Frances Brooke, Voyage dans le
Canada ou Histoire de Miss Montaigu, Montréal, Boréal, 2012, 921 pages.
(Traduction de The history of Emily
Montague, Londres, 1769. (traduction retenue : T. G. M. : Voyage dans le Canada ou Histoire de Miss
Montaigu, Paris, Léopold Collin, 1809) (Postface de Nathalie Cooke.
L'ouvrage comprend également une chronologie et une bibliographie.)
Frances Brooke a vécu au Canada
entre 1763 et 1767. Son mari était aumônier dans l’armée anglaise. On ne sait
pas si le roman a été écrit pendant son séjour au Canada, mais peu importe.
Plus de la moitié du roman se passe au Québec, surtout dans la région de
Québec. L’ossature narrative est on ne
peut plus simple : Voyage dans le
Canada est un roman sentimental
écrit par lettres. Comme toujours dans ce genre de roman, il faut conserver
l’intérêt du lecteur en ajoutant des problèmes qui font obstacle aux relations
amoureuses. Le roman met en scène trois
couples : Émilie Montagu et Édouard Rivers, Bella Fermor et John Fitzgerald, Lucie Rivers et John Temple. Ces deux
derniers demeurent en Angletere. À ceux-ci s’ajoutent quelques autres
personnes, dont le père de Bella. Brooke a su varier la personnalité de ses
personnages, ce qui donne trois couples assez différents, qui finiront par se
marier. Brooke évite les excès mélodramatiques.
Ceci étant dit, le roman va
beaucoup plus loin. Si vous aimez les fines analyses psychologiques, voire
les réflexions philosophiques sur l’amour, le mariage, l’amitié, la nature, la
richesse et la pauvreté, les relations sociales, vous serez bien servi. Le
propos, un brin féministe, surtout quand il provient de Bella, est sensible,
intelligent, fouillé. Le style de l’auteure est élégant.
Bien entendu, ce qui intéresse
forcément un lecteur québécois, c’est la vision que ces épistolaires posent sur le Québec qu’ils viennent de
conquérir. Pour ce qui est de la nature, on doit avouer qu’ils sont
dithyrambiques. L’auteur consacre quelques belles pages aux chutes Montmorency
et de la Chaudière, à Sillery, au fleuve Saint-Laurent et même à l’hiver. On
s’entend pour dire que la nature canadienne n’a rien à envier à l’anglaise. Là
où le bât blesse, c’est quand tous ces personnages « tellement supérieurs »
étalent leurs préjugés de coloniaux sur les Français et les Autochtones. Ils doutent si peu de leur supériorité sur
tous les plans, du politique au sentimental, que c’en devient irritant. Il y a
tout au plus un personnage canadien français qui trouve grâce à leurs yeux, une
veuve qui est amoureuse d’Édouard Rivers. Mais on ne s’y trompe pas, c’est la
Française de service et rien de plus.
Répertoire culturel du Québec |
« Je vous ai parlé de la vie
sauvage et de ses travaux ; mais je dois ajouter qu’ils ne sont que momentanés,
car il faut que ces peuples [les Autochtones] y soient contraints par la dure
nécessité ; leur vie, en général, est d’une indolence qu’on ne peut se
figurer. »
« Je reviens donc aux femmes
canadiennes qui possèdent tous les charmes, excepté celui sans lequel tous les
autres me paraissent insipides, je veux dire la sensibilité. Elles sont
coquettes, enjouées et spirituelles ; plus galantes que sensibles ; plus fières
d’inspirer une passion, qu’elles ne sont capables de la ressentir ; et,
semblables aux Européennes, elles préfèrent les hommages extérieurs, les fades
adulations à la simple et véritable expression des sentiments du cœur. Il n’y a
peut-être pas de femmes au monde qui parlent autant de l’amour et le
connaissent aussi peu que les Françaises ; on pourrait trouver l’exemple
contraire chez les Anglaises ; mes belles compatriotes semblent confuses de
l’aimable et doux sentiment qu’elles ont fait naître. »
« Les paysans sont en
général grands et robustes, quoique d’une excessive indolence ; ils aiment la
guerre et craignent le travail ; ils sont hardis, braves, alertes dans les
champs, et paresseux, lâches, inactifs dans leurs foyers ; ils ont encore cela
de semblable avec les Sauvages, dont ils semblent d’ailleurs avoir pris toutes
les manières. Le gouvernement paraît avoir encouragé l’esprit militaire dans
toute la colonie ; les paysans, malgré leur ignorance et leur stupidité, sont
d’une délicatesse extrême sur le point d’honneur ; et, quoiqu’ils servent sans
rétribution, comme je l’ai dit, rien ne les rend plus heureux que d’être
appelés au champ de la gloire. Ils sont d’un orgueil excessif, et regardent non
seulement les Français comme la seule nation civilisée du monde, mais eux-mêmes
comme la fleur de la nation française. »
« Les Françaises ne sont pas
supportables ; elles s’imaginent que l’assurance et la vanité doivent remplacer
en elles le manque de toutes les vertus. Elles oublient que la douceur, la
délicatesse et la sensibilité sont des charmes attirants, parce qu’ils leur
sont étrangers ; cependant quelques-unes de celles que nous voyons dans ce pays
sont assez jolies ; elles ont de plus une certaine vivacité qui les rend
tolérable.»
« Mais je reviens aux questions que votre Seigneurie m’adresse au sujet des Américains ; je veux dire ceux de nos anciennes colonies ; mon opinion, à cet égard, est conforme à ce que j’en ai toujours ouï dire ; ils me paraissent un peuple ignorant, sauvage, opiniâtre, intéressé, et cependant hospitalier. »
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