Louis Dantin, Émile Nelligan et son œuvre, Montréal, Beauchemin, 1903 [1904], 164 pages. (Préface de Louis Dantin)
J’ai présenté sur Laurentiana plus
de 450 livres, mais rien sur Nelligan (1879-1941). Pourtant, plusieurs
considèrent son œuvre comme l’une des fondatrices de notre littérature. Comment
expliquer cette absence? Les raisons sont multiples. Il est un peu difficile
pour moi de me retremper dans ces poèmes que j’ai beaucoup fréquentés il y a plus de
quarante ans. Encore plus difficile, d’en parler, tellement j’ai l’impression
que tout a été dit. Et enfin, si j’ai si tardé, c’est que cette œuvre est l’une
de celles qui a été la mieux servie par l’arrivée d’internet.
Vous l’aurez remarqué, c’est
Louis Dantin qui figure comme l'auteur du présent livre. Comme si on était en
présence d’une critique. Bizarre quand même que Nelligan n’ait pas
eu droit à la pleine paternité de son recueil dès le départ. On le rétablira dans
ses droits à partir de la quatrième édition (Fides, 1945).
Je ne m’attarderai pas aux
conditions de publication. On le sait, Nelligan est interné en 1899 et trois
ans plus tard Louis Dantin, typographe de son métier, commence à recueillir et à
mettre en forme les 107 poèmes qui constitueront la première édition. Sa longue
préface, qui fait 35 pages, date de 1902 et est d’abord publiée dans le journal Les Débats. Ce qu’on sait moins, c’est
que Dantin, pour des raisons personnelles, n’a pas terminé le travail. Ce sont les
éditions Beauchemin et la mère du poète qui ont mené à terme le projet de
publication. Cette troisième édition, celle que je présente, est identique à la première, si ce n’est de
l’ajout des « notes » du père Thomas-M. Lamarche. La cinquième
édition (1952), dite complète, sous la gouverne de Luc Lacoursière, contiendra 56
poèmes de plus.
Émile Nelligan et son œuvre
mérite plus d'un article.
Aujourd’hui, je vais me contenter de relever les idées fortes que contient la célèbre
préface de Dantin.
C’est Dantin qui met au monde le
mythe Nelligan, en en faisant un personnage de légende, un poète maudit. Sa
folie, celle des génies, est vite récupérée : « La Névrose, cette divinité
farouche qui donne la mort avec le génie, a tout consumé, tout emporté. » Et
encore : « Le papillon s'est brûlé à la flamme de son rêve. » Plus encore, Dantin
lui accorde la beauté des jeunes dieux : « Une vraie physionomie d’esthète
: une tête d'Apollon rêveur et tourmenté, où la pâleur accentuait le trait net
taillé comme au ciseau dans un marbre. Des yeux très noirs, très intelligents,
où rutilait l'enthousiasme ; et des cheveux, oh ! des cheveux à faire rêver,
dressant superbement leur broussaille d'ébène, capricieuse et massive, avec des
airs de crinière et d'auréole. » Et son esprit plonge loin dans la racine des
peuples : « Né d'un père irlandais, d'une mère canadienne-française, il
sentait bouillir en lui le mélange de ces deux sangs généreux. C'était
l'intelligence, la vivacité, la fougue endiablée d'un Gaulois de race,
s'exaspérant du mysticisme rêveur et de la sombre mélancolie d'un barde
celtique. »
La 5e édition (1952) contient les poésies complètes |
Nelligan a pigé ses sujets un peu
au hasard de ses lectures. Ses emprunts ne furent pas toujours de bon goût : «
Je regrette que Nelligan n'ait pas au moins démarqué la part imitative de son
œuvre en donnant un cachet canadien à ses ressouvenirs étrangers, ou, plus
généralement, qu'il n'ait pas pris plus près de lui ses sources habituelles
d'inspiration. Sa poésie y eût gagné, certes, en personnalité et en vérité.
Pourquoi tous ces bibelots de Saxe, et tous ces vases étrusques, et toutes ces
dentelles de Malines ? » Toujours selon Dantin, sans tomber dans le
patriotisme, Nelligan y aurait gagné en choisissant des sujets locaux.
Dantin note que Nelligan s’intéresse
peu au monde extérieur. Il ramène tout à lui : « D'abord, le poète sort
rarement de lui-même. C'est un subjectif, et les spectacles de l'âme
l'intéressent beaucoup plus que le cosmos extérieur. » « Presque toujours,
la poésie de Nelligan s'isole, s'emprisonne, ferme les yeux, et se gémit
elle-même. » Il relève un certain nombre de ces thèmes « subjectifs »
: regret d’être né, amertume du présent, sensation du néant, mélancolie des
choses, duperie de la joie.
Dantin devient beaucoup plus
louangeur quand il s’agit de décrire le style de Nelligan : « …sa gloire
est surtout d'avoir fondu une pensée parfois hésitante et impersonnelle dans un
moule précieux et rare. C'est par là surtout que son œuvre, en tenant compte
des circonstances, revêt un caractère prestigieux, qu'on y voit éclater quelque
chose de plus que le talent, que l'aptitude, que l'habileté acquise : je veux
dire le don, ce présent direct et purement gratuit de la mystérieuse
Nature. » D’où ce style tient-il sa force? Dantin identifie trois raisons.
Premièrement, Nelligan réconcilie les symbolistes et les parnassiens : « il
est aisé de voir que Nelligan, souvent symboliste par sa conception des entités
poétiques, est presque toujours parnassien par leur expression. » Deuxièmement,
il a un sens de l’harmonie hors du commun : « On le prend souvent en défaut
d'inspiration et même de sens, jamais en défaut d'harmonie. Il connaît la
valeur exacte des sons et leurs plus subtiles nuances. Il tire un parti habile
et sûr de tous les artifices de la cadence poétique. » Troisièmement, il a
le sens de l’image : « Et ce novice, qui fait sonner de façon si
experte le cliquetis des mots, excelle aussi, mérite beaucoup plus rare, à
allumer au choc des pensées l’image étincelante et neuve. »
Pour Dantin, le recueil de Nelligan
est supérieur à tout ce que le Canada a produit jusqu’à maintenant. Et ne
serait-ce que pour le bien de notre littérature, cette œuvre mérite de survivre
à son auteur : « Un choix intelligent de ces poésies formerait un
livre assez court, mais d'une valeur réelle et d'un intérêt puissant. Les muses
nationales béniront l'homme de cœur et de goût qui fera ce choix et ce
livre. »
Pour un compte rendu du recueil, lire aussi : La présentation de l'oeuvre
Pour un compte rendu du recueil, lire aussi : La présentation de l'oeuvre
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Nelligan de Paul Wyczynski
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