William Chapman, Le lauréat. Critiques des œuvres de M. Louis Fréchette, Québec, Léger-Brousseau, 1894, 325 pages.
Fallait-il que Chapman haïsse Louis Fréchette, pour lui
consacrer 324 pages de dénigrements! Et ce n’est pas tout! Après la réplique de
Sauvalle-Fréchette (Le lauréat manqué – à lire demain), Chapman ajoutera 150
pages d’invectives dans Deux copains (après-demain). Presque 500 pages
pour prouver que Fréchette est un faussaire.
Comment la polémique est-elle née? Chapman, qui admirait Fréchette, lui envoyait certaines de ses créations et il semble que ce dernier
était très critique au point où Chapman avait décidé de tout abandonner…
jusqu’au jour où il a découvert que son mentor reprenait tantôt ses idées,
tantôt certaines rimes, tantôt des canevas de ses poèmes et même des
hémistiches. De là lui est venue l’idée de passer au peigne fin les écrits
antérieurs de Fréchette. Il en a conclu : « L'auteur des Fleurs
boréales a plagié, à plume que veux-tu, Victor Hugo, Lamartine, Musset,
Leconte de Lisle, François Coppée, Crémazie… » Et William Chapman.
Menant un véritable travail de moine, Chapman va éplucher
tous les poèmes de leurs contemporains et publier des centaines et des
centaines de passages de Fréchette, accompagnés de l’original qu’il a
soi-disant plagié.
À la lecture de tous ces rapprochements, il est bien évident
que Fréchette s’est inspiré très librement des vers de ses contemporains, qu’il
a réécrit à sa façon certains de leurs poèmes. Voici des mini-exemples fournis
par Chapman :
En même temps, et tout aussi souvent, Chapman pousse trop
loin les rapprochements. Retrouver certains mots identiques dans deux poèmes qui
ont pour sujet un arbre (le chêne de Fréchette et l’érable de Chapman), ce
n’est pas du plagiat.
CHAPMAN : Tout couvert de glaçons énormes, acharnés.
/ Le fleuve délirant avec fracas s'épanche.
FRÉCHETTE : Le fleuve gigantesque a des colères; / Il
gronde dans la nuit sauvage, et par moments / Tourmente la banquise avec des
craquements
Tous les deux publiaient dans les journaux, arènes de leur
affrontement. Il semble que Fréchette se faisait défendre par des tiers qui
n’étaient, aux dires de Chapman, que des noms d’emprunt du
« lauréat ».
Il faut dire que Chapman n’y va pas avec le dos de la
cuillère. « … j'ai surabondamment prouvé, dans l'ensemble, la thèse que je
m'étais engagé à soutenir contre l'auteur de la Légende d'un Peuple, à
savoir, qu'il est un plagiaire aussi grossier qu'audacieux. » Et, chemin
faisant, il ne se contentera pas de souligner les emprunts de Fréchette. Il se
permet aussi de critiquer sévèrement la poésie de celui qu’il appelle
ironiquement le « maître » ou le « lauréat » : « Bien
plus, quand j'aurai fait le triage complet des vers qui appartiennent au
lauréat parmi ceux qui ne lui appartiennent pas, quand j'aurai fait voir dans Les
Fleurs boréales, La Légende d'un peuple et les Feuilles
volantes tous les grossiers pastiches, toutes les pièces mal charpentées,
tous les rabâchages, tous les lieux communs, tous les clairs de lune, tous les
contresens et toutes les gaucheries qui s'y trouvent, je défierai alors M. Fréchette
de trouver un écrivain canadien de quelque valeur qui veuille signer sa moins
mauvaise pièce. »
Il va sans dire que la lecture des doléances et accusations de
Chapman devient rapidement fastidieuse. Je n’ose imaginer tout le temps qu’il a
dû passer à chercher noise à son illustre prédécesseur. Jalousie? Chapman
semble animé d’un tel esprit revanchard qu’on finit par perdre toute sympathie
pour la thèse qu’il défend. (Voir la suite)
Extrait
« Plaisanterie à part, M. Fréchette n'a pas le tempérament
du poète ; bien au contraire, il est replet, sanguin, et rien chez lui
n'indique la nervosité du rossignol, bien qu'il chante au clair de la lune, la fragilité
du violon, bien qu'il soit ronflant, la sensibilité du roseau, bien qu'il sonne
creux.
M. Fréchette est flegmatique et ressemble à un bon gros
bourgeois enrichi dans le commerce des sucres ou des cotonnades.
Aussi, le lauréat a-t-il l'état que lui assignait sa carrure
de rentier : il est cossu, et il est —tout le monde le sait — incessamment
tourmenté de l’auri sacra fames, une autre anomalie chez un poète.
Il aime l'argent, et son ambition d'en faire ne connaît pas
de limites.
Malheureusement, la soif du lucre lui a causé bien des
mécomptes et bien des déboires.
Les Québéquoises (1876)
Les feuilles d’érables (1890)
Les aspirations (1904)
Les fleurs de givre (1912)
Le lauréat
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