Yves Préfontaine, Les Temples effondrés, Montréal, Orphée,
1957, 77 pages.
« Vertige carnivore des
mondes / J’érige l’angoisse de mon geste / Et je roule en fleuve de râles ».
C’est
la première strophe du recueil. Déjà on constate une vision hyperbolique du
désastre, l’écroulement du « je » et un choix de mots qui frappent fort.
« Dispersant le visage des rives / J’invente
les murs et je détruis / Et j’éclate au tréfonds des silences ».
Ce
désastre, n’a-t-il pas lui-même contribué à l’ériger? Pour autant, pas question
de crouler au pied du mur. La réaction est à la hauteur du mal : brutale.
« Au bout de mon cri que j’égorge / Crépuscule
broyé spasme vain / Du gris incendié de ma paume / — Je
foudroie les temples et je marche ».
Contrairement à ce qu’on lit souvent dans la poésie de
l’époque, on pressent le désir de se colleter avec son malheur, de se battre (« détruis, éclate,
foudroie, marche ») quitte à se faire mal.
Ce premier
poème résume assez bien le recueil. La plupart des poèmes ont beaucoup d’amplitude,
les vers sont longs, chargés d’adjectifs et de mots rares, les verbes sont très
porteurs de sens : « Ravins d’éclats d’où jaillissent les orgies / De
pierre et de sang dans la crudité des plages / Masques de murailles crucifiées
en brouillard / Que parcourt l’ombre des dieux égorgés / Le chant du roc inonde
les mers et je nage ».
Le
titre pourrait laisser penser que le recueil a un caractère religieux. Ce n’est
nullement le cas. Je n’y vois pas non plus de message social en prise directe
sur la réalité d’ici. Le poète constate l’échec d’une civilisation et souhaite
l’avènement d’un monde nouveau : « Vibrent et grondent les mers dans
le geste des mondes / Éparpillant l’atroce pureté du songe premier / Et crèvent
dans les mains nues les joyaux perpétués et vides ». Même l’amour semble
être vécu comme une noyade : « Le gouffre où je nage crève dans le
tumulte / Comme ton voile pourpre à la source du sang ». Ou :
« Et les pluies du sang tracent le signe / D’un chant perdu parmi les
cosmes / Et les larmes s’écroulent devant le mur / Que forge une chair au
sourire de pieuvre ».
C’est
en utilisant les éléments telluriques (eau, terre, feu) et des symboles qui ont
trait au cosmos (dieux, foudre, constellation, étoile, ténèbres) et à
l’archéologie (temple, arche, pilier, pierre sacrale, idole, stèle, ruine) que
Préfontaine décrit ses « temples effondrés : « O les temples —
les temples que je détruis / A chaque pas de néant sur chacun de mes cils / Les
temples que je mords à chacun de mes cris / O les arches culbutées comme des
songes / Dans les fanges sinistres des âges lourds ».
Derrière
cette tempête verbale, se tient un individu qui se bat contre ses démons,
coincé dans un monde étriqué, et qui rage de ne pouvoir tout détruire. Il y a
quelque chose de l’adolescence (certains poèmes sont datés de 1954) dans Les Temples effondrés : un manque de
retenue. On peut comprendre cette colère, si on se reporte à l’époque. Dans la
copie que je possède, celle de Jean-Charles Falardeau, Préfontaine écrit dans
une dédicace datée de 1964 : « ces poèmes presque affreux où l’on
quêtait, malgré tout, un maître-mot qui n’est que mythe, la vibration de formes
vierges ».
En
1957, en plus des Temples effondrés, il
a fait paraître Boréal, proses
poétiques que je ne connais pas. Je n’avais lu de Préfontaine que son
magnifique Pays sans parole (1967).
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