21 décembre 2021

Jean-Claude

(Conte de Noël)

Quel était ce vieillard chancelant sur la route
Par ce soir de Noël?... Un étranger, sans doute?
La neige gémissait sous ses pas incertains.
Ses yeux, jadis perçants, ce soir, semblaient éteints;
Il avait plutôt l'air d’un gueux, sans sou ni maille,
Cet homme aux cheveux blancs, mal mis, de haute taille
Errant, triste et pensif! Pourtant, c’était Noël!
Pourquoi donc pleurait-il sur son destin cruel?
Les couples qui passaient, cheminant vers l’église
Le regardaient émus, puis, fuyaient sous la bise.
Disant: “pauvre vieillard! ”... Des mots entrecoupés
S’échappaient de sa bouche et, dans ses doigts crispés,
Un bout de papier blanc tremblait, portant l’adresse
Qu’il avait, au Refuge, en parcourant la “Presse”
Cru celle qu’il cherchait. Trente ans!... trente ans! c’est long.
Disait entre ses dents l’homme en hochant le front!
Me reconnaîtront-ils?... Ah! Je fus bien infâme
De partir, laissant là mes deux fils et ma femme.
Sans un sou, c’était lâche et c’était...  monstrueux!...
Non!... Ils vont me chasser!... Je suis maudit des cieux!
Non!... non!... Je n’irai pas!... Mais, le remords m’y pousse;
Ma pauvre Marie-Jeanne! Elle est... elle est si douce!
Et le vieillard, pleurant, s’appuya contre un mur.
Pourtant, elle m’aimait; je buvais, j’étais dur
Pour ses pauvres petits que je grondais sans cesse
Parce qu’elle disait: “Jean, va donc à la messe”.
Et qui couraient, tremblants, se jeter à son cou!
Le beffroi du faubourg tinta ses douze coups,
Et Jean-Claude, abimé dans sa noire tristesse,
Soudain, eût un sursaut apercevant l’adresse
De ceux qu’il avait fuis. Allons, je serai fort,
Se dit-il, courageux, mais pâle comme un mort!...
Il avança la main et son âme était forte,
Mais son sang se glaça!... Un crêpe, à cette porte,
Retenu par la croix d’argent toucha sa main!...
Mais il voulait savoir; d’un geste surhumain
Il ouvrit, puis entra... Sur sa couche glacée
Marie-Jeanne dormait à jamais délaissée!
Ses fils priaient, en pleurs... peut-être pour l’absent...
Et Jean-Claude s’enfuit, triste et sombre passant!

(Alfred Descarries, La revanche, 1929, p. 143-144)

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