C’est le quatrième recueil de Laberge que je lis. Bien sûr je peux
répéter ce que j’ai écrit à propos des trois autres. Laberge est un pessimiste
invétéré. On a l’impression qu’il prend un plaisir machiavélique à souligner la
bêtise et la petitesse humaine. « Deval était debout près de l’énorme rocher
arrondi et il regardait à ses pieds devant lui la forêt pourpre et or,
flamboyante dans le glorieux soleil d’automne. Ah, que la terre était belle
mais que la vie était sale ! Il en avait assez. Il fallait en finir, se
libérer. » (L’évasion manquée)
Dans son Anthologie d’Albert
Laberge (1963), qui remettait à l’ordre du jour l’œuvre de l’auteur, Gérard
Bessette avait retenu trois nouvelles de ce recueil, considéré comme l’un de
ses plus importants : Le notaire,
Les noces d’or et La veillée au mort. Il contient deux parties : Drames quotidiens (12 récits) et Contes et Nouvelles (18 récits, dont
l’un qui a deux versions). Il est difficile de dire ce qui permet à une
nouvelle d’être dans la première partie plutôt que dans la seconde, si ce n’est
la longueur des récits, plus courts dans la première partie.
Presque aucun personnage n’échappe à son scalpel. Quand ils ne sont pas
artisans de leurs malheurs ou victimes de la méchanceté d’autrui, la vie se
charge de détruire leurs espoirs. Il y a dans le recueil une nouvelle qui
s’intitule « Un homme heureux ».
Enfin, se dit-on. Mais non, ce n’est pas un bonheur auquel on peut tendre.
C’est la Crise. Un petit ouvrier qui reçoit du Secours direct jouit de cette
liberté (provisoire et cela il ne le sait pas) que lui procure ses maigres
rentes. Une autre nouvelle s’intitule Le
bon samaritain. Un homme accueille chez lui un clochard, lui paye un coup,
le fait manger et lui offre même de partager le lit de sa femme. Au matin, le
clochard découvre qu’il a couché avec une morte. Certaines histoires, comme Famille d’émigrés, versent carrément dans
l’horreur : des enfants laissés à eux-mêmes décident de jouer à « on tue le
cochon ». Comme ils n’ont pas de cochon, ils immolent leur petit frère qui est
transformé en animal de boucherie. On lit aussi l’histoire d’un homme enterré
vivant (Cauchemar), d’une femme
délaissée pour sa nièce de 15 ans (Dernier
amour); on rencontre quelques pendus (Drame
sans paroles, La mouche, Dernier amour, Un malchanceux), quelques vieux qui agonisent ou attendent la mort
dans la solitude (Râles dans la nuit,
Pompes funèbres, La malade, Jours d’hospice). Les relations familiales sont pitoyables (La malade, Les noces d’or, Tout p’tit) et l’amour ne dure que le temps d’une
chanson (L’orage, Drame sans paroles, Idylle mélancolique, La lettre, Dernier amour).
Albert Laberge |
On ne peut pas dire, compte tenu de l’époque, que Laberge soit un
prude. Qui en 1936 pouvait écrire (sinon un auteur qui publie à son
compte) : « Avec tristesse, avec amertume, il songeait au bonheur qui
aurait pu être et qui avait été manqué parce qu’elle avait toujours été
conduite par la boussole affolée qu’était son sexe. » « Il avait besoin d’elle
comme le morphinomane de sa drogue. Il ne pouvait se passer d’elle, de son
sexe. Son sexe : l’auge dans lequel les pourceaux à face humaine s’étaient gorgés de volupté,
avaient grogné de satisfaction en enfonçant leur groin immonde dans cette chair
toujours ouverte à leurs appétits. » (L’évasion
manquée).
Laberge a beaucoup de facilité pour inventer des personnages, sa banque
semble inépuisable. Par contre, l’intrigue est parfois très mince et la fin,
tombe souvent à plat. Quelques-unes de ses nouvelles n’auraient pas déplu à
Maupassant.Lire le livre
Albert Laberge sur Laurentiana
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