Francis Desroches, Brumes du soir, Québec, L’Action sociale, 1920, 132 pages.
Toujours difficile de parler d’un livre qui nous touche ni émotivement ni intellectuellement. Disons-le, j'ai lu le recueil de Desroches parce que j’ai trouvé la préface de Camille Roy intéressante. Que dit-elle cette préface? Rien de bien spécial. C’est Desroches qui l’aurait demandée à son ancien professeur de rhétorique qui lui en a fourni une, paternaliste il va de soi, mais sans complaisance comme on le verra.
D’abord, Roy essaie de convaincre Desroches qu’il aurait dû titrer autrement son ouvrage : « … il y a plus de jeunesse que d'expérience de la vie dans vos strophes ardentes, et je ne sais pourquoi vous ne nous avez pas plutôt parlé des brumes du matin. » Sur ce point, c’est Desroches qui a raison. Son recueil est sombre, lourd comme une nuit d’automne qui tombe. « Et j’accepte mon sort; mais je sens s’élargir / La plaie à mon côté dans chaque heure qui passe; / Je sens frémis mon corps et mes yeux se rougir / Au long baiser des pleurs, et mon âme plus lasse / Frissonne étrangement sous la brume qui glace… »
Roy écrit : « Les Brumes du Soir sont, elles aussi, toutes pleines de vos juvéniles préoccupations. » « Juvéniles »? Il est vrai que le ton est souvent celui d’un adolescent : « Si j’avais ma Maman! Hélas! Pourquoi la Mort / En la fauchant si jeune en un geste implacable, / Ne voulut pas de moi qui gémis sous le sort / Inexorable?... » Pour gémir, disons que Desroches gémit. Il ne cesse de déplorer la mort de cette mère tendrement aimée!
Roy écrit encore : « Votre cœur se plaît à répéter des mots qu'il croit neufs et que des lecteurs en cheveux gris croiront avoir vus souvent. Les élégances sentimentales sont bien de votre âge ; avec le temps elles prendront un sens plus profond et plus viril. Donnez-leur dès maintenant et toujours cette discrétion, cette retenue qui intensifient le sentiment, et changent ses flammes en vertus. » Quand même assez direct! Il est vrai que Desroches nous sert tous les clichés romantiques, que son sentimentalisme est geignard, précieux, mielleux. Cependant, contrairement à Roy, je le trouve plutôt vertueux. En fait, le poète parle toujours d’amours qui l’ont effleuré, d’amours futures, entrevues, souhaitées, rêvées… Ainsi en est-il de cette « Rose effeuillée », si peu effeuillée : « Comme Elle voulait une rose / Pour la mettre en ses cheveux blonds, / je fis un geste, Oh! Peu de chose, / Mais la Belle me dit : - Allons!- // Puis dégageant une main fine / De l’étreinte d’un joli gant, / Elle marmotta, la gamine : / - Monsieur, vous êtes fatigant!»
Enfin, Maître Camille, bon pédagogue et guide spirituel, indique à son ancien élève la voie à suivre : « Votre muse, qui se complaît dans l'analyse plutôt que dans l'observation, consent, cependant, à sortir d'elle-même et de votre conscience, pour se porter vers les choses, vers ce monde extérieur qui vous entoure, qui peut vous attrister encore, mais qui peut aussi mettre en votre vie les joies les plus saines et les plus solides. » Il est vrai que la poésie de Desroches tourne autour de son « je », blessé, triste, solitaire, vaguement amoureux, et que les thèmes traditionnel du terroir ou du patriotisme, chers à Roy, sont presque absents de ce recueil. On trouve tout au plus quelques strophes pour glorifier la paysannerie, la campagne, notre héritage français et, comme ici, le drapeau : « Je comprends que l’on chante en te voyant si beau, / Déroulant dans l’air pur tes trois couleurs altières »
Pourquoi ne pas conclure avec la conclusion de Roy : « Vos Brumes du Soir ont été composées dans l'isolement d'une jeunesse fervente. Elles révèlent avec sincérité vos premières méditations ; et c'est pour cette franchise de vos aveux qu'elles intéresseront le lecteur. Vous exprimez vos pensées dans un vers qui se soucie du rythme, qui recherche l'harmonie des mots, qui de plus en plus se chargera de substance et de poésie ; et c'est pour cela encore que l'on accueillera votre ouvrage comme une promesse excellente, comme la révélation d'un talent qui se doit à lui-même de se perfectionner toujours. » Desroches attendra 1963 avant de publier un autre « vrai » recueil. **
VIEUX LIVRES (extrait)
Oh ! les livres qu'on ne lit pas,
Et qui dorment dans les armoires !...
Joyeux récits, bonnes histoires,
Propos galants sous les lilas ...
Les livres qui parlent à l'âme
Une langue que de nos jours
Nous bannissons de nos discours
Plus froids que des foyers sans flammes !.
Livres aux coins tout racornis,
Lentement rongés par l'usure,
Dont parfois quelque larme pure
A mouillé les feuillets jaunis !...
Livres narrant des épopées
Ou les exploits d'un Du Guesclin
Dont le nom fait sur le vélin
Comme un long cliquetis d'épées !..
Pages de douceur et d'amour
Qui firent rêver nos grand'mères ;
Pages qui peuplent de chimères
Un front d'enfant sous l'abat-jour !...
O pauvres livres qu'on délaisse
Pour dévorer ceux d'aujourd'hui.
J'entends soupirer dans la nuit
La plainte de votre détresse !...
Vous avez connu vous aussi
Un passé d'honneurs et de gloire ;
Mais on a bien changé l'Histoire :
Vous sentez un peu le moisi ...
Notre langue s'est transformée,
Des pensers nouveaux ont surgi ;
Vous n'êtes plus que le ci-gît
D'une lointaine renommée...
