Léo-Paul Desrosiers, Les Opiniâtres, Fides, coll. du Nénuphar, 1954, 198 p. (1re édition : 1941)
St-Malo, 164… Pierre de Rencontre, orphelin de père, au début de la vingtaine, vit avec sa mère et son grand-père. Il ne s’entend guère avec celui-ci. Il a aussi une petite copine, Ysabau, qui s’amuse à ses dépens, du moins le croit-il. Il décide donc de s’embarquer pour la Nouvelle-France.
Il choisit de s’installer à l’avant-poste de la colonie, dans la région de Trois-Rivières (fondée en 1634). Après un temps de réflexion, un grand rêve se forme en lui : défricher une terre et ériger un domaine. Initié au dur travail de colon, il s’attaque à la forêt, se construit une cabane et entreprend de réaliser son rêver. Il ne fait que travailler. Or, une menace guette : les Iroquois, qui ne craignent guère les Français, depuis que les Hollandais de Manhatte leur fournissent des armes, sont en train de détruire la huronnie et les autres tribus alliées des Français. Leur but ultime : chasser les Européens de la vallée du Saint-Laurent. Ils mènent une guerre d’usure, assassinant un colon ici et là et, surtout, ils appliquent à leurs prisonniers de si cruelles tortures qu'ils terrorisent tout le monde. Pierre doit toujours être sur ses gardes, prompt à retrouver l’abri du fort à la moindre alarme, en attendant que la France envoie des renforts pour mâter les Iroquois.
Trois ans passent ainsi et un jour, Ysabau, qui n’a pas oublié son Pierre, vient le rejoindre. C’est le grand amour. Les deux ont des enfants. Les Iroquois continuent leur travail de sape. Un jour, Pierre est pris en embuscade et sauvé grâce à Ysabau, mais leur début de défrichement est brûlé et leur bétail, abattu. Ils ne se découragent pas pour autant et continuent. Ils ont d’autres enfants. Ils passent quelques années à l’abri du fort et, quand la situation se calme, ils reprennent le défrichement, là où ils l’ont laissé.
Leur fils François a maintenant 16 ans et est devenu un véritable trappeur. (Contrairement à la première génération, il ne craint pas la forêt, car il peut vivre à l’indienne). Une jeune fille est enlevée et François se rend dans le camp ennemi et la sauve. Par contre, il demeure prisonnier, est torturé, condamné à mort, mais sauvé in extremis par une vieille Algonkienne que ses parents avaient recueillie. Il reste quand même handicapé.
Un jour survient l’horreur : Pierre, Ysabau, François sont surpris par une bande d’Iroquois. François et un jeune frère sont tués ; Isabeau est gravement blessée et transportée à l’Hôtel-Dieu de Québec où elle guérit lentement.
Et le roman se termine ainsi : le régiment Carignan-Sallières (1665), si longtemps attendu, se présente devant le port de Québec. La colonie est sauvée.
Le roman est très manichéiste. Les Iroquois sont des monstres horribles alors que les Français sont tous des modèles de vertu. On assiste à la naissance du nomade canadien-français : les jeunes de la deuxième génération n’ont pas pu s’attacher à la terre à cause de la menace iroquoise et de l’instabilité qu'elle a engendrée, selon l’auteur. Qu'à cela ne tienne, ils sont devenus les premiers coureurs des bois. Le début est lent, très documentaire, mais ensuite le roman devient très vivant.
Extrait
Comme au premier jour, il voulait monter sur le haut du Cap, au-dessus du palais du Gouverneur et des casernes, voir s'étendre lointainement le continent sauvage et inculte. Il se souvenait de son premier regard sur ce paysage qui dégage tant de majesté par son fleuve, ses montagnes, ses terres en amphithéâtre, sa forêt centenaire, et là-bas, à droite, ses falaises et l'étendue plate des terres forestières.
Il se rappela les unes après les autres les heures qu'il avait vécues depuis bientôt trente ans qu'il habitait la colonie : heures de fièvre, de labeur et d'espérances ; heures d'inquiétudes et de dangers ; heures de renoncement, de douleur, de deuils. Au travail, il oubliait; mais lorsqu'il était ainsi désœuvré, tout ce passé lui faisait mal.
