19 janvier 2013

Les Bengalis


Arthur de Bussières, Les Bengalis, Montréal, Edouard Garand, 1931, 141 pages. (Poèmes rassemblés par Casimir Hébert; précédé d’« Un mot du lecteur » de Casimir Hébert et d’une préface de jean Charbonneau)

On sait peu de choses d’Arthur de Bussières, sinon qu’il vient d’un milieu pauvre et que ses études n’ont probablement pas dépassé le niveau primaire. Il gagne péniblement sa vie comme peintre en bâtiment. Il participe aux séances de L’École littéraire de Montréal entre 1896 et 1900, se liant à Nelligan. La plupart des 61 poèmes des Bengalis proviennent de cette période. Il est décédé en 1913 à l’âge de 36 ans.

Charbonneau trace le portrait suivant de Bussières : « Il arrivait au Château de Ramezay, lieu de réunion de l’École littéraire à ses débuts, sans paletot, coiffé d’une casquette indigente, sans gants, le col emmitouflé d’un misérable foulard, chaussé de pantoufles légères  retenues par de frêles cordons. Tel il nous apparaissait, une cigarette aux commissures des lèvres où passait par instant un sourire énigmatique. »

Ses poèmes, très souvent des sonnets, sont donc rassemblés et publiés 18 ans après son décès. Les historiens littéraires de sa génération l’ignorent, à commencer par Camille Roy.

Bussières était un émule de Jose Maria de Heredia. Il lui consacre d’ailleurs un poème. En réaction à l’école romantique, plutôt que de laisser libre cours à ses états d’âme, Heredia dresse des tableaux impersonnels du monde environnant, ce qui va donner naissance au mouvement parnassien. Il recherche les paysages exotiques, les mots rares et les rimes osées.

Une bonne partie – et la meilleure - du recueil de Bussières est parnassienne. En ce, il devance bien entendu Paul Morin et son Paon d’émail (1911). Sans y avoir mis les pieds, Bussières écrit des poèmes qui se déroulent au Moyen-Orient, en Grèce, en Allemagne et même en Asie. Voici le décor dans lequel va paraître la belle Khirma la Turque : « Des arômes subtils nagent en plein vergers, / Tout autour des bosquets fleuris de promenades / Où le kokila dit ses folles sérénades / Au dahlia qui croît sur les orangers ». Oui, on est bien loin de la belle paysanne à l’ombre d’un érable. Mais allons encore un peu plus loin, cette fois-ci à la rencontre d’un pêcheur de Bornéo.

Le rêve du Dayak

Dans ses longs voiles peints de verts et d’incarnats,
Songeant, tels des rêveurs en leur iconostase,
Un dayak du Passir, promène son extase
Sur les flots rutilants du blond Kalié-Nas.

Il n’entend plus vibrer, au chant des gitanas,
La grève où vit et rôde un parfum de scithase,
Ni les brios charmants du jour qui lui et jase,
Vers le haut faîte aigu des graves quinquinas.

C’est qu’il voit dans les flots, sous lui, tout le Pactole
Et que sa coque lourde aux flancs masqués de tôle
Semble voguer sur l’or et les pourpres rubis.

Et sa prunelle où le désir met de vains drames,
Brillant comme l’acier de ses kandjars fourbis
Pleure sur l’onde claire aux cadences des rames.

L’autre influence de Bussières, c’est le romantisme, mais un romantisme tempéré, si je peux employer cette expression. Certains poèmes parlent d’amour, de la fuite du temps, de la solitude, de la brièveté du bonheur, du sentiment religieux... Je ne suis pas sûr qu’on ait toujours bien servi la mémoire du poète en les publiant.

Comparaison

Ainsi, quand le doigt de l’aurore
Dévoile le sein nu des fleurs,
Pétales aux fraîches couleurs
Qu’un chaud rayon de soleil dore,

Colibris et merles siffleurs,
Désertent la plage sonore,
Et vont, pour revenir encore,
Y boire la rosée en pleurs.

Ainsi, dans ton cœur, ô mignonne,
Source où l’amour toujours frissonne,
Je bois sans pouvoir l’épuiser,

Et plein d’une amoureuse flamme,
Radieux, je berce mon âme
Dans l’ivresse de ton baiser.


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