Toujours difficile de parler d’un livre qui nous touche ni émotivement ni intellectuellement. Disons-le, j'ai lu le recueil de Desroches parce que j’ai trouvé la préface de Camille Roy intéressante. Que dit-elle cette préface? Rien de bien spécial. C’est Desroches qui l’aurait demandée à son ancien professeur de rhétorique qui lui en a fourni une, paternaliste il va de soi, mais sans complaisance comme on le verra.
D’abord, Roy essaie de convaincre Desroches qu’il aurait dû titrer autrement son ouvrage : « … il y a plus de jeunesse que d'expérience de la vie dans vos strophes ardentes, et je ne sais pourquoi vous ne nous avez pas plutôt parlé des brumes du matin. » Sur ce point, c’est Desroches qui a raison. Son recueil est sombre, lourd comme une nuit d’automne qui tombe. « Et j’accepte mon sort; mais je sens s’élargir / La plaie à mon côté dans chaque heure qui passe; / Je sens frémis mon corps et mes yeux se rougir / Au long baiser des pleurs, et mon âme plus lasse / Frissonne étrangement sous la brume qui glace… »
Roy écrit : « Les Brumes du Soir sont, elles aussi, toutes pleines de vos juvéniles préoccupations. » « Juvéniles »? Il est vrai que le ton est souvent celui d’un adolescent : « Si j’avais ma Maman! Hélas! Pourquoi la Mort / En la fauchant si jeune en un geste implacable, / Ne voulut pas de moi qui gémis sous le sort / Inexorable?... » Pour gémir, disons que Desroches gémit. Il ne cesse de déplorer la mort de cette mère tendrement aimée!
Roy écrit encore : « Votre cœur se plaît à répéter des mots qu'il croit neufs et que des lecteurs en cheveux gris croiront avoir vus souvent. Les élégances sentimentales sont bien de votre âge ; avec le temps elles prendront un sens plus profond et plus viril. Donnez-leur dès maintenant et toujours cette discrétion, cette retenue qui intensifient le sentiment, et changent ses flammes en vertus. » Quand même assez direct! Il est vrai que Desroches nous sert tous les clichés romantiques, que son sentimentalisme est geignard, précieux, mielleux. Cependant, contrairement à Roy, je le trouve plutôt vertueux. En fait, le poète parle toujours d’amours qui l’ont effleuré, d’amours futures, entrevues, souhaitées, rêvées… Ainsi en est-il de cette « Rose effeuillée », si peu effeuillée : « Comme Elle voulait une rose / Pour la mettre en ses cheveux blonds, / je fis un geste, Oh! Peu de chose, / Mais la Belle me dit : - Allons!- // Puis dégageant une main fine / De l’étreinte d’un joli gant, / Elle marmotta, la gamine : / - Monsieur, vous êtes fatigant!»
Enfin, Maître Camille, bon pédagogue et guide spirituel, indique à son ancien élève la voie à suivre : « Votre muse, qui se complaît dans l'analyse plutôt que dans l'observation, consent, cependant, à sortir d'elle-même et de votre conscience, pour se porter vers les choses, vers ce monde extérieur qui vous entoure, qui peut vous attrister encore, mais qui peut aussi mettre en votre vie les joies les plus saines et les plus solides. » Il est vrai que la poésie de Desroches tourne autour de son « je », blessé, triste, solitaire, vaguement amoureux, et que les thèmes traditionnel du terroir ou du patriotisme, chers à Roy, sont presque absents de ce recueil. On trouve tout au plus quelques strophes pour glorifier la paysannerie, la campagne, notre héritage français et, comme ici, le drapeau : « Je comprends que l’on chante en te voyant si beau, / Déroulant dans l’air pur tes trois couleurs altières »
Pourquoi ne pas conclure avec la conclusion de Roy : « Vos Brumes du Soir ont été composées dans l'isolement d'une jeunesse fervente. Elles révèlent avec sincérité vos premières méditations ; et c'est pour cette franchise de vos aveux qu'elles intéresseront le lecteur. Vous exprimez vos pensées dans un vers qui se soucie du rythme, qui recherche l'harmonie des mots, qui de plus en plus se chargera de substance et de poésie ; et c'est pour cela encore que l'on accueillera votre ouvrage comme une promesse excellente, comme la révélation d'un talent qui se doit à lui-même de se perfectionner toujours. » Desroches attendra 1963 avant de publier un autre « vrai » recueil. **
VIEUX LIVRES (extrait)
Oh ! les livres qu'on ne lit pas,
Et qui dorment dans les armoires !...
Joyeux récits, bonnes histoires,
Propos galants sous les lilas ...
Les livres qui parlent à l'âme
Une langue que de nos jours
Nous bannissons de nos discours
Plus froids que des foyers sans flammes !.
Livres aux coins tout racornis,
Lentement rongés par l'usure,
Dont parfois quelque larme pure
A mouillé les feuillets jaunis !...
Livres narrant des épopées
Ou les exploits d'un Du Guesclin
Dont le nom fait sur le vélin
Comme un long cliquetis d'épées !..
Pages de douceur et d'amour
Qui firent rêver nos grand'mères ;
Pages qui peuplent de chimères
Un front d'enfant sous l'abat-jour !...
O pauvres livres qu'on délaisse
Pour dévorer ceux d'aujourd'hui.
J'entends soupirer dans la nuit
La plainte de votre détresse !...
Vous avez connu vous aussi
Un passé d'honneurs et de gloire ;
Mais on a bien changé l'Histoire :
Vous sentez un peu le moisi ...
Notre langue s'est transformée,
Des pensers nouveaux ont surgi ;
Vous n'êtes plus que le ci-gît
D'une lointaine renommée...
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