Claire Mondat, Poupée, Montréal, Les Romanciers du jour, 1963, 139 pages (R8).
Catherine Martin, comme toute jeune actrice à ses débuts, rêve d’une grande carrière. Elle est entretenue par un richard du nom de Jack. Quand on lui propose de remplacer l’actrice principale d’une pièce de théâtre en tournée pour trois mois, elle abandonne Jack. Elle se retrouve avec cinq autres comédiens, tous des hommes. Elle est très critique face à la tournée. À ses dires (c’est elle la narratrice), la pièce qu’ils jouent est minable et le public n’y voit que du feu. Toujours selon elle, la tournée va d’un patelin perdu à un autre, d’une salle paroissiale miteuse à un collège austère.
Rapidement elle tisse une relation avec Krieg, un jeune acteur polonais alcoolique, très beau par ailleurs. Un autre comédien, un Américain, lui fait une cour pressante et elle finit par coucher avec lui. Elle sait que sa beauté ouvre toutes les portes et elle s’en sert sans remords.
On comprend (et elle le comprend aussi) que les autres comédiens ne la portent pas en haute estime. Chacun à sa façon est amoureux d’elle. Par vengeance, jalousie ou dépit, ils associent sa liberté sexuelle à de la prostitution.
Au milieu de la tournée, sans trop savoir pourquoi, elle épouse Krieg, même si leur relation est chaotique et vouée à l’échec. L’aime-t-elle vraiment, elle ne saurait le dire. Disons qu’elle est touchée par le grand amour qu’il lui porte. Très vite, le couple se déchire : elle le trompe, il est jaloux, il la bat sans qu’elle s’en plaigne, et il passe ses journées à boire. Elle est bien consciente qu’elle est en train de s’autodétruire. Elle s’enfonce dans un certain désespoir, consciente de la nullité de sa vie. Elle est incapable de se donner à fond, trop obnubilée par sa « petite personne » : « Je me demande un peu, l'espace de quelques secondes, à quoi rêve Stéphane, puis je me ravise et me dis que les autres, leurs pensées, leurs rêves, leurs problèmes, ont très peu d'importance. Il y a moi, moi inépuisable avec les mille êtres que je porte en moi; moi que j'aime, que j'ai parfois un peu honte d'aimer à ce point. Mais je me laisse aller à cet amour, je ne fais rien pour le freiner, le retenir. » Quant au théâtre, elle ne saurait dire si elle l'aime vraiment. Elle doute de son talent, même si on peut croire qu’elle n’en est pas dépourvue. Elle aime le théâtre pour ce qu’il peut lui apporter, une certaine revanche contre le jugement sévère des gens. La tournée prend fin et elle est toujours aussi indécise, à savoir si elle va quitter ou non Krieg.
Je ne sais rien de Claire Mondat sinon ce qu’on en dit sur le rabat de la couverture : « Je suis née à Montréal, je veux être comédienne et écrire des livres. J’ai 21 ans. » Poupée n’est certes pas un grand roman, mais il a ses qualités. Le personnage principal est bien esquissé, tous les autres un peu moins. Elle raconte une histoire à la Françoise Sagan, pleine d’amour et de tristesse. Ce qui est un peu choquant, c’est qu’en dehors de Québec et Montréal, il n’y a que des « trous » (c'est le terme qu'elle emploie).
Extrait
Je retourne à ma fenêtre. Pas de neige aujourd'hui, un soleil presque printanier. Je pense qu'il fait bon vivre. Derrière moi surgit la belle voix de Krieg, la voix chaude et virile, la voix qui devrait produire sur moi le même effet que cette ville et ce soleil. Mais il semble plutôt que cette voix est là pour gâcher ma joie nouvelle. Krieg, tout Krieg, me tape sur les nerfs.
— Où vas-tu ?
Il lâche son livre et me saisit le poignet, brutalement, me faisant mal. J'ai l'impression d'être une «fille» avec son souteneur.
— J'allais en bas, boire un café. J'ai froid.
J'ai dit «j'allais», car dès qu'il a saisi mon bras, j'ai su que je n'irais pas en bas, à la salle à manger. Je reste ici. Avec Krieg.
— Reste avec moi !
Je le regarde en souriant de mon sourire de petite fille, de mon sourire triste, de ce sourire qui a fait dire à beaucoup d'hommes : «J'aime ton sourire». Il lâche enfin mon poignet et, brusquement, me frappe à la figure. Je souris toujours, du même sourire.
— Cesse de rigoler quand je te frappe !
Ah ! ce mot ! Ce mot grandiosement ridicule, qu'il a dit si sérieusement, si «vrai», pas du tout sur un ton théâtral.
— Pourquoi cette question sur les gars de l'Institut ? Hein ? Réponds !
— Y a rien à répondre.
Je cours vers la salle de bain en criant : «Je prends un bain, viens aussi !» J'aime prendre un bain, un bain à deux. Qu'on me frotte le dos, qu'on me frictionne ensuite, qu'on me porte sur le lit, qu'on me serve quelque chose à manger. Je suppose que j'ai trop vu de films.
Krieg vient me rejoindre dans l'eau. Je me tourne vers lui et je souris toujours. Il n'a pas d'air sur sa figure. Il prépare un coup et je sais lequel. Je m'approche plus près et voilà qu'il me frappe encore et qu'il sourit maintenant. Moi plus : je sens les larmes monter à mes yeux, j'appuie ma tête contre son torse et je me sens bien, délicieusement pitoyable, fragile, jeune.
— Pourquoi t'es si méchant ?
Il me serre contre lui, fort, très fort.
— Parce que c'est toi qui me le demandes et que je ne sais rien te refuser.
Non, ce n'est pas méchamment qu'il a répondu. Il a raison. Bien souvent, j'ai envie qu'il me frappe, ce qui ne m'était jamais arrivé avec personne d'autre. Pourquoi avec lui ?
Il m'assèche, frictionne mon corps. Comme je monte sur le rebord du bain, il met sa tête sur mon ventre. » (p. 102-103)
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