Bilan qui ne se pouvait supporter en effet : deux fils morts en même temps ; Ysabau si dangereusement blessée, tellement affectée par ses deuils, qu'elle semblait ressurgir de l'autre monde ; sa maison, ses bâtiments, son bois de construction de nouveau en cendres ; ses troupeaux détruits ; son modeste fonds encore en friche, ses instruments aratoires brûlés. En sept ans, la colonie n'avait pas connu une journée de paix. Des massacres avaient eu lieu à Ville-Marie, il y a quelques jours à peine. Le bac qui circulait des Trois-Rivières à Québec était armé en guerre, des pierriers aux quatre coins. Toujours des négociations interrompues par des combats. Deux milliers de Sauvages grignotaient et moquaient la population terrorisée.
Pierre observait l'allongement plat des terres. Il pensait de même que tous les Français qui, depuis près de soixante ans, avaient habité la colonie. « Nous devons garder ce pays, se disait-il ; il contient le fleuve, avenue perçant la contrée jusqu'au cœur ; au bout de ce couloir, de chaque côté jusqu'à des lointains qui défient l'imagination, des biens stables attendent : forêts sans bornage, vallées et plaines, pêche, chasse et pelleteries ; là gît non pas une province, ni un empire, mais un continent ; tout Français s'y taillerait un domaine et il resterait encore de l'étoffe ».
Pour des raisons nombreuses, l'imagination de la France lointaine n'avait pas encore embrassé cet ample spectacle.
Mais ici, pourtant, protégée par les avant-postes, la colonisation avait fleuri. De ce sommet s'entrevoyaient, sur les côtes de Beauport, de Beaupré et dans l'île d'Orléans, de nombreux et larges défrichés. Comme des grains de chapelet, des maisons se succédaient en bordure du bois, blanches sous le soleil. En cette limpidité de l'air, Pierre regardait des bœufs aller et venir dans les guérets. Les fermes s'agrandissaient comme auraient dû faire celles des Trois-Rivières et de Ville-Marie. (p. 193-194)
St-Malo, 164… Pierre de Rencontre, orphelin de père, au début de la vingtaine, vit avec sa mère et son grand-père. Il ne s’entend guère avec celui-ci. Il a aussi une petite copine, Ysabau, qui s’amuse à ses dépens, du moins le croit-il. Il décide donc de s’embarquer pour la Nouvelle-France.
Il choisit de s’installer à l’avant-poste de la colonie, dans la région de Trois-Rivières (fondée en 1634). Après un temps de réflexion, un grand rêve se forme en lui : défricher une terre et ériger un domaine. Initié au dur travail de colon, il s’attaque à la forêt, se construit une cabane et entreprend de réaliser son rêver. Il ne fait que travailler. Or, une menace guette : les Iroquois, qui ne craignent guère les Français, depuis que les Hollandais de Manhatte leur fournissent des armes, sont en train de détruire la huronnie et les autres tribus alliées des Français. Leur but ultime : chasser les Européens de la vallée du Saint-Laurent. Ils mènent une guerre d’usure, assassinant un colon ici et là et, surtout, ils appliquent à leurs prisonniers de si cruelles tortures qu'ils terrorisent tout le monde. Pierre doit toujours être sur ses gardes, prompt à retrouver l’abri du fort à la moindre alarme, en attendant que la France envoie des renforts pour mâter les Iroquois.
Trois ans passent ainsi et un jour, Ysabau, qui n’a pas oublié son Pierre, vient le rejoindre. C’est le grand amour. Les deux ont des enfants. Les Iroquois continuent leur travail de sape. Un jour, Pierre est pris en embuscade et sauvé grâce à Ysabau, mais leur début de défrichement est brûlé et leur bétail, abattu. Ils ne se découragent pas pour autant et continuent. Ils ont d’autres enfants. Ils passent quelques années à l’abri du fort et, quand la situation se calme, ils reprennent le défrichement, là où ils l’ont laissé.
