Diane Giguère, Le temps des jeux, Montréal, Cercle du livre de France, 1961, 202 pages.
Céline, 17 ans, vit seule avec sa mère Jeanne. Elle vient d’être renvoyée de son école où elle n’apprenait rien de toute façon. Elle ne fait rien, végète, ressasse ses souvenirs d’enfance malheureuse. Selon elle, sa naissance fut une erreur : elle n’a pas connu son père et sa mère ne l’a jamais aimée. Celle-ci est une ancienne comédienne devenue caissière par nécessité. Elle a eu plusieurs amants dont un qui lui a laissé Céline. Elle approche de la cinquantaine et a beaucoup de difficulté à accepter son vieillissement. Elle a un amoureux, un professeur d’université, Monsieur Moreuil, qu’elle voit à l’hôtel.
À l’instigation de sa fille, Jeanne invite son amant à la maison. Parce qu’elle déteste sa mère et parce qu’il se passe tellement rien dans sa vie qu’elle en est venue à penser au suicide, Céline tente de séduire monsieur Moreuil. En cachette de la mère, il l’invite. Les deux vont à la montagne. Monsieur Moreuil la fait boire et couche avec elle. Cet homme est un faible. Il est affreusement laid et il en souffre. Sa femme le traite comme un moins que rien. Céline revient vers lui et ils continuent de coucher ensemble. Elle lui fait croire qu’elle est enceinte. Les deux font le vague projet de s’enfuir... mais il y a la femme de monsieur Moreuil... Comme elle se penche à la fenêtre pour entretenir ses plantes, il la pousse dans le vide. Il est arrêté.
Entre-temps, la mère de Céline, abandonnée, a sombré dans la folie. Finalement, Céline et sa mère se retrouvent toutes les deux à l’hôpital. Le roman se termine ainsi : Céline quitte l’hôpital, toujours aussi malheureuse, conservant l’espoir qu’un événement viendra la délivrer de son malheur : « Peut-être au tournant de cette route, il y avait une épaule où dormir, une maison pour se reposer longtemps, reprendre une à une toutes les années. La douleur l’étreignit comme un sanglot. Elle courut, courut encore plus vite et disparut au tournant de la rue. »
Ce roman, très sombre, nous rappelle les deux premiers de Marie-Claire Blais : La Belle Bête et Tête blanche. Ici aussi, la tension laideur-beauté dynamise l’intrigue. Ici aussi, l’amour est refusé aux êtres laids. Ici aussi, la mère est très loin du modèle traditionnel représenté par Joséphine Plouffe et Rose-Anna Lacasse. Chez Blais et Giguère, ce sont des femmes qui ne vivent que dans le regard des hommes, qui délaissent leurs enfants pour vivre leur propre vie. Céline, comme Isabelle-Marie de La Belle Bête, entretient une véritable haine à l’égard de sa mère. Ce qu’on comprend mal, c’est qu’elle n’envisage aucune action pour se libérer : elle attend passivement qu’un événement se produise. Quant aux pères, ils se sont volatilisés. La « sainte famille canadienne-française » est particulièrement mise à mal.
L’analyse psychologique est très présente dans le roman. Un peu trop selon moi. Certaines explications me semblent superflues et, à l’occasion, répétitives. Toujours selon moi, le roman y aurait gagné en adoptant un point de vue unique, celui de Céline.
Diane Giguère n’avait que 23 ans quand elle a publié Le Temps des jeux. Impressionnant. Ce roman sulfureux, encore plus que ceux de Blais de l’époque, a reçu le prix du Cercle du livre de France. Il a été publié en France. Diane Giguère écrit encore. Son dernier roman, Le temps de l'Himalaya, date de 2007. Ce serait une « version entièrement revue de son premier roman ».
Extrait
Elle n'avait osé ouvrir les yeux de peur de voir, penché sur son lit, ce visage qu'elle détestait tant. Sur sa joue, il y avait comme une brûlure difficile à effacer. Ce n'était ni le vent, ni un rêve, ni la chaleur de l'été. Jeanne avait disparu, mais son odeur demeurait, sur cette joue, dans cette pièce. Un parfum détestable. Tremblante de honte et de peur, elle demeura assise sur son lit et elle écouta le pas de Jeanne qui arpentait le galon. Tant que celle-ci n'aurait pas quitté la maison, elle ne sortirait pas de sa chambre. Elle ne voulait plus jamais revoir sa mère. Son geste de tout à l'heure lui paraissait coupable. Elle frissonnait encore à la seule pensée de cette paume moite et caressante sur sa joue. Comment ferait-elle pour continuer à vivre avec cette femme, dans la même maison, chaque jour de sa vie, avec cette brûlure sur sa joue? Tôt à l'aube, elle était sortie pour aller où? Elle avait couru à la fenêtre pour voir si sa mère allait encore une fois vers le port, mais elle avait disparu dans une voiture. Le jour se levait quand la voiture s'était engouffrée dans le silence du matin, derrière les énormes bâtisses qui se dressaient en bordure du fleuve. Sur la petite coiffeuse du salon, il y avait beaucoup de flacons, de poudre et de désordre. Elle avait même oublié d'éteindre la lampe. Elle avait attendu le pas de sa mère dans l'escalier avant de se précipiter dans sa chambre et de faire semblant de dormir. (p. 143-144)
Diane Giguère |
Je prends ce livre en note, car je me prépare une liste de choix potentiellement intéressant. Ensuite, viendra une seconde sélection. J’ai un projet : monter une bibliothèque très variée et pour tous les goûts... j’ai la famille à combler.
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