Le moment de Noël approche, et je ne sais pas du tout ce que le petit Noël me donnera, ou, plutôt, je crois qu’il ne me donnera rien.
Cela m’est bien égal, et je ne regrette pas du tout ce que
j’ai fait. Voulez-vous que je vous le conte ? Ce ne sera pas trop long.
Nous sommes le 22 décembre, n’est-ce pas ? Eh bien, il y a
environ cinq ou six jours, ma mère m’appelle et me dit :
– Le 25 approche, tu n’as plus que quelques jours pour
adresser ta demande au petit Noël ; chaque enfant n’a le droit d’écrire qu’une
lettre et de ne demander qu’un seul objet ; ceux qui écrivent les premiers
seront sûrement les mieux servis ; pensez-y ; c’est demain dimanche, tu as toute
ta journée pour préparer cette lettre.
Le lendemain, mon père allait à la chasse, aux environs de
Saint-Germain, dans la propriété de ma tante ; il m’emmena.
Il faisait un froid terrible, et je demeurai auprès d’un bon
feu, dans le salon, dans la crainte de m’enrhumer. Je commençai par lire des histoires
; puis, je collai des images ; enfin, l’ennui me gagnant, je m’approchai de la
fenêtre, dans l’espoir de voir quelques passants. Hélas ! ils étaient rares, vu
le temps qu’il faisait et le pays désert qu’habitait ma tante.
Je pensai alors à la recommandation de ma mère et à la lettre
au petit Noël qui n’était pas encore écrite ; je pris une feuille de papier
rose, une plume neuve, et je me mis à l’ouvrage.
Ah !... j’eus du mal à inscrire lisiblement l’objet de mes
désirs ; aussitôt qu’un nom était tracé sur la lettre, un autre me venait à
l’esprit.
Tout à coup, en levant la tête pour me reposer un peu, car je
me fatigue vite quand je fais un travail sérieux, tout à coup, dis-je,
j’aperçus, devant la fenêtre, un pauvre petit garçon à peine vêtu, marchant
pieds nus et grelottant de froid. Malgré sa mine malheureuse, il me fit un gracieux
sourire.
Je courus à la porte et je l’appelai.
– Entre te chauffer un peu, lui dis-je ; ma tante est absente
pour l’instant, mais elle ne me grondera pas de t’avoir invité, j’en suis sûr.
– Je n’ose, répondit-il, j’ai peur de salir le beau tapis.
– Il n’y a pas de danger ; essuie tes pieds sur le paillasson.
Il fit ce que je lui disais d’un pas craintif. Nous nous mîmes
à jouer, et, au bout de dix minutes, nous étions les meilleurs amis du monde.
Soudain, il s’approcha de la table sur laquelle j’étais installé et regarda mon
travail.
– C’est vous qui écrivez si bien ? me dit-il.
– Oui, repris-je, je
demande au petit Noël qu’il m’apporte de beaux joujoux le 25 de ce mois.
– Vous êtes bien heureux, soupira le pauvre enfant ; ah ! si
je savais écrire ! j’ai tant de choses à lui demander, moi, au petit Noël !
– Comment ! tu ne sais pas écrire ?
– Hélas ! non, je n’ai plus de père, et, ma mère étant
toujours malade, je ne puis aller à l’école pour apprendre ; je la soigne, et
je fais ce que je peux pour gagner un peu d’argent.
– Écoute, dis-je à mon nouvel ami, veux-tu que j’écrive en ton
nom au petit Noël ?
– Ça ne se peut pas, me dit le malheureux, il faut écrire
soi-même ; sans cela, il est probable que l’on n’a rien...
– Crois-tu ?
– J’en suis certain !
– Eh bien ! ne te tourmente pas, repris-je, je puis demander
pour mon compte ce que tu désires ; et, dès que j’aurai reçu le cadeau, je te
le donnerai ; dis-moi quelles sont tes ambitions : est-ce un tambour, un cheval
qu’il te faut ?
– Oh ! non... mon petit monsieur, dit-il, je voudrais... je
voudrais du bouillon et du vin pour maman qui en a grand besoin. Le médecin a recommandé
qu’elle en prenne ; mais nous sommes trop pauvres pour en acheter !
Je pris bravement la plume et je demandai au petit Noël un
pot-au-feu et du bon vin.
Mon ami partit enchanté, et je lui promis de lui envoyer sa
commande aussitôt que je l’aurais reçue.
– Maintenant, je n’ai plus qu’à attendre !... Pourvu que Noël
n’aille pas s’aviser de croire que je suis un gourmand !
Il réfléchit.
– J’ai envie de conter la chose à maman. Qu’en pensez-vous ?
Elle est très bien avec lui.
(Louise Rousseau, le 26 décembre 1909)
(dans : Jean-Yves Dupuis, Contes de Noël, BEQ, p. 220-224)
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