Leur fils François a maintenant 16 ans et est devenu un véritable trappeur. (Contrairement à la première génération, il ne craint pas la forêt, car il peut vivre à l’indienne). Une jeune fille est enlevée et François se rend dans le camp ennemi et la sauve. Par contre, il demeure prisonnier, est torturé, condamné à mort, mais sauvé in extremis par une vieille Algonkienne que ses parents avaient recueillie. Il reste quand même handicapé.
Un jour survient l’horreur : Pierre, Ysabau, François sont surpris par une bande d’Iroquois. François et un jeune frère sont tués ; Isabeau est gravement blessée et transportée à l’Hôtel-Dieu de Québec où elle guérit lentement.
Et le roman se termine ainsi : le régiment Carignan-Sallières (1665), si longtemps attendu, se présente devant le port de Québec. La colonie est sauvée.
Le roman est très manichéiste. Les Iroquois sont des monstres horribles alors que les Français sont tous des modèles de vertu. On assiste à la naissance du nomade canadien-français : les jeunes de la deuxième génération n’ont pas pu s’attacher à la terre à cause de la menace iroquoise et de l’instabilité qu'elle a engendrée, selon l’auteur. Qu'à cela ne tienne, ils sont devenus les premiers coureurs des bois. Le début est lent, très documentaire, mais ensuite le roman devient très vivant.
Extrait
Comme au premier jour, il voulait monter sur le haut du Cap, au-dessus du palais du Gouverneur et des casernes, voir s'étendre lointainement le continent sauvage et inculte. Il se souvenait de son premier regard sur ce paysage qui dégage tant de majesté par son fleuve, ses montagnes, ses terres en amphithéâtre, sa forêt centenaire, et là-bas, à droite, ses falaises et l'étendue plate des terres forestières.
Il se rappela les unes après les autres les heures qu'il avait vécues depuis bientôt trente ans qu'il habitait la colonie : heures de fièvre, de labeur et d'espérances ; heures d'inquiétudes et de dangers ; heures de renoncement, de douleur, de deuils. Au travail, il oubliait; mais lorsqu'il était ainsi désœuvré, tout ce passé lui faisait mal.
Bilan qui ne se pouvait supporter en effet : deux fils morts en même temps ; Ysabau si dangereusement blessée, tellement affectée par ses deuils, qu'elle semblait ressurgir de l'autre monde ; sa maison, ses bâtiments, son bois de construction de nouveau en cendres ; ses troupeaux détruits ; son modeste fonds encore en friche, ses instruments aratoires brûlés. En sept ans, la colonie n'avait pas connu une journée de paix. Des massacres avaient eu lieu à Ville-Marie, il y a quelques jours à peine. Le bac qui circulait des Trois-Rivières à Québec était armé en guerre, des pierriers aux quatre coins. Toujours des négociations interrompues par des combats. Deux milliers de Sauvages grignotaient et moquaient la population terrorisée.
Pierre observait l'allongement plat des terres. Il pensait de même que tous les Français qui, depuis près de soixante ans, avaient habité la colonie. « Nous devons garder ce pays, se disait-il ; il contient le fleuve, avenue perçant la contrée jusqu'au cœur ; au bout de ce couloir, de chaque côté jusqu'à des lointains qui défient l'imagination, des biens stables attendent : forêts sans bornage, vallées et plaines, pêche, chasse et pelleteries ; là gît non pas une province, ni un empire, mais un continent ; tout Français s'y taillerait un domaine et il resterait encore de l'étoffe ».
Pour des raisons nombreuses, l'imagination de la France lointaine n'avait pas encore embrassé cet ample spectacle.
Mais ici, pourtant, protégée par les avant-postes, la colonisation avait fleuri. De ce sommet s'entrevoyaient, sur les côtes de Beauport, de Beaupré et dans l'île d'Orléans, de nombreux et larges défrichés. Comme des grains de chapelet, des maisons se succédaient en bordure du bois, blanches sous le soleil. En cette limpidité de l'air, Pierre regardait des bœufs aller et venir dans les guérets. Les fermes s'agrandissaient comme auraient dû faire celles des Trois-Rivières et de Ville-Marie. (p. 193-194)
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