Jean Charbonneau, Les prédestinés, Montréal, Beauchemin, 1923, 221 pages.
Tous
les recueils de Jean Charbonneau sont longs. Et Les prédestinés ne fait
pas exception. Il s’ensuit que le recueil va en tous sens : un peu de
philosophie, un peu d’histoire, un peu de terroir, un peu de nature et,
souvent, un peu de tout ça en même temps. L’enjeu de Charbonneau dans ce
recueil, comme dans L’ombre devant le miroir : comprendre où s’en va l’humanité
(sans faire intervenir la religion à tout propos).
Dans
ce bref commentaire, nous nous limitons au poème éponyme, un très long poème
qui fait sept strophes et 15 pages. À vue de nez, il semble bien refléter
l’ensemble du recueil.
Prédestiné :
« Personne que Dieu a
destinée à la gloire éternelle. » (Larousse)
Qui sont les « prédestinés » qu’évoque le titre ? Au départ, ça semble être le paysan, tant sa route semble toute tracée. Charbonneau vante la vie de celui-ci : « Heureux paysan qui, loin de la cité / Grandit dans le silence et la simplicité ». Après l’avoir encensé, Charbonneau tient à préciser qu’il n’est pas « le seul prédestiné ». La vie, c’est beaucoup plus que des champs, si beaux soient-ils. Tout près, il y a la ville où se jouent les nouveaux enjeux de l’humanité. Les citadins pourraient aussi être des « prédestinés », mais la route est plus compliquée : « C’est la ville aux remparts de pierre qui s’élève, / Et qui dans l’infini promène son grand rêve. / C’est la cité sonore où s’agitent des voix; / Où, dans un bruit d’enfer, mûrissent, à la fois, / Des pensers monstrueux et des projets tragiques / … / Où des mille cerveaux avides de cueillir / Le savoir, se sont vus avant l’âge vieillir; / Où les ambitions à la tâche asservies, / Dans leur course effrénée y prennent tant de vies, / Que ses murs arrogants où frémit tant d’effort, / Se couvrent, chaque jour, des voiles de la mort. » La suite prend une tournure plus philosophique. En quelque sorte, la marche de l’humanité mène l’homme sur un « chemin obscur et sans issu », car il ne possède pas « la tranquille Sagesse […] qui créerait une ère de bonté ». La guerre fut sans doute une des causes du pessimisme de l’auteur.
Dit simplement, Charbonneau croit que l’humanité se dirige vers un cul de sac. « Plains les jours de l’existence humaine! / O Vivant, connais-tu la route où tu t’en vas? » Il finit par conclure que le paysan, dans sa simplicité, a raison de fuir l’idéal inaccessible, le « lucre » et « l’inextinguible soif de jouir » des citadins et qu’il faut retrouver la Nature si on veut que fleurissent des « Âges nouveaux » où il fera bon de vivre.
Il se disait alors avec
mélancolie
Que son œuvre pourtant n’est pas sans lendemain ;
Qu’éloigné de la Ville et du fatal chemin
Où les hommes semaient au vent de la folie,
Car les gerbes des blés dont
se couvre la terre,
Il les prépare dès l’aurore des printemps;
C’est par lui que le sol apporte, en tous les temps,
Aux pauvres affamés sa sève nourricière.
En creusant le sillon d’où
sort le pur froment,
Il accomplit le geste immense qui délivre,
Lui qui, donnant une âme à la vigne, fait vivre
Le vin qui prend sa force aux fibres du sarment.
Il survivra celui qui,
dans la paix des plaines,
S’environne d’amour et de simplicité :
Le sûr moyen d’atteindre à l’immortalité,
C’est de mettre une fin aux souffrances humaines;
C’est de perpétuer la vie
au sol fécond,
Et c’est de conserver le culte des ancêtres ;
C’est de mêler sa voix à la rumeur des hêtres,
C’est d’entendre monter le chant doux et profond
Du pays où, parmi
l'abondance des choses,
Vivaces, germeront, sur ses riches coteaux,
De nouvelles ardeurs en des âges nouveaux,
Et qui tressailleront dans la forme des roses.
Dans les clartés du soir, dans les chants du
matin,
Dans le fleuve orgueilleux dont le grand flot murmure,
Dans le sein ranimé de toute la Nature
Qui, par l’effort vainqueur, poursuivra son destin.
Jean Charbonneau sur Laurentiana
Les blessures
L’école littéraire de Montréal
L’ombre dans le miroir
Les prédestinés
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