du baron Klugg). On pourrait aussi dire
que quelques contes sont seulement bizarres (aucun surnaturel). Je pense à
cette aristocrate célibataire qui n’a cessé de sa vie de parler de son fils et
qui finit par avouer qu’elle n’en a jamais eu. Pourtant, ce dernier apparaît au
terme du conte (Jocelyn, mon fils).
Les histoires se déroulent le plus souvent dans des milieux sophistiqués (beaucoup de châteaux) ou étrangers (surtout européens : l’Angleterre, l’Allemagne…) dans la grande tradition des contes fantastiques à la Edgar Poe. Rien de québécois, ce qui n'est pas un reproche. Dès ce premier livre, Michel Tremblay démontre son talent de raconteur. Les contes n’ont pas tous la même qualité, mais tout cela se lit encore très bien.
En
guise d’extrait, je vous présente une histoire très courte, pas la meilleure du recueil, je tiens à le
préciser.
LA FEMME AU PARAPLUIE
— Tiens, drôle d’endroit pour perdre
son parapluie.
Il se pencha, ramassa le parapluie.
* * *
Le téléphone sonna.
— Allo.
— Bonsoir, monsieur. Vous avez
trouvé mon parapluie ?
— Pardon ?
— Je vous demande si vous avez
trouvé mon parapluie. Un parapluie noir avec...
— Oui, en effet, j’ai trouvé
un parapluie, ce matin. Mais comment savez-vous, madame, que c’est moi qui l’ai
trouvé ?
— Mais, mon cher monsieur, je
l’ai perdu précisément pour que vous le trouviez ! Et maintenant je voudrais le
ravoir. Vous voulez bien venir me le porter ? Je vous attendrai ce soir au
milieu du pont de bois, à l’est de la ville, à onze heures. Bonsoir, monsieur.
* * *
— Vous êtes en retard, je vous attends depuis
dix minutes.
— Je m’excuse, j’ai été retardé... Voici votre parapluie, madame.
— Merci, monsieur.
Elle le regardait droit dans les yeux.
— Et maintenant, sautez. Votre heure est venue. Il est temps. Allez...
Il enjamba le garde-fou et se jeta dans la rivière.
Et elle repartit, laissant son parapluie au milieu du pont de bois, à l’est de
la ville... (p. 137-138)
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