Albert Lévesque développe au
début des années 30 une collection intitulée « Les jugements ». Albert Pelletier
lui-même, mais aussi Desrochers, Dantin,
Grignon
et Séraphin Marion vont y participer. Sur
les pas de nos littérateurs compte neuf chapitres. Y sont critiqués : La vie en rêve et Le coffret de Crusoé de Dantin, Avec ma vie
de Lucien Rainier, Les Oasis de
Rosaire Dion, Juana mon aimée et Dolorès de Harry Bernard et quelques autres, dont Les
bois qui chantent de Gonzalve Desaulniers. C’est cette critique que
j’ai lue (pages 71-92)
« Thème d'inspiration des
véritables poètes de tous les temps et de tous les pays, le sentiment de la
nature a toujours joui d'une faveur particulière au pays de Québec. Le
contraire aurait de quoi surprendre: avec son royal Saint-Laurent, ses rivières
larges comme des fleuves européens, ses chapelets de lacs disséminant des
haltes de lumière sur l'étendue sombre de la forêt canadienne, la France
Nouvelle cachait dans son sein une profusion de paysages pittoresques. »
Après avoir noté que le thème de
la nature allait de soi pour tout écrivain canadien, il salue la « très
précieuse contribution au sentiment de la nature » de Gonzalve Desaulniers. S’en suit une véritable défense de la poésie
contre certains « rigoristes » qui refuse à la poésie de la nature
tout droit d’exister. Du même pas, il attaque « les tenants d'un
intellectualisme exagéré. Et Dieu sait si cette race a pullulé au pays de
Descartes, de Boileau et des encyclopédistes » . Heureusement des
écrivains, comme Gonzalve Desaulniers ont compris que les « grandes voix
de la nature sont celles de Dieu lui-même. »
Après ce long préambule
polémique, Marion s’attaque au thème de la nature chez Desaulniers. Pour lui, l’auteur
ne peut pas se contenter de décrire la nature, il lui faut encore « saisir
les rapports secrets entre l’âme humaine et l’âme des êtres et des
choses ».
A partir d’ici, l’article de
Marion est toujours polémique. Pour des raisons que j’ignore, il essaie par
tous les moyens de nous démontrer que Desaulniers est un classique (ancien) et
non un romantique. Comme il le rappelle lui-même, les classiques ne se sont guère
intéressés à la nature. Qu’à cela ne tienne! Marion oublie Desaulniers et part
à la recherche de passages qui parlent de la nature chez les classiques. Il
finit par en trouver des miettes chez Molière, La Fontaine et Madame de Sévigné
et davantage chez les Anciens.
Les choses se compliquent un peu
par la suite. Si les vers de Desaulniers sont classiques, l’auteur admet qu’il
est « romantique de
tempérament ». « Sensible au charme des aurores et des crépuscules,
aux fêtes des rayons et des couleurs, il nourrit une
prédilection toute spéciale pour les paysages tranquilles et
imprégnés de mystiques silences des fins d'après-midi automnales. » Mais
attention! Pas d’esclandre romantique chez Desaulniers, mais un traitement
sobre de la nature. Pour Marion, cette vision élégiaque vient en droite ligne
de la culture antique. Il y a une « tranquillité virgilienne » chez
Desaulniers. Et Marion de renchérir sur le caractère classique de cette
œuvre : « Il excelle à suggérer d’harmonieux ensembles », « il ne perd jamais la tête et ne jette
pas à tous les vents des accents amoureux », « ce qui revient à dire
que l’art de M. Desaulniers est un art de pudeur et de discrétion ».
On finit par comprendre que
cet acharnement à refuser que Desaulniers fasse partie des romantiques dépasse
le domaine littéraire : « Qu'en des termes galants ces choses-là sont
dites! Quel fossé entre l'époque qu'elles ressuscitent et la nôtre! Notre
siècle a aboli les distances et supprimé les bonnes manières. Ainsi les
fadaises, les fignolages autour de gentils riens, les superflus si nécessaires
aux vrais poètes sont relégués dans le monde des vieilles lunes où s'amusent
encore d'innocents littérateurs. Puisse le classicisme continuer à opérer dans
notre démocratie nivelée par le bas un nécessaire renversement de valeurs en
maintenant la primauté du spirituel et le prestige de la beauté dégagée de
toute visée utilitaire. »
Après avoir dit que ce recueil va
faire « époque dans nos annales littéraires », il daigne faire
ressortir « certaines ombres minuscules au tableau ». Il lui reproche
deux choses : son style parfois déclamatoire et l’introduction de poèmes
patriotiques (il fallait le prévoir, c’est un thème romantique!).
Tout compte fait, il me semble
que Marion n’analyse pas le recueil pour lui-même. Comme on l’a vu, il essaie
davantage de défendre une thèse : le classicisme contre le romantisme. Simple
goût personnel, polémique contre d’autres critiques?
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