25 janvier 2019

Comme jadis

Magali Michelet, Comme jadis, Montréal, L’Action française, 1925, 270 pages. (pseudo de Marie-Louise Michelet)

Gérard de Noulaine a trouvé sous les tiroirs d’un vieux meuble de son château un ancien échange de lettres entre Herminie de Lavernes et Gérard de Noulaine. Il les a publiées. Noulaine était alors engagé dans les batailles qui devaient mener à la chute de la Nouvelle-France. La réputation de son roman, intitulé, Roman d’antan, s’est rendue jusqu’au nord d’Edmonton, où vit une lointaine cousine Herminie de Lavernes (notez que les deux protagonistes portent le même nom que leurs ancêtres). Cette dernière (elle se fait appeler Minnie Lavernes), outrée que ce lointain cousin français ait rendu public des échanges qui devaient rester privés, lui écrit une lettre assez dure. « Je ne peux vous dire assez combien la publication de votre Roman d’antan m’a indignée… Il est des drames intimes, des idylles touchantes que la plus élémentaire pudeur d’âme devrait interdire de jeter en pâture à la curiosité d’un public quelconque. Vous ne l’avez pas senti. Je le déplore pour vous, et je proteste de toutes mes forces contre l’inqualifiable indiscrétion que vous venez de commettre en publiant ce recueil des lettres adressées à Herminie de Lavernes… »

Au lieu de s’offusquer, Gérard de Noulaine à force d’explications et de lettres finit par l’amadouer. Les deux se racontent leur vie, des vies totalement à l’opposé.

Gérard de Noulaine a été élevé dans un château par de riches aristocrates. Solitaire, très sensible, évoluant dans un milieu familial peu tourné vers les enfants, il va devenir peintre. Minnie Lavernes est née au nord d’Edmonton dans ce qui deviendra plus tard une paroisse francophone qu’on surnommera Lavernes en l’honneur de son père. Elle a fait des études au Québec, puis est retournée dans son patelin et y est restée, même après la mort de son père.

La relation évolue lentement vers une grande amitié. À lire la vie difficile que mène cette lointaine cousine au nord d’Edmonton, dans une paroisse encore à fonder, le dépressif Gérard de Noulaine retrouve le goût de vivre. On peut même croire qu’il tombe amoureux de sa cousine, cat il projette de venir la rencontrer. Malheureusement pour lui, le déclenchement de la Première Guerre mondiale va mettre fin à son projet. Il doit s’engager. Il va perdre la vie et Herminie va entrer au couvent.

Marie-Louise Michelet est née en 1889 (ou 1883?) et est arrivée au Canada avec sa famille en 1905. Elle est retournée en France en 1922. Elle a été journaliste et a fait jouer quelques-unes de ses pièces au Canada.

Règle générale, ce roman épistolaire a reçu de bonnes critiques et c’est mérité. Plusieurs y ont vu une histoire inspirée du nationalisme canadien-français de L’Action française de Lionel Groulx. On ne peut pas le nier, cet aspect occupe une bonne place dans le roman. Comment pourrait-il en être autrement : imaginons une petite communauté francophone perdue dans une mer d’anglophones dans le nord-ouest canadien.

Pourtant, ce qui fait la force du roman n’est pas là et beaucoup s’en faut. Magali Michelet décrit avec beaucoup de sensibilité – ce qui n’exclut pas la précision – la vie des premiers colons dans l’ouest. Elle s’attarde à des éléments — pas toujours romanesques — comme le rythme des saisons, les travaux de défrichage, le travail sur une ferme. Elle n’a rien à envier à Félix-Antoine Savard quand elle décrit un abatis, ou à Louis Hémon quand elle évoque le combat que mène le colon contre une nature sauvage qu’il faut domestiquer.  

La partie du roman qui raconte la vie de Gérard de Noulaine est beaucoup plus convenue. Le motif de l’artiste malheureux n’est plus guère inspirant. Et le lien qui se développe entre les deux protagonistes — de l’amitié à l’amour – sans qu’ils ne se soient jamais rencontrés peut nous laisser pantois. Mais, par-dessus tout, la fin du roman, un peu expédiée, est décevante : Michelet aurait dû omettre le dernier chapitre plutôt que d’envoyer sa Minnie chez les Sœurs.

C’est un roman très bien écrit. Le seul hic, c’est que Michelet utilise beaucoup d’anglicismes et de mots anglais, peut-être pour ajouter à la couleur locale, ce qui me fait croire que son roman était d’abord destiné à un public français (il a été écrit lors de son retour en France).

Magali Michelet

EXTRAIT
« Tout à coup, la bourrasque  descendit du Nord avec une violence inouïe, dont j’ai rarement été le témoin. C’était la terrible poudrerie. À peine tombée, la neige se convulsait, entrait en colère. Un tourbillon l’arrachait du sol, la jetait aux branches des épinettes qui nous abritent  du côté du Nord. Elle se ruait à l’assaut de la maison et les murs solides tremblaient comme pris d’épouvante. Un silence tragique s’étendait parfois, et ces répits étaient plus angoissants que la fureur de la tempête. Toujours la même pensée serre les tempes : où sont les voyageurs, ceux qui ont été surpris en prairie ? Le bois est hospitalier comparativement, mais la plaine ?… Quand le vent souffle en piquantes épines, la neige frémit de son grand corps pâle et gare alors à tout ce qui est vie ! La vague insensée balaie, en hurlant, la prairie, s’écrase contre les obstacles, les enserre, les étouffe, rejaillit en écume étincelante ; puis, elle s’apaise, murmure, caresse, ensorcelle le voyageur affolé pour reprendre, la minute suivante, son ardeur passionnée. Les lames succèdent aux lames, effaçant les pistes ; tout se confond, tout s’abîme, tout craque dans la clameur d’épouvante du brouillard  blanc. » (p. 105)

Lettre de Magali Michelet à l’abbé Groulx
« La Juynetière, 12 novembre 1925.
Monsieur l'abbé,
Le numéro d'octobre de l'A. F. me parvient. Vite, une petite rectification, j'allais écrire une protestation!
Arrivée très jeune au Canada, avec ma famille, j'y ai vécu près de quinze années et non dix. A dix-sept ans, j’ai débuté au Courrier de l'Ouest d'Edmonton, dont mon frère fut le rédacteur en chef pendant dix ans. Chaque semaine, quelque temps qu'il fît, chemins enneigés ou détrempés par la pluie, à cheval, en traîneau ou en voiture, je portais ma copie au bureau de poste éloigné de douze milles de la ferme de mes parents. Je n’ai pas voulu écrire une autobiographie. Comme Minnie cependant, j'ai connu la fierté d’ouvrir un premier sillon, j’ai défriché, labouré, semé. Ma formation intellectuelle ressemble étrangement à la sienne. »  L'Action française, décembre 1925

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