Jean-Baptiste-Antoine Ferland, Opuscules,
Québec, Imprimerie A. Côté, 1877, 182 pages. (1re édition : La Littérature canadienne de 1850-1860 , vol. 1, p. 259-274 et
p. 289-365 Québec : Desbarats et Derbishire, 1863-1864 publiée par la direction
du « Foyer canadien ».)
Jean-Baptiste-Antoine Ferland
(l’abbé Ferland) est décédé en 1865. D’abord historien, et professeur émérite
selon les témoignages de l’époque, Ferland est surtout connu pour son Cours d'histoire du Canada, 1867, entrepris
pour corriger l’histoire de Garneau, trop libérale pour les conservateurs
ultramontains. Opuscules contient
deux titres : Louis-Olivier Gamache
et Le Labrador.
LOUIS-OLIVIER GAMACHE
L’histoire de Louis-Olivier
Gamache a été très exploitée en littérature québécoise. Le personnage est
devenu une légende. Plusieurs
anthologies en ont fait leurs choux gras, par exemple Robert Choquette : Le Sorcier d’Anticosti et autres légendes
canadiennes en 1975. J’ai déjà présenté cette histoire et je n’y
reviendrai pas. Voir
ici.
LE LABRADOR
La seconde partie du livre, Le Labrador, raconte le voyage de l’abbé
Ferland sur la Basse-Côte-Nord (Le Labrador à l’époque). Le 20 juillet 1858, il
quitte Québec pour porter secours au seul missionnaire en poste sur la
basse-côte, le Père Coopman, malade. Ferland va rejoindre à Berthier la Marie-Louise, une goélette qui doit se rendre à Blanc-Sablon, en s’arrêtant un
peu partout sur la Côte. La vitesse du périple dépend des vents, des courants
et des marées. À partir du 29 juillet, la Marie-Louise côtoie successivement Mingan, Pointe-aux-Esquimaux (Havre-Saint-Pierre) et Nataskouan (sic) où
elle doit s’arrêter à cause des courants contraires. Là sont établies une
quinzaine de familles acadiennes. Par la suite, les voyageurs croisent
plusieurs postes (Kégashka, Maskouaro, La Romaine et Wapitugan) où vivent des familles acadiennes. Le 4 août, la Marie-Louise
longe Gros Mécatina, Natagamiou, Tête-à-la-Baleine avant de faire escale à la
Tabatière, la « métropole du canton », où l’abbé Ferland doit
« donner une mission » aux douze familles catholiques qui résident
aux alentours. Le 8 août, il quitte la Tabatière pour Grosse-Île de Mécatina. Le
12, il reprend la mer, il débarque à Chikapoué le 13 et au poste de Saint-Augustin
le 14. On lui apprend que le Père Coopman est guéri et a repris sa mission. Le
17, le voyage reprend en direction de Blanc-Sablon. On croise ici et là des habitations
humaines et des ports très fréquentés, entre autres celui de Bonne-Espérance où
mouillent une cinquantaine de goélettes. Trois jours plus tard, les voyageurs parviennent
à Blanc-Sablon, terme du voyage. Le 21 août, la Marie-Louise amorce son retour
à Québec. L’équipée fait escale dans la Baie de Brador (où mouillent 50 à 60
vaisseaux) : Ferland dit la messe devant 200 hommes. Le 26 ils sont de
retour au port de Bonne-Espérance, le 31 à la Tabatière où l’on charge des
marchandises, le 2 septembre à Nataskouan, le 7 dans la baie de la Trinité, le
10 à l’Île-Verte. La Marie-Louise,
perdue dans les brumes, heurte un gros bateau et dérive jusqu’à l’embouchure de
la rivière Saguenay. Le 12 septembre, Ferland embarque dans une grosse chaloupe
pour se rendre à Rivière-du-Loup et le 14, il est de retour à Québec. Le voyage
a donc duré un peu moins de deux mois.
Opuscules est un récit de voyage informatif. Rien à voir avec le
récit de voyage romantique initié par Chateaubriand dans Itinéraire de Paris à Jérusalem en 1811. On peut supposer que
l’abbé Ferland s’est servi de notes très précises puisque les dates marquent
bien le jour à jour des déplacements, des visites, des services religieux, des distances
parcourues. Il y a tout au plus quelques passages thématiques plus développés
(la chasse aux loups-marins, la chasse à la baleine, la pêche du homard, les
chiens du Labrador, la présence des ours) qui ralentissent, l’espace de
quelques pages, le défilement chronologique du voyage. Ferland ne dit à peu
près rien du capitaine (son nom est Blais), de l’équipage, de la vie sur le navire,
des autres passagers. Il n’épanche pas son âme sur les paysages, sur les
découvertes. Il n’est jamais au centre du récit même quand il se met en scène.
On sait que Ferland était une
sommité en botanique. De ce voyage, il a rapporté plusieurs spécimens de fleurs
et Ovide Brunet (1826-1876), un de ses
anciens élèves du collège de Nicolet, en a rendu compte dans un appendice au
récit de son maître (Littérature
canadienne, pages 367 à 374).
Bien entendu, il discute de sa mission
religieuse, c’est le but de son voyage.
Mais on ne peut pas dire pour autant que c’est l’élément le plus
développé de cette relation. La raison en est bien simple : il rencontre
peu de fidèles et les services donnés ne le sont souvent que pour quelques
familles. Il signale les chapelles et églises existantes, situe l’emplacement
qui se prêterait à l’établissement d’une église. Après avoir témoigné de la
qualité de la foi des fidèles rencontrés, il souligne le vide que constitue
l’éloignement de la religion pour ces catholiques perdus dans la sauvagerie. Il
n’est pas dupe du fait que les Autochtones pratiquent la religion catholique du
bout des lèvres.
Ce qui semble l’intéresser par-dessus
tout, ce sont les occupations des Labradoriens, leurs moyens de subsistances,
pour tout dire le commerce qui s’effectue en ces lieux. Tout au long de son
périple, il signale les postes où la Marie-Louise s’arrête : certains d’entre
eux appartiennent à la compagnie d’Hudson, d’autres à des intérêts privés. Il
tente de jauger de la rentabilité des entreprises. Il note aussi l’étonnante
quantité de vaisseaux, la plupart étrangers, qui font la pêche au large de la
côte et regrette que les intérêts canadiens soient si mal protégés.