En mémoire de Gaston Miron décédé le 14 décembre 1996.
« Ayant été remis plusieurs fois sur le métier, entre 1956 et 1961, toujours après qu’il eut subi l’épreuve de la récitation en privé ou en public, comme ce fut à l’époque le cas pour la plupart de mes compositions, ce poème a connu de nombreuses versions. L’une d’elles a paru dans La Presse, en 1956, je crois. Le deuxième vers du texte était ainsi énoncé: « Canada ma terre amère ma terre amande ». Pourtant, la même année fut publié « Un homme », qui devint par la suite « L’Octobre » où le mot Québec était attesté. Une indécision a donc persisté quant à la nomination de ce pays que je tentais de circonscrire et qu’en ces années les vocables Canada et Canada français recouvraient encore. Dans mon cheminement, l’idée d’indépendance me tourmentait depuis 1957, et la lecture de Portrait du colonisé d’Albert Memmi y fut pour quelque chose. Je devins indépendantiste avoué, en 1959, en accord avec le groupe de La Revue socialiste (pour l’indépendance absolue du Québec). J’appris à Paris, en 1960, à ma grande joie, la fondation du RIN. À mon retour, en 1961, la substitution du mot Québec au mot Canada devenait logique, pour ne pas dire toute naturelle. « Compagnon des Amériques » fut publié, tel qu’on le lit aujourd’hui, dans le cycle de La Vie agonique (Liberté, mai-juin 1963). » (Gaston Miron, L’homme rapaillé, L’Hexagone, 1994)
Compagnon des Amériques
Québec ma terre amère ma terre amande
ma patrie d’haleine dans la touffe des vents
j’ai de toi la difficile et poignante présence
avec une large blessure d’espace au front
dans une vivante agonie de roseaux au visage
je parle avec les mots noueux de nos endurances
nous avons soif de toutes les eaux du monde
nous avons faim de toutes les terres du monde
dans la liberté criée de débris d’embâcle
nos feux de position s’allument vers le large
l’aïeule prière à nos doigts défaillante
la pauvreté luisant comme des fers à nos chevilles
mais cargue-moi en toi pays, cargue-moi
et marche au rompt le cœur de tes écorces tendres
marche à l’arête de tes dures plaies d’érosion
marche à tes pas réveillés des sommeils d’ornières
et marche à ta force épissure des bras à ton sol
mais chante plus haut l’amour en moi, chante
je me ferai passion de ta face
je me ferai porteur de ton espérance
veilleur, guetteur, coureur, haleur de ton
avènement
un homme de ton réquisitoire
un homme de ta patience raboteuse et varlopeuse
un homme de ta commisération infinie
l’homme artériel de tes gigues
dans le poitrail effervescent de tes poudreries
dans la grande artillerie de tes couleurs d’automne
dans tes hanches de montagne
dans l’accord comète de tes plaines
dans l’artésienne vigueur de tes villes
dans toutes les litanies
de chats-huants qui huent dans la
lune
devant toutes les compromissions en peaux de vison
devant les héros de la bonne conscience
les émancipés malingres
les insectes des belles manières
devant tous les commandeurs de ton exploitation
de ta chair à pavé
de ta sueur à gages
mais donne la main à toutes les rencontres, pays
toi qui apparais
par tous les chemins défoncés de
ton histoire
aux hommes debout dans l’horizon de la justice
qui te saluent
salut à toi territoire de ma poésie
salut les hommes et les femmes
des pères et mères de l’aventure
VERSION DE 1956
Gaston Miron sur Laurentiana
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