« Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. »
Le pauvre homme est seul en son logis désert, et l’œil morne, il regarde
aux carreaux des fenêtres, se battre les miettes de neige, comme des ailes de
papillons en détresse. La nuit aussi sombre qu’un drap mortuaire est piquée de quelques
étoiles tremblotantes comme des cierges. Les passants attardés se hâtent. L’air mystérieux
est plein du son lointain des grelots, de la clameur apaisée des clochers en
délire, et du timbre argentin qui vient de se taire, laissant un écho très doux de musique envolée.
Elles sont parties toutes deux, ses filles bien-bien-aimées, étouffant leurs sanglots, après de vains efforts pour l’amener aussi.
C’est Noël, c’est la messe de minuit.
Mais il a juré de ne plus retourner à l’église, et depuis dix mois, il
lutte avec sa conscience d'honnête homme, et son fol orgueil.
— Ce n’est pas Monsieur le Curé qui ira en enfer… lui répète au fond du cœur,
la voix de sa fille cadette…
— Faut-il s’obstiner avec le bon Dieu?... Vous étiez si fier l’an dernier à
pareille date, de vous vanter bien haut que jamais vous n’aviez manqué la messe
de minuit, ce sera donc la première fois, et maman du haut du ciel, s’attristera…
Sa fille aînée, effleurant une corde sensible, a remué son cœur, mais ne l’a
pas vaincu.
Non, ce curé qui n’a pas voulu se ranger avec lui pour le choix du
terrain, lors de l’érection de la dernière école, ce curé ne le verra plus à
l’église, il le lui a dit, il l’a répété à ses amis… ses filles ne le
fléchiront pas !
Et pourtant, il sent, un remords
de les attrister ainsi… Avec des soins touchants, elles ont préparé le menu
du réveillon, orné les rideaux de la couronne traditionnelle de houx, semé
partout un air de fête, n’osant le croire rebelle à l’attrait de cette gaieté,
à leur tendresse surtout…
Et l’homme qui tout à l’heure
dressait son orgueil devant son amour paternel et sa foi toujours vivante au
fond de l’âme, cet homme se courbe et pleure maintenant.
Est-il vaincu?... Non…, mais.il
pense qu’il y a foule à l’église, et que dans l’ombre d’une colonne Monsieur le
Curé ne le reconnaîtra pas... La messe de minuit… il se sent incapable de ne
pas s’y rendre, pour la première fois… Et malgré la lutte qui s’agite encore
au fond de lui-même, il s’en va d’un pas automatique, à travers la nuit si
douce de paix mystérieuse.
Il se sent pâlir en franchissant
le seuil du temple, et la clarté qui jaillit de toutes parts en l’éclosion de
joie universelle, le surprend, le trouble et le saisit. Il n’ose avancer, et
derrière un pilier, il s’abrite... La foule est recueillie et s’incline avec
foi. L’émotion et l’orgueil paralysent un peu les élans de cette âme, mais
l’homme n’a pas oublié la dignité du saint lieu, et son maintien est digne. Il
retrouve au fond de sa poche, le chapelet qu'il n’a pas égrené depuis dix mois,
et les mots si doux de l’Ave s’éveillent en sa mémoire.
Le chant triomphal du Gloria
in excelsis Deo, éclate sous les voûtes sonores: la paix chantée au ciel se
dilate aussi sur terre. Chaque âme en reçoit comme une aspersion douce, et se
sent plus forte et plus heureuse.
La foule a maintenant quitté le temple, seules quelques personnes agenouillées restent encore pour montrer au Dieu d’amour, le trop plein de leur âme, ce sont celles sans doute dont la croix a blessé les épaules, ou que le repentir vient d’inonder. Peu à peu, l’ombre se fait, et les fidèles attardés s’éloignent après un regard au Tabernacle. Le dernier flambeau s’éteint, deux femmes s’inclinent, mais en relevant la tête, elles aperçoivent, ô bonheur, un homme à genoux aux pieds de la Crèche !
Décembre 1928.
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