Le recueil est « dédié entièrement » à Antonin Artaud. Dès la première phrase de la préface, la violence est au menu : « Les corbeaux errent à l’aise dans le moulin de mon cerveau, mais la nuit porte l’haleine des faux et déploie sur eux son aile d’assassin ». Avec Brunet, le poète entre en guerre : « lever l’arme contre les salauds, ainsi va de la mission du poète ». Le poète devient en quelque sorte un héros-résistant contre un monde de salauds qui s’ignorent : « Assassinez-vous entre vous si vous le voulez; mais si vous décidez de tourner vos épées contre moi, soyez au moins des assassins dignes de ce nom. »
Le recueil contient quatre parties sans titre, mais chacune introduite par une citation d’Artaud. Les relations « amoureuses » me semblent le thème de la première partie. Le tout baigne dans une climat de cruauté, comme si la femme n’était qu’un sexe: « Les filles laisse-les pisser / elles ont le cul cousu et les cuisses striées […] Pourquoi sont-elles sur terre // Elles vous poussent / elles vous tirent / elles vous saignent / on rit on sourit on les embrasse / on baise avec pourquoi ».
Dans la deuxième partie, le poète essaie de comprendre (ou d’exprimer) comment il en est arrivé à cette vision apocalyptique du monde : « Alors ce matin-là / ce matin-là est entré un corbeau / un corbeau noir / avec une demi-pelure de pamplemousse / ouverte en parapluie / c’est vrai il pleuvait // Et moi j’avais soif / il m’a ouvert les veines / non une veine / et j’ai bu de mon sang // Et du sang c’est noir / et c’est pour ça que ça goûte bon ».
Bien malin qui pourrait nous dire le thème de la troisième partie. Elle est introduite par ces vers d’Artaud : « Quand on creuse le caca de l`ÊTRE et de son LANGAGE, il faut que le POÈME sente MAUVAIS. » Brunet laisse libre cours à son inspiration, juste pour le plaisir des associations de mots qui vont secouer le lecteur et brasser ses certitudes esthétiques et humanistes. Le monde tel qu’il est, il faut le détruire : « Avec trente-huit couteaux / du feu de l’orient / avec trente-huit couteaux / pour fendre les idées / avec trente-huit couteaux Corbeau / ta voix de mâle me fascine / autant que ton ombre sans espoir ».
La dernière partie est beaucoup plus lisible. Le poète s’adresse directement au lecteur, l’invective, le somme de reconnaitre son aliénation, de bouger. « Déshabillez-vous sortez-vous le ventre pour ne jamais / jamais plus le recoudre laissez libre cours à vos boyaux / ils ont faim de liberté ». Cet extrait provient du poème « Libération » qui se termine ainsi : « Mais, bon sang, CREVEZ-VOUS! »
Contrairement à ce qu’on va lire chez les poètes de l’Hexagone, il n’y a pas chez Brunet la dichotomie oppresseurs/opprimés. Si j’ai bien compris, on est tous oppresseurs de soi-même et des autres… les poètes exceptés.
Disons-le, à part Gauvreau, rien n’existait d’aussi virulent au Québec en 1961. Cette poésie bruyante fait certainement le pont avec Parti pris et le mouvement de la contre-culture qui va naitre quelques années plus tard. Cependant, ne serait-ce qu’en raison de la représentation de la femme, j’ai l’impression qu’elle doit mal passer la rampe depuis les années 70.
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