23 juin 2024

Compagnon des Amériques (bis)

Bonne Saint-Jean!

Le mot « patrie », qu’on retrouvait à toutes les sauces dans notre histoire littéraire, a été remplacé par le mot « pays » autour des années 60.

« Patrie : Communauté politique, nation à laquelle on appartient ou à laquelle on a le sentiment d’appartenir. » (Antidote)

On ne l’entend plus.  Serait-ce parce qu’il traîne les vieilles connotations du nationalisme canadien-français à saveur religieuse ? Ou son étymologie est-elle devenue dérangeante (du latin « patria » pays du père ») ? On disait aussi, si je me souviens bien, peut-être pour compenser, « notre mère patrie ».

Miron, notre grand poète national, l’emploie encore dans « Compagnon des Amériques », un poème dont la première mouture date des années 50. Ici, la version publiée à L’Hexagone en 1993.

COMPAGNON DES AMÉRIQUES

Québec ma terre amère ma terre amande
ma patrie d’haleine dans la touffe des vents
j’ai de toi la difficile et poignante présence
avec une large blessure d’espace au front
dans une vivante agonie de roseaux au visage
 
je parle avec les mots noueux de nos endurances
nous avons soif de toutes les eaux du monde
nous avons faim de toutes les terres du monde
dans la liberté criée de débris d’embâcle
nos feux de position s’allument vers le large
l’aïeule prière à nos doigts défaillante

la pauvreté luisant comme des fers à nos chevilles 
mais cargue-moi en toi pays, cargue-moi
et marche au rompt le cœur de tes écorces tendres
marche à l’arête de tes dures plaies d’érosion
marche à tes pas réveillés des sommeils d’ornières
et marche à ta force épissure des bras à ton sol

mais chante plus haut l’amour en moi, chante
je me ferai passion de ta face
je me ferai porteur de ton espérance
veilleur, guetteur, coureur, haleur de ton avènement
un homme de ton réquisitoire
un homme de ta patience raboteuse et varlopeuse
un homme de ta commisération infinie
          l’homme artériel de tes gigues
dans le poitrail effervescent de tes poudreries
dans la grande artillerie de tes couleurs d’automne
dans tes hanches de montagne
dans l’accord comète de tes plaines
dans l’artésienne vigueur de tes villes
dans toutes les litanies
          de chats-huants qui huent dans la lune
devant toutes les compromissions en peaux de vison
devant les héros de la bonne conscience
les émancipés malingres
          les insectes des belles manières
devant tous les commandeurs de ton exploitation
de ta chair à pavé
          de ta sueur à gages
 
mais donne la main à toutes les rencontres, pays
toi qui apparais
          par tous les chemins défoncés de ton histoire
aux hommes debout dans l’horizon de la justice
qui te saluent
salut à toi territoire de ma poésie
salut les hommes et les femmes
des pères et mères de l’aventure

Pour connaître l’histoire de ce poème.

1 commentaire: