Jovette-Alice Bernier, Les masques déchirés, Montréal, Albert Lévesque, 1932, 142 pages. (Illustrations de Robert Lapalme) (Les 32 dernières pages reprennent des poèmes de Roulades et Comme l’oiseau.)
Ce recueil est publié la même année que La chair décevante, roman sulfureux pour l’époque. Il est bien évident que Jovette-Alice Bernier a décidé de hausser le ton, de se défendre contre les bien-pensants qui la critiquent : « Je vous ai déchirés sur des visages flasques, / Masques menteurs, conventionnels, masques divers; / Masques hâbleurs et vaniteux, orgueilleux masques » (Liminaire). Elle en découd même avec la religion dans ses poèmes Prière et surtout Parce que tu t’es fait homme dans lequel elle apostrophe ainsi le Seigneur : « J’ai peur de ne t’avoir aimé / Que parce que tu t’es fait homme ».
Elle traîne toujours ses amours décevantes et l’heure des
bilans commencent à se faire entendre : « Les ouragans qui vont en
navrant les espaces, / Et retournent au seuil clair de l’éternité, / J’ai connu
l’âpreté de leurs libres audaces, / J’ai aimé leur vertige et leur
intensité. » (Mes ouragans) Et, toujours, elle cherche les voies de
l’apaisement sans vraiment les atteindre : « On regarde en tremblant
et sa joie et sa peine, / On ne croit plus au mal, moins encore à la
haine. » Cette douleur qu’elle entretient, pour mieux prolonger son amour perdu,
finit par devenir sa compagne : « On en vient à presser la douleur
contre soi, / À l’aimer, sans trop savoir pourquoi. » (Dis-moi que tu
vivras ailleurs). Vient un temps où il faut bien l’admettre, l’amour est
mort, ce que le titre du poème « La nécropole des amours » dit
on ne peut plus clairement. L’heure des retours
sur soi a aussi sonné : « À quoi bon te mentir en pleurant sur la
mort, / Tu n’aimes que l’Amour, sa joie et ses transports ». L’Amour finit
par se confondre avec le visage du Seigneur : « Seigneur, je t’ai
mêlé aux hommes / Dans ma vision de l’Amour / … / Car, si tu détournais ta
face, / Comme il pâlirait le reflet / De ta beauté et de ta grâce / Sur les
visages que j’aimais. » (Quand les hommes te ressemblent). Et le
recueil se termine sur l’image romantique de la poète souffrante, seule,
abandonnée de tous : « Hiver, je n’aurai pas besoin que tu secondes /
Ma mort, j’ai fait mon deuil : / Avec l’Ennui que j’ai porté, seule en ce
monde, / J’ai tissé mon linceul. » (J’ai bordé mon destin).
C’ÉTAIT TOI!
Je comprends maintenant
cette facilité
Que j’avais d’être heureuse et d’aimer toute chose,
Pourquoi j’avais guéri de mon âme morose,
Pourquoi tant de douceur! pourquoi tant de clarté!
Je croyais qu’être
heureux, c’était bien ordinaire:
Le bonheur m’avait fait le cœur impertinent.
Tu fis bien de partir: je comprends maintenant
Ce qui me transformait les choses familières.
Tout est redevenu âpre
comme autrefois:
Le vouloir, le désir, la pensée et la peine;
Comme autrefois, je suis redevenue humaine,
La résignation a remplacé la foi.
Mais, depuis, comme il
fait sombre et froid sur le monde !
Comme j’ai peine à voir où je risque mes pas.
Alors, cette clarté, c’était toi tout cela?...
Je comprends. Je n’ai pas besoin que tu répondes.
Le critique Albert
Pelletier écrit dans Égrappages : « … de tous ceux, y
compris Nelligan, qui jusqu’à ce jour ont publié des vers au Canada français,
c’est Jovette Bernier qui a le plus beau tempérament de poète. » (p. 148)
Jovette-Alice Bernier sur Laurentiana
Roulades
Comme l’oiseau
Tout
n’est pas dit
On vend le bonheur (à venir)
La
chair décevante
Les masques déchirés
Mon deuil
en rouge
« Masques déchirés, le dernier volume de Jovette Bernier est une fort belle oeuvre dans laquelle se retrouvent toutes les qualités de « Tout n'est pas dit ». Dans la plupart des poèmes qui forment ce livre, la poétesse chante des amours malheureuses, des ruptures, séparations qui ont laissé son cœur endolori. Son chant est simple et vrai comme toujours, mais ce ne sont pas des sanglots qu ’ elle fait entendre, ce ne sont pas les accents du désespoir, d ’ une douleur aigue, d ’ une tristesse nv consolable qui passent dans ses vers. Jovette Bernier comprend la vie et elle évite les violences de sentiment. Doucement, harmonieusement, elle dit ses regrets. La pièce « Depuis qu'il est parti » renferme des strophes admirablement bien senties. » (Albert Laberge, Peintres et écrivains…, p. 138)
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