Le recueil, tiré à 100 exemplaires, constitue un événement
dans l’histoire de la poésie québécoise. Si j’ai tant tardé à le bloguer, c’est
qu’il est devenu inaccessible. Giguère ne l’a pas repris dans les compilations
qu’il a présentées ultérieurement. La BAnQ et l’Université Laval en ont un
exemplaire que j’ai pu photographier.
On connaît sa petite histoire. Giguère étudiait la
typographie et la reliure à l’Atelier des arts graphiques. Ses professeurs lui
ont donné accès à l’équipement de l’école et l’ont même aidé à fabriquer le
livre. Tout a été fait de façon artisanale (voir le commentaire). Les 38
feuilles du recueil sont insérées dans un portefeuille créé par Jean Larivière.
Giguère s’est amusé à explorer caractères typographiques, couleurs, grosseurs
de fonte, orientations des vers (verticale, oblique), dispositions sur la page
(décalage, colonnes) et même d’autres procédés comme ce titre qui flotte sur la
page de couverture. Tous ces procédés semblent davantage ludiques que porteurs
de sens. Je ne crois pas non plus qu’on puisse dire que les illustrations de
Dumouchel soient en lien avec le texte de Giguère.
Pourtant, voici un recueil-clef, mais pour des raisons
extérieures à la poésie elle-même. Malgré toute l’admiration que je voue à Giguère,
il faut bien dire que si ce recueil avait été publié chez Beauchemin, il
n’aurait pas survécu. On comprend qu’il ait refusé qu’il soit repris dans L’Âge
de la parole ou Forêt vierge folle. Certains critiques, surtout en
raison du titre, ont voulu y lire une allégorie de tout le mouvement poétique
qui allait éclore dans les 10 prochaines années. Je n’y arrive pas.
Si on oublie la forme et qu’on s’en tient aux mots, que nous
dit cette poésie? Les relations amoureuses me semblent le thème qui couvre tout
le recueil : « je te revois éparse dans tous mes poèmes »,
avoue-t-il à la femme aimée. Celle-ci apparaît comme une source de lumière dans
sa solitude, comme l’accompagnatrice qui lui permet de « marche[r] à la
conquête d’un monde nouveau ».
Pour autant, Giguère n’écrit pas de véritables poèmes
d’amour. Le plus souvent, c’est la femme plutôt que l’amoureuse, qui figure dans le poème : « une femme solitaire cernée de mille feux / l'ardeur
du brasier ardent / pour prendre appui sur un seul cri / jeté au flanc d'un
amour / entretenu aux yeux de tous ». Liés à ce thème, certains poèmes évoquent
une jeunesse faite d’attente et d’espoir que la femme viendra combler : « Il
tourna en rond pendant des siècles, caressant de sa course la chevelure des oiseaux,
toujours les mêmes. Un jour il tint un colloque avec l’étoile la plus proche à
propos d'un introuvable infini ».
Feu d’artifices typographiques, Faire naître apparaît comme le premier livre dans notre histoire littéraire qui est beaucoup plus qu’un objet sur lequel on imprime des mots. En quelque sorte la poésie entre en communion avec le livre qui la porte.
Roland Giguère sur Laurentiana
Éditions Erta
Faire naître
Les nuits abat-jour (à venir)
Yeux
fixes
Midi
perdu
Images
apprivoisées
Les
armes blanches
Le défaut des ruines est
d’avoir des habitants
Adorable femme des neiges (à venir)
L’âge de la parole (à venir)
Voix de 8 poètes du Canada
« Ce premier livre fut une belle aventure de jeunesse et un bon travail d'apprentis-typographes. Nos cours terminés, Conrad Tremblay, Gilles Robert et moi allions un peu flâner dans le quartier, lire à la Bibliothèque Saint-Sulpice (aujourd'hui la BN) j3uisa après un sandwich et un café pris au restaurant du coin, nous retournions à l'École à l'heure des cours du soir pour y réaliser nos projets élaborés durant le dîner.
RépondreEffacerAvec l'accord tacite du chef d'atelier Roch Lefebvre et celui d'Arthur Gladu, nous pouvions ainsi disposer de quelques heures par semaine pour travailler exclusivement à notre livre. Conrad Tremblay préparait les maquettes et, tous les trois, nous composions les poèmes soit à la main, soit en Ludlow. Ce fut un véritable délire typographique. De page en page défilaient presque tous les caractères de l'École : des Garamond, Baskerville, Caslon jusqu'aux Kabel, Tempo et Old English. Un catalogue, avec parfois de belles réussites et quelques tours de force! En tout cas, c'est un vif plaisir que nous donnait, ces soirs, l'art de la typographie.
L'impression se faisait sur une presse à épreuves perfectionnée qui ne servait que pour des travaux de qualité. Il est malheureux que, faute d'argent, nous n'ayions pu imprimer sur du plus beau papier. Ce livre terminé — après plusieurs mois de travail — nous procura une belle fierté. La presque-totalité de l'édition fut achetée par la Librairie Flammarion et disparut je ne sais où ni comment. » (Roland Giguère « Une aventure en typographie : des Arts graphiques aux Éditions Erta », Études françaises, volume 18, numéro 2, automne 1982, p. 99–104)
Selon le libraire de Bonheur d’occasion, le recueil aurait 39 feuillets. Voici la description qu’il fait de son exemplaire à vendre ($1,500) : « En feuilles, chemise titrée. Condition: Très bon. Albert Dumouchel (illustrator). Ed. numérotée. In-4. Exemplaire no. 47/100. Complet du titre gravé, du fac-similé et des 4 estampes de Dumouchel. 38 feuillets sur 39, sans l'avant-dernier feuillet, manquant dans un grand nombre d'exemplaires, texte de ce feuillet : Entre autres/La lune suspendue à mes cheveux/L'eau sur chacun de mes doigts/La femme que je ne verrai plus/Les cercles que l'enfant tracent/et mille autres raisons justifient ce que j'aime. Dédicace au dos du titre gravé. Chemise reliure de Jean Larivière, petite perte au décor contrecollé de celle-ci. Premier livre de Roland Giguère et premier titre des Éditions Erta. Jamais réédité. (Hould, 102). Signé par l'auteur. »
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