Edmond-J.
Massicotte, Nos Canadiens d'autrefois,
Montréal, Granger Frères, 1923, 41 pages. (Introduction de Casimir Hébert, 12 grandes
compositions pleines pages avec commentaires de Lionel Groulx, Marius Barbeau,
Marie-Victorin, Albert Ferland, Olivier Maurault, Adjutor Rivard, Aegidius
Fauteux, Victor Morin, Albert Laberge, Ernest Choquette, E.-Z. Massicotte et
Rodolphe Girard.)
(Je vous invite à visionner d’abord l’album de Massiccotte : La BANQ)
Ce livre est un monument du terroir au
même titre que les œuvres d’Adjutor Rivard, Lionel Groulx ou Marie-Victorin.
Edmond J. Massicotte a retenu douze scènes caractéristiques de la vie des Canadiens
français qui vivaient à la campagne. Ces dessins sont devenus nos
images d’Épinal. Elles ont décoré bien des maisons québécoises. Mieux que tout
autre peintre (entre autres Henri Julien, mais aussi Suzor-Côté, Clarence
Gagnon, Horatio Walker, Frederik Coburn…), Massicotte a fixé pour toujours
certaines coutumes aujourd’hui disparus.
Chaque tableau est commenté par un
auteur connu de l’école du terroir. On le sait, la vie d’autrefois était
largement modulé par les rites religieux : c’est ce qui ressort de ces
tableaux. Sur les douze, huit sont en lien avec la religion. Seuls « La
fournée du bon vieux temps », « Une veillée d'autrefois », « Une épluchette de
blé-d'inde » et « Les sucres » sont profanes et encore. Par
exemple, dans « La fournée
du bon vieux temps », Marius
Barbeau ne laisse aucun doute sur le caractère sacré du pain : « Rudes
laboureurs et moissonneurs cédaient le pas à la prêtresse du logis — la
ménagère ou la maman — qui entrait maintenant dans son rôle quasi sacramentel. Devenue
grave et attentive, elle n'entendait plus le badinage, elle qui était
débonnaire en tout autre temps. Les enfants se tenaient respectueusement à
l'écart pendant que le levain de houblon fermentait dans le grand seau, que la
pâte se pétrissait dans la huche ou levait dans les casseroles recouvertes
d'une toile blanche, sur un banc à l'écart des courants d'air. »
Même un
« anti-terroiriste » comme Laberge souligne le respect que les
paysans vouent aux rites religieux : « Trainée par un cheval de
labour conduit par un voisin, la voiture portant le ministre de Dieu, s'en va
sur la calme route, entre les prairies, les vergers et les pâturages. Elle est
précédée par un enfant qui agite une clochette. À ce signal, les ouvriers de la
glèbe se prosternent au passage du pasteur portant le bon Dieu. » (Le saint
viatique à la campagne) Chez Aegidius Fauteux, les paysans deviennent de
petits-enfants entre les mains du prêtre : « Il y a trente ans, quarante
ans peut-être qu'il administre la même paroisse. C'est le vrai pasteur de
l'Évangile; il connaît ses brebis et ses brebis le connaissent. Aussi est-ce
sur des fronts soumis et dans des cœurs confiants que sa bénédiction descend
solennelle et lente. Ces braves gens qui, dans un même geste de foi, courbent
si pieusement leurs épaules, robustes ou frêles, comptent évidemment recevoir
la visite de Dieu. » (La visite de la quête de l'enfant-Jésus)
Casimir Hébert, dans la préface, nous
explique en quoi consistait le credo régionaliste (en d’autres mots « le
terroir ») : « Le régionaliste fait l'une et l'autre chose; il
traite nouvellement les idées universelles en les vêtant d'un costume ou
national ou régional, et, tant qu'il reste classique, il dit en mots modernes,
quoique à l'antique, les choses de son temps. » Certains commentaires,
entre autres celui du frère d’Edmond Massicotte (il était archiviste) ont un
caractère plus ethnologique : « Augets, seaux, goudilles, vont rejoindre
les chaudrons et les tonneaux à l'érablière. Les arbres sont entaillés, le feu
s'allume sous les vases profonds, débordant du liquide précieux et la première
grande corvée populaire du renouveau bat son plein dans le décor propice des
hautes futaies. De la ville, du village, des rangs, s'amènent des groupes qui
visitent les sucriers. Il en résulte des parties de cartes, des concerts, et
surtout des festins où s'improvisent des fantaisies culinaires dont le souvenir
reste vivace. » (Les sucres, Edmond
Zotique Massicotte)
Ces tableaux sont un hommage au passé,
aux ancêtres. Il ne faut pas s’étonner de retrouver quelques grands-pères,
gardiens des traditions du passé : « Le fils qui, lui aussi, à son tour, a
fondé une famille, vient d'arriver chez son père. Dehors, il fait froid: tous
sont donc chaudement vêtus. Ils n'ont pas pris le temps de dépouiller ce lourd
attirail. A peine franchi le seuil de la maison paternelle, le jeune homme
accompagné de sa femme et de ses enfants, se jette aux pieds du chef pour
implorer sa bénédiction. On sent, dans cette hâte, l'accomplissement d'un
devoir auquel il ne faudrait manquer pour rien au monde. Le grand-père élève
ses mains, et, avec un sourire qui dissimule mal son émotion, il demande à Dieu
de bénir sa postérité. » (La bénédiction
du jour de l'an, Olivier Maurault)
Parfois, le commentaire s’attarde
davantage à la composition du tableau : « Tous les invités sont de
solides colons, et d'accortes fermières à qui les travaux des champs n'ont rien
enlevé de leur souplesse. Voyez ces quatre partenaires de la "gigue
carrée" se tenant en équilibre sur une semelle tandis que l'autre
"accorde" aux crins-crins endiablés du violoneux campé sans façon sur
le coin de la table; le plaisir brille dans leurs yeux, mais comme ils ne sont
pas inlassables, un autre couple viendra remplacer celui qui trahira le premier
signe de fatigue, et déjà un candidat s'annonce en invitant gauchement une
jolie brunette à "lui faire face pour la prochaine danse," au grand
désarroi de son "cavalier" qu'on regarde d'un oeil narquois. » (Une veillée d’autrefois, Victor Morin)
Tous ces tableaux n’ont pas été dessinés
en vue de ce volume. Par exemple, « Une veillée d'autrefois » date de
1915. Le « Réveillon de Noël », créé pour cet album, aurait exigé six
mois de travail. Dans une nouvelle édition, publiée en 1961, on a ajouté onze
nouveaux tableaux et plusieurs chansons folkloriques qui les représentent.
Enfin, si on trouve parfois ces illustrations en couleur, c’est qu’elles ont
été coloriées après-coup.
Sur Massicotte
Lire et regarder sur internet : La BANQ
Une présentation très intéressante de l'album de Massicotte. Ça donne envie de le feuilleter.Je crois que ses tableaux ont beaucoup influencé notre perception des traditions anciennes.
RépondreEffacerC'est toujours un plaisir de lire Laurentiana.