Arthur de Bussières, Les Bengalis,
Montréal, Edouard Garand, 1931, 141 pages. (Poèmes rassemblés par Casimir
Hébert; précédé d’« Un mot du lecteur » de Casimir Hébert et d’une
préface de jean Charbonneau)
On sait peu de choses d’Arthur de Bussières, sinon qu’il vient d’un milieu pauvre et que ses études n’ont
probablement pas dépassé le niveau primaire. Il gagne péniblement sa vie comme
peintre en bâtiment. Il participe aux séances de L’École littéraire de Montréal
entre 1896 et 1900, se liant à Nelligan. La plupart des 61 poèmes des Bengalis proviennent de cette période.
Il est décédé en 1913 à l’âge de 36 ans.
Charbonneau trace le portrait
suivant de Bussières : « Il arrivait au Château de Ramezay, lieu de
réunion de l’École littéraire à ses débuts, sans paletot, coiffé d’une
casquette indigente, sans gants, le col emmitouflé d’un misérable foulard,
chaussé de pantoufles légères retenues
par de frêles cordons. Tel il nous apparaissait, une cigarette aux commissures
des lèvres où passait par instant un sourire énigmatique. »
Ses poèmes, très souvent des
sonnets, sont donc rassemblés et publiés 18 ans après son décès. Les historiens
littéraires de sa génération l’ignorent, à commencer par Camille Roy.
Bussières était un émule de Jose
Maria de Heredia. Il lui consacre d’ailleurs un poème. En réaction à l’école
romantique, plutôt que de laisser libre cours à ses états d’âme, Heredia dresse
des tableaux impersonnels du monde environnant, ce qui va donner naissance au mouvement
parnassien. Il recherche les paysages exotiques, les mots rares et les
rimes osées.
Une bonne partie – et la
meilleure - du recueil de Bussières est parnassienne. En ce, il devance bien
entendu Paul Morin et son Paon d’émail (1911). Sans y avoir
mis les pieds, Bussières écrit des poèmes qui se déroulent au Moyen-Orient, en
Grèce, en Allemagne et même en Asie. Voici le décor dans lequel va paraître la
belle Khirma la Turque : « Des arômes subtils nagent en plein
vergers, / Tout autour des bosquets fleuris de promenades / Où le kokila dit
ses folles sérénades / Au dahlia qui croît sur les orangers ». Oui, on est
bien loin de la belle paysanne à l’ombre d’un érable. Mais allons encore un peu
plus loin, cette fois-ci à la rencontre d’un pêcheur de Bornéo.
Le rêve du Dayak
Dans ses longs voiles peints
de verts et d’incarnats,
Songeant, tels des rêveurs en
leur iconostase,
Un dayak du Passir, promène
son extase
Sur les flots rutilants du
blond Kalié-Nas.
Il n’entend plus vibrer, au
chant des gitanas,
La grève où vit et rôde un
parfum de scithase,
Ni les brios charmants du jour
qui lui et jase,
Vers le haut faîte aigu des graves
quinquinas.
C’est qu’il voit dans les
flots, sous lui, tout le Pactole
Et que sa coque lourde aux
flancs masqués de tôle
Semble voguer sur l’or et les
pourpres rubis.
Et sa prunelle où le désir met
de vains drames,
Brillant comme l’acier de ses
kandjars fourbis
Pleure sur l’onde claire aux
cadences des rames.
L’autre influence de Bussières,
c’est le romantisme, mais un romantisme tempéré, si je peux employer cette
expression. Certains poèmes parlent d’amour, de la fuite du temps, de la solitude,
de la brièveté du bonheur, du sentiment religieux... Je ne suis pas sûr qu’on
ait toujours bien servi la mémoire du poète en les publiant.
Comparaison
Ainsi, quand le doigt de
l’aurore
Dévoile le sein nu des fleurs,
Pétales aux fraîches couleurs
Qu’un chaud rayon de soleil
dore,
Colibris et merles siffleurs,
Désertent la plage sonore,
Et vont, pour revenir encore,
Y boire la rosée en pleurs.
Ainsi, dans ton cœur, ô
mignonne,
Source où l’amour toujours
frissonne,
Je bois sans pouvoir l’épuiser,
Et plein d’une amoureuse
flamme,
Radieux, je berce mon âme
Dans l’ivresse de ton baiser.
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