Ce livre est, à ma connaissance,
le premier du genre au Québec. Adrienne Choquette a rencontré 33 auteurs.trices
et leur a tiré des confidences sur leurs œuvres. « Il sera d’un vif
intérêt pour le lecteur d’apprendre comment s'est précisée la vocation
d'écrivain de nos auteurs, à quelles sources elle s’alimente, à quelles
exigences elle obéit et ce quelle prétend imposer. Les mêmes questions ont été
posées à chaque écrivain, mais on se rendra compte de la grande diversité de
sentiments qui transparaît dans les réponses. » Voici la liste des
auteurs.trices : Victor Barbeau, Harry Bernard, Jovette Bernier, Roger
Brien, Jean Bruchési, Émile Coderre, Marie-Claire Daveluy, Pierre-A. Daviault,
Rex Desmarchais, Alfred DesRochers, Léo-Paul Desrosiers, Raymond Douville,
Jeanne L’Archevêque-Duguay, Louis Francoeur, René Garneau, Berthe Guertin,
Edouard Hains, Jean-Charles Harvey, Maurice Hébert, François Hertel, Léopold
Houle, Michelle LeNormand, Clément Marchand, Olivier Maurault, Gérard Morisset,
Moïsette Olier, Odette Oligny, Albert Pelletier, Damase Potvin, Eva Senécal,
Françoise Gaudet-Smet, M. l'abbé Albert Tessier, Valdombre. Comme je viens de
bloguer quatre livres de Jovette Bernier, c’est son entrevue que je présente.
Jovette BERNIER
Je crois que la petite anecdote suivante pourra servir très éloquemment
de préambule. Il y a deux ou trois ans, il m’arriva de prononcer le nom de
Jovette Bernier devant une jeune paysanne. Comme elle n’avait pas l’air de
connaître la poétesse-romancière, je m’étonnai.
— Comment! vous ne savez pas qui est Jovette Bernier?
— Jovette Bernier…
— Mais voyons, à la radio…
— Vous voulez dire Jovette de « Bonjour Madame » et celle de l'Illustration?
Son visage s’éclaira brusquement d’un large sourire.
— En ce cas! Mais bien sûr que je sais qui est Jovette. Tout le monde d
ici vous répondra la même chose, du reste. Son prénom nous est même si familier
que nous en oublions parfois son nom de famille. C’est ce qui vous explique ma
méprise d’il y a un instant.
Et voilà, point n’est besoin de commentaire. Disons seulement que
l’extraordinaire popularité de Jovette Bernier s’explique facilement: d’abord
par ses romans et ses volumes de poésie qui sont toujours le cri de la vie
passionnée, douloureuse et magnifique, par ses billets et ses causeries
débordants de spontanéité, de fantaisie et d’une philosophie souriante, à la
portée de tous, tandis qu’elle-même, d’un abord si constamment cordial et
sympathique, a le don de nous convaincre qu’il faut toujours, malgré tout et
tous, avoir du courage, de l’espoir et aimer de toutes ses forces l’effort qui
porte sa propre récompense. Tout cela presque sans paroles et peut-être sans
qu’elle s’en doute. Car si Jovette n’est pas une donneuse de conseils, elle est
une agissante. Et comme exemple, n’est-ce pas. ça vaut mille fois mieux!
— Une enquête ? me dit Jovette Bernier d’un air malicieux, c’est
toujours quelque chose qui sous met la puce à l’oreille. Tout de suite, on se
demande si l’on a la conscience bien tranquille et il arrive que l’on n'ose pas
parler, crainte de passer pour ce que l’on est...
Justement, les lecteurs du Mauricien en ont assez d’imaginer sur
vous un tas ce choses qui ne les contentent jamais. Dites-leur généreusement la
vérité.
Et la vérité arrive dans un sourire amusé et moqueur.
— À quoi j’attribue ce que vous nommez ma vocation littéraire? —
D'abord, suis-je sûre d’avoir écrit par vocation? Et pourrais-je le prouver?
Naturellement, quand on opte pour la plume (plutôt que pour tout autre outil on
se croit plus ou moins appelé par quelque signe cabalistique des dieux qui, au
fond, se fichent pas mal de nous. (C’est tout juste s’ils se donnent la peine
de sourire quand nous nous prenons au sérieux). Non vraiment. Je crois que c’est
d’un coup de tête que je me suis mise a écrire, pour voir ce qu’en dirait la
critique parce que l’on m'avait toujours dit que « la critique est un être qui
se mêle de ce qui ne la regarde pas », ou encore: « un lecteur qui fait des
embarres ». Ce n’était pas vrai. — Et puis, je vous avoue que j’ai écrit aussi,
parce que ça me chantait d’écrire. D’ailleurs, si je vous disais que j’ai
entendu des voix, vous ne me croiriez pas. Je n’ai pas eu de vision non plus.
Mais, la mer était proche, et le bois aussi, et ce sont eux, je pense, qui
m’ont un peu poussé la main. Mais là encore je ne puis jurer de rien.
La mer, les bois. Oui, la chanson bleue des vagues insaisissables et
celle des sentiers aux arômes résineux ont bien pu jeter l’éveil de la poésie
dans cette âme frémissante.
— Vous dites? mes débuts?
Jovette murmure pensivement.
— Mes débuts, c’était la belle foi naïve que je n’ai jamais pu retrouvé
si pleine; c’était l’admiration d’un seul maître: Hugo. Et si j’ai montré dans
mes vers quelque faiblesse pour la lune, ce sont sans doute les paysages
lunaires de Hugo qui m’ont envoûtée avec son « moissonneur de l’éternel été et
sa faucille d’or dans le champ des étoiles » ! Mais avouez qu’il y avait de
quoi...
Comme on sent qu’elle l’admire encore profondément ce seul maître dont
le vieux nom majestueux la secoue d émotion!
— Quant à votre troisième question, pour ce qui est des écrivains français
ou canadiens, morts ou vivants, qui ont marqué notre littérature, parlons
d’abord des Canadiens:
À la fois, morts et vivants, je les aime tous, parce qu’ils sont mes frères.
Quant aux Français, ils ont tous fait école, et si j’allais placer un
tel, disciple de tel autre, je les blesserais tous les deux. Et je sais parmi
eux bien des vivants qui gagneraient à être morts.
La sonnerie de la porte et celle du téléphone, qui résonnent simultanément
permettent tout juste à Mademoiselle Bernier de me déclarer encore:
— Les auteurs étrangers que je lis? — Je lis quelquefois, et dans le texte,
Homère, Tsao-Chang-Ling et Valéry.
Je ne peux m’empêcher d’être abasourdie.
— Vous lisez des auteurs chinois? Ce Tsao-Chang-Ling...
Mais Jovette s’éclipse en riant et ma foi, je fais de même! (pages
29-31)
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